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'''Le 11 juin 1846, le préfet du Nord transmettait au Ministre de la Guerre en Finance, une pétition de 65 familles allemandes qui demandaient d'être dirigées sur l'Afrique pour y prendre part aux travaux de colonisation.'''
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Le 11 juin 1846, le préfet du Nord transmettait au Ministre de la Guerre en Finance, une pétition de 65 familles allemandes qui demandaient d'être dirigées sur l'Afrique pour y prendre part aux travaux de colonisation. Il insistait sur l'urgence qu'il y avait à prendre une décision: ''Il importe de les faire évacuer Dunkerque où, malgré leur bonne conduite, l'autorité locale se préoccupe de leur misère et de leur encombrement autant dans l'intérêt de la police que sous celui de la salubrité publique.'' Enfin il exprimait le désir que le gouvernement prit des mesures pour empêcher de semblables immigrations sur le territoire français.
Il insistait sur l'urgence qu'il y avait à prendre une décision: ''Il importe de les faire évacuer Dunkerque où, malgré leur bonne conduite, l'autorité locale se préoccupe de leur misère et de leur encombrement autant dans l'intérêt de la police que sous celui de la salubrité publique.'' Enfin il exprimait le désir que le gouvernement prit des mesures pour empêcher de semblables immigrations sur le territoire français.


D'où provenaient ces émigrants et qu'est-ce qui les avait poussés à se rendre à Dunkerque?  
D'où provenaient ces émigrants et qu'est-ce qui les avait poussés à se rendre à Dunkerque?  

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Le 11 juin 1846, le préfet du Nord transmettait au Ministre de la Guerre en Finance, une pétition de 65 familles allemandes qui demandaient d'être dirigées sur l'Afrique pour y prendre part aux travaux de colonisation.


Il insistait sur l'urgence qu'il y avait à prendre une décision: Il importe de les faire évacuer Dunkerque où, malgré leur bonne conduite, l'autorité locale se préoccupe de leur misère et de leur encombrement autant dans l'intérêt de la police que sous celui de la salubrité publique. Enfin il exprimait le désir que le gouvernement prit des mesures pour empêcher de semblables immigrations sur le territoire français.

D'où provenaient ces émigrants et qu'est-ce qui les avait poussés à se rendre à Dunkerque? En compulsant les registres de l'Etat Civil et en interrogeant les plus vieux colons de la Stidia, il nous a été possible de découvrir leur lieu d'origine, les dossiers étant muets à cet égard.

Presque tous étaient originaires de la Prusse Rhénane, des environs de Trèves, tout près de la frontière Lorraine. Quelque temps auparavant, des agents avaient parcouru ces régions et promis aux paysans de les transporter à peu de frais au Brésil, où se fondaient de nombreuses colonies allemandes; beaucoup, séduits parles descriptions enthousiastes qu'on leur récitait complaisamment, par le bon marché des passages, enfin par l'espoir de faire fortune en Amérique, avaient réalisé leur modeste avoir et gagné Dunkerque, le port d'embarquement désigné. Là, revenant sur leurs promesses, les courtiers avaient augmenté les prix de passage, et parmi les émigrants seuls les plus fortunés partirent, les autres restèrent ne sachant où aller, dépensant rapidement leurs maigres économies, encombrant les quais et les quartiers de Dunkerque. On parlait de la colonisation de l'Algérie, et, ils avaient résolu d'adresser une pétition au gouvernement français pour être transporté en Afrique puisqu'ils ne pouvaient plus espérer gagner l'Amérique.

Au reçu de cette demande, le ministre de la guerre voulait faire répondre immédiatement que par suite de la composition des familles, de l'insuffisance de leurs ressources et en raison des frais considérables de leur voyage à travers la France, il lui était impossible d'autoriser leur passage en Algérie; mais, sur ces entrefaites, le conseil des ministres fut saisi de la question, le lieutenant-général de la Moricière consulté assura que les étrangers trouveraient à se placer à Oran, soit comme simples ouvriers, soit comme concessionnaires, et on résolut de les envoyer en Algérie. Une lettre du ministre au maréchal Bugeaud, datée du 4 juillet 1846, l'informa de cette décision; 65 familles, comprenant 339 individus, allaient être dirigées sur Marseille pour y être embarquées. En même temps le ministre de l'intérieur écrivait à son collègue de la guerre, dont le département avait été chargé des frais de transport, pour le prier de hâter le plus possible leur départ.

