Barrage - Precurseurs

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962
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LES GRANDS BARRAGES D’AVANT 1900


Sur les barrages-réservoirs d'avant 1900, grands seigneurs si l'on veut bien imaginer ce qu'était la technique des Travaux publics avant la fin du siècle dernier, nous avons heureusement des documents, incomplets certes, mais cependant utilisables.

De ces ouvrages, négligeant ceux (ils sont rares) qui ont complètement disparu, sans que les dossiers d'archives permettent de reconstituer la cause réelle de leur ruine, nous retiendrons, en les citant d'Ouest en Est:

— le barrage du Kef, sur l'Oued Tafna;

— le barrage de Saint-Lucien, sur l'Oued Tlelat;

— le barrage du Sig, sur la basse Mekerra;

— le barrage de Saint-Aimé, sur l'Oued Djidiouia

— le barrage de Meurad, sur l'Oued Djabroun.

Il sera parlé plus loin, car ils valent chacun qu'on s'y arrête plus longuement et, de plus, tous trois ont subi de profondes modifications après 1900,

— du barrage des Cheurfas, sur la basse Mekerra, à l'amont du barrage du Sig;

— du barrage du Fergoug, sur l'Oued el Hammam;

— du barrage du Hamiz, sur l'Oued du même nom.

Ces trois constructions, fort importantes, appartiennent cependant, on doit le souligner, à l'ensemble des travaux hydrauliques réalisés bien avant la fin du siècle dernier.

Les cinq ouvrages énumérés d'abord sont des barrages-poids; parmi eux, seul le dernier (Meurad) est une digue en terre, les quatre autres étant, avec des modalités d'exécution diverses, en maçonnerie.

LE BARRAGE DU KEF, pour lequel nous ne possédons que des renseignements très fragmentaires, est situé sur l'Oued Tafna, à peu près à mi-distance entre Tlemcen et Oujda, à une dizaine de km à l'aval du nouveau barrage des BeniBandel.

Construit probablement entre 1865 et 1870, il a une quinzaine de m de hauteur, mais la hardiesse de sa conception le rend digne de mention.

Le corps de l'ouvrage est constitué par des enrochements posés à sec et soigneusement rangés à la main, puis maçonnés à la chaux d'une manière évidemment rudimentaire. Le massif d'enrochements est revêtu d'une bonne maçonnerie de pierres de taille. L'ensemble est couronné par un dé de béton de construction beaucoup plus récente permettant le déversement de crues importantes (ordre de grandeur: 400 m3/s), correspondant à une lame d'environ 2,00 m sur les 70 m de longueur de l'ouvrage.

L'encastrement de cet ouvrage, dont la hauteur est un peu supérieure à la largeur à la base, est très sommaire; de plus, la protection contre les érosions d'aval par des perrés maçonnés est extrêmement réduite pour un ouvrage déversant: elle est réalisée par de la maçonnerie de qualité fort médiocre.

Malgré tous ces facteurs, le barrage du Kef ne montre aucune trace de fatigue; en fait, il semble bien que l'auteur ait réalisé, sans le savoir, des conditions telles que la partie centrale de l'ouvrage se comporte pratiquement comme une voûte.

La cuvette est aujourd'hui, et depuis longtemps sans doute, complètement engravée; mais l'auteur n'a probablement pas voulu faire de l'accumulation des eaux, son but étant simplement d'installer la prise d'eau à la cote imposée par la desserte du périmètre à irriguer (plaine de Marnia). L'équipement aval du barrage des Beni-Bandel rendra inutile le petit barrage du Kef.

On doit donc retenir du barrage du Kef que, construit sans précautions sérieuses et selon une technique qui n'a pas été retenue par la suite, il n'a pas échappé au danger de l'engravement, qui menace tous les ouvrages ne correspondant pas à une cuvette surabondante, même lorsque la rivière traitée est réputée, à juste titre, comme n'offrant que des débits solides relativement peu importants.


LE BARRAGE DE SAINT-LUCIEN, sur l'Oued Tlelat, à 12 km environ au Sud de Sainte-Barbe-du-Tlelat

L'Oued Tlelat, à l'emplacement choisi, draine un bassin de 123 km' environ. Les précipitations très irrégulières atteignent en moyenne 4io mm. On connaît une année (septembre 1892-août 1893) extrêmement sèche où la hauteur de pluies fut de 35 mm au pluviomètre du barrage. L'oued est lui aussi très capricieux. Le débit annuel moyen est de 2,4 hm3, soit 75 l/s

Le projet de construction sur l'Oued Tlelat d'un barrage en terre de 26,62 m de hauteur était présenté à l'approbation de l'Administration supérieure par l'Ingénieur en Chef Aucour, dès le 19 mars 1859. Il devait permettre l'alimentation en eau potable du centre de Sainte-Barbe-du-Tlelat et l'irrigation d'un périmètre couvrant 350 ha par accumulation de 1.500.000 m3. C'était pour l'époque un très grand ouvrage. Certes, il existait déjà de nombreuses digues en terre aux Indes et à Ceylan, et à la même époque de nombreux projets étaient à l'étude ou en cours de réalisation aussi bien aux Etats-Unis qu'aux Indes.

On ne sait si AUCOUR en avait eu connaissance. On ignore également s'il y eut une liaison entre les deux projeteurs, l'Ingénieur en Chef Aucour et le Capitaine MALGLAIVE qui, en 1851, lançait le projet de Meurad dont on parlera tout à l'heure. On ne retrouve rien dans les archives; il semblerait donc qu'aucune liaison d'ordre technique n'existât entre les départements d'Alger et d'Oran.

Le projet de l'Ingénieur en Chef AUCOUR fut réalisé en 1860, et le barrage mis en eau en 1861. Il comprenait un massif de terre, assis sur le rocher, long de 146 m, de près de 27 m de hauteur et d'une largeur en tête de 2 m; les talus amont et aval, démunis de protection, étaient réglés respectivement à 3 pour 1 et 1,5 pour1i. Un déversoir entaillé dans le rocher permettait l'évacuation d'un débit de crue de 3o m3/s en maintenant le plan d'eau à r m au-dessous du couronnement de l'ouvrage.

Pendant les travaux, l'oued fut dérivé par un aqueduc construit sous l'ouvrage. Le remblai fut, semble-t-il, très bien fait (à l'inverse de celui de Meurad, comme nous le verrons plus loin) par couches de 10 à 15 cm soigneusement arrosées. Il fut, de plus, exécuté rapidement de septembre 186o à avril 1861. On prit la précaution de cuber les emprunts et l'ouvrage; l'écart fut de 3.700 m3 pour un cube de digue de 89.000 m3, soit un foisonnement faible (de l'ordre de 1/20e); d'où il résulte, comme nous le disions, que le remblai fut bien tassé.

La mise en eau fut lente et se fit pendant les travaux, l'aqueduc sous barrage ne laissant pas passer un débit suffisant; elle ne révéla aucun défaut ni tassement anormal; seul un léger affouillement (dû au clapotis de l'eau d'après les rapports de l'époque), atteignant 25 à 40 cm, fut observé sur le talus amont de l'ouvrage après les crues d'octobre 1862.

Le 1er novembre de la même année, la digue fut rompue et pratiquement détruite. Il ne semble pas que l'eau ait dépassé le niveau du déversoir (cote 280), celle de la crête de l'ouvrage étant 282. Les traces, bien visibles à l'époque (paraît-il), montrent que la rupture se produisit pour la cote 277 du plan d'eau.

Bien que la digue ait été bien faite, la rupture devait se produire et ce, pour deux causes essentielles: mauvaise étanchéité et déversoir insuffisant.

Si la première n'avait pas joué, la rupture serait intervenue plus tard. En effet, l'évacuateur n'était capable que de 30 m3/s. Nous verrons plus loin qu'en 1882 l'Oued Tlelat débita 165 m3/s. Mais le hasard voulut que le manque d'étanchéité jouât le premier. En effet, le barrage repose sur des calcaires fissurés et aucune injection ne fut faite, aucune précaution ne fut prise, bien au contraire. Aux endroits où la pente des rives était trop considérable, on fit des mines pour créer des aspérités qui, dans l'esprit des Ingénieurs, devaient améliorer l'ancrage.

Il est bien probable que la cause profonde de la catastrophe fut une circulation fissurale au niveau du terrain (ou peu profonde) sur la rive gauche. Le barrage fut sucé par l'aval et probablement détruit en très peu de temps. Cet accident, et l'examen que nous avons pu faire de bien d'autres emplacements d'ouvrages, nous conduisent à une conclusion à nos yeux indiscutable:

En pays calcaires, si l'on ne peut trouver un type de barrage dont la sécurité puisse être assurée, même si l'on n'est pas sûr de l'étanchéité, il ne faut pas construire’‘. Nous verrons plus loin que les remèdes existent et que presque toujours on peut assurer l'étanchéité, mais le traitement est fort coûteux et il ne faut jamais se contenter d'une demi-solution.