Le maréchal Bugeaud se trouvait à Paris lorsque le ministre de la guerre l'avertit de la décision du gouvernement. Dans la lettre qu'il écrivit au général chargé de l'intérieur à Alger, il s'en montre fort peu satisfait. Il aurait mieux valu sans doute, dit-il, faire les mêmes frais d'installation et d'alimentation pour des familles françaises et surtout pour un certain nombre de ces braves sous-officiers et soldats qui s'offrent pour coloniser le pays qu'ils ont conquis. On reconnaît là une des idées qui lui furent chères: la colonisation militaire de l'Algérie.

Toutefois puisque le ministère avait résolu d'accueillir cette population, le maréchal comprend qu'il lui a imposé l'obligation de pourvoir à ses besoins présents et d'assurer son existence future. Et il prescrit les mesures les plus minutieuses pour l'installation de ces immigrants, donne des conseils sur le choix des centres, en appelle au patriotisme des soldats et des officiers pour la réussite de cette oeuvre.

Cette lettre nous apprend aussi que le nombre des émigrants allemands s'est notablement accru (il s'agit maintenant de plus de 200 individus) et que le choix des villages où ils seront établis n'est pas encore fixé.

Le 14 septembre, une note adressée à la direction des affaires de l'Algérie par le ministère de la guerre précise ces renseignements. On s'est décidé à faire effectuer par mer le trajet de Dunkerque en Algérie.

Les navires, nolisés par l'Etat à cet effet, ont embarqué 869 individus dont 325 âgés de moins de 12 ans et 544 de 12 ans et plus. II est vraisemblable que le bruit de ces départs s'était répandu en Allemagne, car de nouveaux émigrants affluaient à Dunkerque; 400 étaient à Ostende, prêts à se mettre en marche pour la France; 800 autres étaient sur le point de franchir la frontière prussienne vers Aix-la-Chapelle. Aussi, cinq jours après l'embarquement, le ministre de la guerre écrit à son collègue des affaires étrangères pour le prier d'intervenir auprès des gouvernements allemands à la seule fin d'arrêter ce mouvement d'émigration: ordre fut donné de refuser l'entrée en France aux Prussiens qui se présenteraient pour aller en Algérie et de reconduire à la frontière ceux qui l'avaient déjà franchie. Ainsi fut arrêté le mouvement qui prenait déjà d'assez grandes proportions.

Cependant ceux qui avaient été embarqués continuaient leur route vers l'Algérie. Ils étaient partis sur cinq bateaux affrétés par l'Etat, à destination de Mers-el-Kébir, c'étaient :

1- Le brick La Paix qui arriva le premier : 224 individus embarqués, 5 décédés en mer, 219 débarqués.

2- Le Père Courageux, 161 individus embarqués, 7 morts, 154 débarqués

3- Le Cupidon, embarqués 142, morts 3, débarqués 139

4- Le Yalin, embarqués 138, morts 7, débarqués 131

5- La France, embarqués 205, morts 5, débarqués 200.

Trois enfants étaient nés en route.

Longue et pénible fut la traversée. Aussi, dés l'arrivée, y eût-il de nombreux malades et quelques décès: 6 enfants en bas âge et 2 vieilles femmes moururent. Une quarantaine d'hommes entrèrent à l'hôpital militaire, trente femmes ou enfants furent parqués dans une infirmerie provisoire. Il faut bien avouer que la saison était peu favorable: en Algérie le mois de septembre est chaud et humide. Cependant les soins ne manquèrent pas complètement aux nouveaux arrivants; on les logea dans de grandes baraques militaires, construites sur un beau plateau, au bord de la mer entre le port de Mers-el-Kebir et les bains de la reine. Puis, avant de les diriger vers les villages qu'ils devaient peupler, l'administration se décida à procéder à leur recensement complet, afin de déterminer la composition des familles, la profession des individus, leurs capacités, leurs ressources. Il semblera assez étrange que pareille préoccupation ne soit pas venue avant leur embarquement et il est regrettable qu'un document de cette valeur ait été égaré, â moins que, comme beaucoup d'autres, il soit enfoui dans les archives du ministère de la guerre à Paris.

Où allait-on envoyer ces colons allemands? A cette époque, les considérations militaires primaient toutes les autres. Or, dans les sphères militaires, la prise de possession effective de l'Oranie devait s'appuyer sur notre installation incontestée dans un triangle dont la base était la côte et le Sahel entre Oran et Mostaganem. Ouvrir sur cette côte et dans ce Sahel des routes militaires, y multiplier les centres, occuper ainsi fortement le pays, de telle sorte que les travaux militaires viennent en aide à la colonisation et réciproquement, voilà le but poursuivi.