En 1870, un nouveau barrage, cette fois en maçonnerie, fut construit au même emplacement mais, soit par crainte, soit en raison de l'insuffisance des crédits, il fut arasé à la cote 274, c'est-à-dire 6 m plus bas que l'ancien ouvrage. Calculé selon une méthode en usage à l'époque, il présentait un profil nettement insuffisant. Il fut renforcé en 1904 par la construction des trois contrefort. Comme tous les ouvrages de cette époque, la zone déversante est insuffisante.


LE BARRAGE DU SIG (=petit barrage de SAINT-DENIS-DU-SIG), sur l'Oued Mekerra, à 2 km au S de Saint-Denis-du-Sig

C'est un barrage-poids construit en 1846 et surélevé en 1858, finalement victime de la crue anormale provoquée par la rupture du barrage des Cheurfas, dont il sera parlé plus loin (8 février 1885). Toutefois l'emplacement qu'il occupait et sa construction ont une histoire digne d'être rappelée.

La première étude retrouvée date du 4 novembre 1843. Elle est due à un capitaine du Génie de Mascara dont le nom n'est plus connu, qui fit, semble-t-il, la première reconnaissance à la fin de l'été 1843 et fut frappé par la description qu'un vieux caïd lui fit de la prospérité passée de la région du Sig lorsque le barrage turc existait. Son rapport enthousiaste est probablement à la base de la reconstruction de ce barrage. En mai 1844, le Capitaine DE VAUBAN, Chef du Génie d'Oran, reprenait la question et dressait le projet d'un barrage-poids rectiligne de 9 m de hauteur et de 9 m d'épaisseur alors que, dans le premier rapport, il est dit: On cintrera aussi le barrage vers l'amont, attendu qu'on lui donnera ainsi toute la stabilité que reçoit une voûte de la résistance indéfinie de ses pieds-droits. Il est regrettable que ce précurseur des barrages-voûtes n'ait pas été suivi ici, et ailleurs pendant longtemps. Le projet du Capitaine DE VAUBAN, remarquable par sa présentation, fut approuvé et réalisé. On trouve dans son rapport un exposé des motifs extrêmement détaillé et dont nous reproduisons quelques paragraphes.

Le point où l'Oued Sig quitte les montagnes pour pénétrer dans la plaine est réellement extrêmement remarquable. Après avoir parcouru une vallée de 100 m environ de largeur dans un direction à peu près O-E, le Sig tourne brusquement au N, et se trouve tout à coup resserré entre deux rochers séparés l'un de l'autre par un intervalle moyen de 30 à 35 m sur une largeur de 50 m, sans qu'il lui soit possible d'éviter ce défilé, et sans qu'on puisse sans des travaux immenses lui donner une autre issue.

Ce point est donc bien ainsi que l'ont appelé les Arabes: la porte des eaux de la plaine; c'est bien là où tous les possesseurs du Tell ont fixé la place du barrage. Ces énormes blocs de roche plus dure que les grès, que les eaux ne peuvent ni dissoudre ni tourner, sont les points d'appui naturels du mur de soutènement des eaux; c'est contre eux qu'il doit s'arc-bouter, c'est dans leurs flancs qu'il doit s'incruster. Ils sont absolument nécessaires pour mettre à l'abri des affouillements latéraux qui ne laisseraient pas, au barrage que l'on essayerait ailleurs, une année d'existence.

Je ne pense pas que l'opinion contraire puisse se soutenir, si on réfléchit que la tranche d'eau qui passera par-dessus la crête de l'ouvrage sera quelquefois de deux mètres.

Les anciens avaient parfaitement compris cette nécessité d'appuyer aux flancs des roches les extrémités de leur ouvrage. Les trois barrages dont les ruines gisent encore sur le sol le démontrent suffisamment. Nous ne saurions affirmer toutefois si ces trois barrages sont les seuls qui aient été construits en ce point. Il est certain que la plaine du Sig, et le point du barrage en particulier, avaient fixé l'attention des Romains, de ce peuple éminemment agriculteur et si habile à augmenter, par des travaux d'art empruntés à une industrie d'un style simple et grandiose, les richesses du sol conquis par ses armes.

Il existe dans le voisinage du barrage, sur le flanc de cette montagne aujourd'hui sillonnée par nos mines, des ruines romaines considérables; nos explorateurs les ont reconnues pour celles de l'antique Quiza (Municipum), ville mauritaine qui devint romaine et fut érigée en municipe sous le règne de Juba II, avant-dernier souverain indigène de ces contrées.

Quiza au Ve siècle de l'ère chrétienne comptait au nombre des évêchés de la Mauritanie césarienne et resta romain au moins par les moeurs jusqu'à la fin du VII° siècle, époque de l'invasion arabe, ainsi que le démontrent les pierres tumulaires trouvées dans les ruines des trois anciens barrages.