On travaillait alors à tracer une route de Mostaganem à Arzew et d'Arzew à Oran. Sur cette route seront placés les futurs centres allemands et ainsi furent choisis la Stidia à 4 lieues de Mostaganem et Muley-el-Magoug (appelés plus tard Sainte-Léonie du prénom d'une fille du Maréchal Bugeaud) à 7 kilomètres d'Arzew. On songea même à mettre quelques familles à Ain el-Djer à 3 lieues d'Oran, mais, comme en ce temps, le pays n'était pas sûr et que les villages devaient être assez peuplés pour pouvoir se défendre au besoin eux-mêmes pendant quelque temps, on s'en tint aux deux premiers; la Stidia recevrait 80 à 90 familles, Muley-el-Magoug 40.

Le temps pressait. On était au 9 octobre. Séjournant trop longtemps à Mers-el-Kebir, ces familles prussiennes dépensaient leur argent, se décourageaient et la saison favorable aux travaux passait.

D'autre part le gouverneur avait recommandé de les retenir à Mers-el-Kebir, jusqu'à ce que leur installation provisoire fut bien assurée dans les centres futurs. Or, la commission d'enquête pour la Stidia, venait à peine de déposer son rapport; un bataillon, fournissant 280 travailleurs, n'y était installé que depuis le 25 septembre.

Cependant quelques familles prussiennes y avaient été envoyées et elles fournissaient à la main-d'oeuvre militaire 17 ouvriers d'art dont on payait le travail au même tarif que celui des ouvriers militaires.

En présence de ces exigences de la situation et des instructions contraires du Gouverneur, le maréchal de camp, commandant par intérim la province d'Oran, d'Abouville, ne sait où donner de la tête. Il fait part de ses hésitations au ministre.

Nouvelle lettre le 25 octobre. La situation s'améliore. D'Abouville rentre d'une inspection. I1 a trouvé les travaux de terrassements très avancés ; on commence à cultiver les jardins et les arabes vont bientôt ensemencer les terres. Le mauvais état de la mer a cependant empêché depuis quelques jours de faire parvenir sur le terrain les dernières familles qui restent à Mers-el-Kebir.

Enfin une dernière lettre de d'Abouville, datée du 8 novembre, nous annonce l'arrivée de tous les colons prussiens à la Stidia, II n'était que temps ; car il y est dit: l'état sanitaire des colons établis à la Stidia est excellent. Quant à ceux qui viennent d'y arriver, leur état sanitaire est peu favorable. Cette population se perdait à Mers-el-Kebir dans l'oisiveté, le découragement et aussi la débauche; je pense qu'une fois sur son terrain, elle travaillera et se rétablira rapidement.

Cette appréciation défavorable sur l'état physique et moral d'une partie de la colonie allemande est confirmée par un dernier rapport du maréchal Bugeaud. A peine revenu en Algérie, le maréchal avait tenu à constater par lui-même où en étaient les travaux exécutés à la Stidia et quelle était cette population allemande qu'on lui avait envoyée, qu'on lui avait imposée, qu'on avait préférée à ses soldats laboureurs. Il consacra une journée entière, celle du 20 novembre, à l'inspection minutieuse de ce village en formation, et, encore sous l'impression première de ce qu'il vient de voir, il écrit à 10 heures du soir du village même de la Stidia la très curieuse lettre que voici et que nous reproduisons in-extenso à cause de son intérêt tout particulier:

A Monsieur le Ministre,

Je viens de consacrer un jour entier à l'inspection minutieuse de l'établissement des Prussiens à la Stidia.

J'ai été en général très satisfait des travaux exécutés par les troupes et de toutes les dispositions paternelles et de bonne administration prises à l'égard des malheureuses familles qui ont été jetées sur le sol africain.

J'ai trouvé des fours à chaux et un four à briques en pleine activité. On fabrique aussi du plâtre, des tuiles creuses, des tuyaux de fontaine et même on a commencé de la poterie avec une terre qui parait excellente et qui sera, je le crois, propre à la faïence. Plusieurs carrières de moellons et de pierres de taille sont ouvertes et donnent de très bons matériaux. L'enceinte de cet immense village est faite aux deux tiers; une bonne route est pratiquée presque jusqu'à la mer pour aborder à un petit débarcadère par où, avec quelques travaux, on pourra recevoir avec moins de frais des bois de construction.

Le bataillon chargé des travaux a fait un beau jardin qui est déjà presque tout ensemencé, en vue de fournir aux Prussiens beaucoup de plants de légumes. La plupart des jardins des colons commencent à être en culture et on remarque déjà quelques semences levées. Enfin environ 240 hectares ont été ensemencés en orge et en froment par des corvées arabes sous la direction du bureau arabe de Mostaganem.

J'oubliais de vous dire que plusieurs maisons commencent à sortir de terre et que deux sont prêtes à recevoir la couverture.

On n'a pu commencer que très tard la construction des maisons parce qu'il fallait au préalable avoir créé les fours à chaux et extrait de la pierre. À présent que cette installation préparatoire est faite, les constructions marcheront beaucoup plus vite, mais quelle que soit l'activité qu'on y mette, on n'achèvera pas avant quatre mois la construction d'une. centaine de maisons.

Dans des vues d'économie et d'accélération du travail, j'ai décidé contrairement à l'avis du conseil d'administration que les maisons seraient couvertes en terrasses à la manière des Maures. Le grand avantage de cette méthode est que, plus tard, les familles quand elles auront quelques ressources pourront élever leurs maisons d'un étage et que la terrasse actuelle pourra servir de plancher à cet étage. Si l'on eut continué à couvrir en tuiles, il aurait fallu des bois plus longs et l'on eut été contraint de faire venir des tuiles d'Espagne ou d'attendre fort longtemps la fabrication de la tuilerie que nous avons établie sur les lieux, tandis que l'on aura tout de suite les terrasses et qu'elles coûteront moins que les tuiles.

- J'arrive à l'examen de la population de cette colonie:

Pendant que j'inspectais les travaux, j'avais ordonné que les familles prussiennes fussent réunies en groupes séparés en avant de leurs baraques.

Vous savez, Monsieur le Ministre, que je n'avais vu arriver les prussiens qu'avec une extrême répugnance. Je présumais bien que, puisqu'on n'avait pas voulu les embarquer pour l'Amérique, les familles étaient mal composées et surtout fort misérables. Hélas! mes suppositions étaient encore bien loin de la réalité. Je ne puis vous exprimer le sentiment pénible que j'ai éprouvé en voyant ces malheureux. Sur 467 individus qui sont à la Stidia, il n'y a que 84 hommes. Encore si c'étaient des hommes vigoureux! mais, pour la plupart, ils sont faibles et maladifs ; beaucoup ont les yeux très malades ; presque tous ont les membres décharnés et les muscles de la face ont presque disparu. C'est à peine si, parmi eux, on pourrait en trouver une quinzaine susceptibles de faire un travail énergique. Les mères de famille sont à peu prés dans le même état physique. Les enfants de 8 à 15 ans ont une meilleure mine et présentent des espérances.

Au total, il n'y a que fort peu de travail à attendre de cette population. On leur a semé leurs graines, il faudra les leur récolter en majeure partie, car ils sont parfaitement incapables de recueillir des récoltes qui s'étendent â 3/4 de lieue à l'Est et à l'Ouest du village.

En considérant avec attention ces chétives créatures, il est aisé de prévoir qu'il faudra les tenir plusieurs années sous la tutelle paternelle de l'armée ou de l'administration civile. Il faudra surtout les garder, car une douzaine de cavaliers arabes les détruiraient en un instant.

J'avoue que je n'ai pu m'empêcher de déplorer que tant d'efforts de la part de nos soldats, tant de dépenses de la part de l'Etat soient appliqués à une population qui est si loin de répondre au but que nous devons nous proposer.

Plusieurs chefs arabes, escortés par un certain nombre de cavaliers m'avaient accompagné dans cette revue; je me suis empressé de leur expliquer que les familles qu'ils voyaient devant eux n'étaient pas françaises, que c'étaient des pauvres venus d'Allemagne en France, et que, n'ayant pas de terres à leur donner, parce que tout était en culture, on les avait envoyés en Afrique par charité. Leur laisser croire que les Prussiens étaient des Français, c'eut été leur donner de nous une idée fâcheuse et il importe beaucoup à notre puissance morale qu'il n'en soit pas ainsi.

Ah ! je vous en conjure, Monsieur le Ministre, dans l'intérêt de la France et de la colonie, qu'il ne soit plus envoyé de ces convois en masse (le familles d'Outre-Rhin, admises sans examen préalable et vigoureux. Et d'ailleurs, qu'avons-nous besoin de familles allemandes pour peupler notre colonie, quand nos sous-officiers et nos soldats m'accablent tous les jours de leurs demandes pour coloniser! Mais, si l'on est assez mal inspiré pour ne pas se servir de cet excellent élément, soyez convaincu que quand nous ferons aux frais de l'Etat et avec les bras de l'armée, des villages comme les deux que nous faisons pour les Prussiens, nous trouverons des familles françaises pour les occuper. S'il nous en est venu peu jusqu'à présent, c'est premièrement que nous n'avons pas pris ces grands moyens pour les attirer, secondement que très peu de familles de cultivateurs ont les avances nécessaires pour faire leur établissement et vivre pendant la première année; celles qui ont ces avances se décident difficilement à venir en Afrique. Il ne faut donc compter que sur les prolétaires pour créer la masse de la colonisation, et voilà justement pourquoi il faut que l'Etat intervienne avec ses écus et avec son armée.

On trouvera bien quelques familles ayant quelque aisance qui viendront s'établir dans la banlieue de nos villes de la côte; mais plus au loin on n'aura en général que du prolétaire; eh bien! prolétaires pour prolétaires, ne vaut-il pas mieux prendre des Français et de préférence des Français choisis par les conseils de révision disciplinés et aguerris.

Signé : Maréchal Duc d'IsLy.

P. S. Il y a parmi les Prussiens des familles sans chef, composées d'une mère et de plusieurs petits enfants ; d'autres où il n'y a que des enfants sans père ni mère; enfin il y a des hommes seuls qui ont perdu leurs femmes et leurs enfants ou qui n'ont jamais été mariés. J'ai l'honneur de vous envoyer copie des décisions que j'ai prises après avoir apprécié la situation.

Suit l'énumération des ordres laissés à la Stidia par le gouverneur. Mais combien curieuse, combien intéressante est cette lettre!

Non seulement elle nous renseigne sur les mille détails matériels de la création d'un centre, mais elle nous fait connaitre l'état dans lequel se trouvait la population qu'on allait charger de coloniser toute cette partie de la côte. Dénuement complet, état maladif des uns, épuisement des autres, lassitude de tous, incapacité au travail, enfin composition anormale, n'était-ce pas assez pour faire présager l'avortement d'une pareille tentative?

Toutefois, si l'on songe au dépit qu'avait conçu le Maréchal en voyant préférer à son système de colonisation militaire un système de colonisation étrangère, dépit qui perce dans toutes les lignes de cette lettre et qui s'exprime même fort vivement par endroit, ai l'on se rappelle et le séjour prolongé de ces émigrants à Dunkerque dans un état misérable, et la longue traversée qu'ils venaient d'accomplir, entassés les uns sur les autres et probablement mal nourris, enfin si l'on n'oublie pas leur séjour à Mers-el-Kebir, au milieu d'un camp dans l'oisiveté et dans la débauche, les ombres dont le maréchal a chargé son tableau, sans se dissiper, s'éclaireront et peut-être s'atténueront.

Du moins y avait-il dans la composition même de cette colonie un espoir et c'est ce que ne semble pas comprendre Bugeaud ou ce qu'il ne veut pas voir. Il se plaint de ce qu'il y ait si peu d'hommes et de femmes et de ce qu'il s'y trouve tant d'enfants. Sans doute, c'était un danger pour les premières années. Période difficile à traverser en el%t que celle où les enfants grandiraient sans produire, où quelques bras affaiblis devaient travailler pour subvenir à la nourriture de tous! mais, après ces années difficiles, n'était-on pas en droit d'espérer que la colonisation prendrait un vigoureux essor de tant de bras jeunes qui la serviraient, d'autant mieux que cette jeune génération présentait (Bugeaud le confesse) assez bonne mine. Et puis, quand un peuple est si prolifique, faut-il douter de sa constitution robuste! que ces émigrants aient été affaiblis par tant de vicissitudes, que la vigueur de leur corps et l'énergie de leur âme aient fait place, au moment où ils arrivaient au port après la tempête, à la lassitude et au découragement, qui s'en étonnera? mais n'allaient-ils pas se ressaisir et se mettre résolument à la tâche! Il n'en reste pas moins, et la lettre du Maréchal le prouve éloquemment, que si l'essai tenté l'était dans des conditions en réalité très favorables pour tout ce qui connait le milieu physique et les soins matériels dont on entoura la naissance de ce centre, il l'était au contraire dans des conditions en apparence très fâcheuses si l'on regardait la population qu'on venait d'y transporter. En tout cas, il était trop tard pour revenir sur cette mesure, et, le 4 décembre 1846, fut signé par Louis Philippe le décret de création du centre de la Stidia. II stipulait ce qui suit:

ART. I. - Il est créé dans la province d'Oran, sur la route de Mostaganem à Arzew, à 15 k. de la première de ces villes et à 33 k. de la seconde, au lieu dit la Stidia, un centre de population d'au moins cent vingt familles européennes.

ART. II. -- Le centre formera, sous le nom de la Stidia, une commune dépendant du commissariat de Mostaganem avec un territoire de 2,000 hectares qui sera ultérieurement délimité.


V. DEMONTES Alger 4 mai 1902