Enfin tout nous porte à croire que le Sig n'est autre chose que le Flumen sigum, révéré des anciens comme une divinité; une inscription trouvée à une lieue en aval des barrages, au pont construit par l'Artillerie, permet encore de lire ces mots:

GENIO FLUMINIS NUMINII COLONIA SACRUM.

Tous ces débris ne seraient-ils pas à leur tour les débris d'un ancien barrage construit par les anciens habitants de Quiza, à l'époque où cette ville indigène, comme son nom l'indique, se colora des institutions et des moeurs romaines?

... Le dernier barrage, le seul dont nous puissions parler aujourd'hui avec certitude, avait environ 10 m de hauteur au-dessus du lit de la rivière, sur une épaisseur de 10 m. Il était construit uniquement en béton, formé de cailloux concassés; ce béton, moins bon que celui du second barrage, est pourtant suffisamment résistant; le mortier paraît avoir été fait avec de la chaux grasse simplement et le sable rouge et très fin du pays. La difficulté, ou le prix de l'extraction, a fait sans doute qu'au lieu de la pierre de rochers, on s'est servi des cailloux de la rivière.

En résumé les éléments de ce travail étaient bons et ce n'est point aux matériaux qu'il faut reprocher le peu de durée de cette construction.

Il faut attribuer la rapide destruction de cet ouvrage à l'absence complète de fondation; les eaux, par leur chute sur les graviers, ont produit des affouillements que l'on aperçoit encore aujourd'hui. Si les constructeurs de cet ouvrage eussent placé en aval des enrochements dont les anciens paraissent avoir ignoré complètement l'usage et l'efficacité, sa chute eût été au moins reculée; mais le barrage une fois construit sans enrochements, les Arabes ne s'en sont plus occupés; les premiers affouillements produits, on n'y a pas remédié, on aurait voulu qu'on n'aurait peut-être pas pu, faute de s'être ménagé la possibilité de vider le bassin d'amont; et l'ouvrage a été emporté au grand désespoir des populations algériennes.

Il s'agit aujourd'hui de rendre à cette plaine immense le principe de fécondité qu'elle a perdu, et d'en faire le grenier de la ville d'Oran; il s'agit non seulement de rendre aux tribus arabes une prospérité si vivace encore dans leurs souvenirs, il faut créer en ce point, milieu de la route de Mascara à Oran, un centre de population européenne. Déjà, sur la foi du barrage, de nombreuses concessions sont demandées, et il n'est point d'établissement agricole qui se présente sous de meilleurs auspices

Ce barrage, construit par le Service du Génie et terminé en 1845, avait 40 m de longueur en crête, 9 m de hauteur au-dessus de l'étiage d'aval, et 9 m d'épaisseur. On espérait pouvoir le fonder sur le rocher dans le lit même de la rivière, mais cet espoir a été déçu, et on a dû se contenter d'encastrer le barrage sur une hauteur de 5 m dans le banc de gravier qui constitue le fond de la rivière. Une crue survenue le 10 janvier 1848 causa quelques dommages au barrage et démontra la nécessité de le protéger fortement contre les affouillements. On se décida à raccorder la crête du barrage avec le fond de la rivière en aval au moyen d'un massif de gros enrochements et de blocs naturels recouvert à sa partie supérieure par un glacis maçonné incliné à 4 de base pour r de hauteur.

Le 31 juillet de cette même année avait lieu une inspection par l'Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées THÉNARD, envoyé en mission en Algérie. Celui-ci constatait que, sous réserve de la bonne exécution de la fondation, le barrage devait tenir et représentait une très belle réalisation, et sa conclusion était: Tel qu'il est, le barrage du Sig est un travail remarquable. Il produira et a déjà produit un grand effet moral dans le pays’‘.

Mais, dès 1856, le développement pris par Saint-Denis-du-Sig nécessitait la construction d'un barrage régulateur.

Laissons parler l'Ingénieur MOLLARD qui, dans son rapport du 29 décembre 1856, s'exprime ainsi: Le barrage dont nous avons dressé le projet a pour objet de retenir et d'emmagasiner les crues d'hiver de la rivière du Sig et de les conserver pour les cultures d'été.

Après avoir décrit le barrage existant, il ajoute: Depuis l'eau a acquis une grande valeur: aujourd'hui ce ne sont plus ni les bras ni les terres qui manquent, c'est l'eau.

Et il poursuit: En 1846, après l'exécution du barrage, on circonscrivit autour du village de Saint-Denis-du-Sig une zone d'environ 1.500 hectares, on l'allotit et on en fit la concession. Le genre de culture fut tel qu'on n'utilisait pas toute l'eau même à l'étiage, et dans les années qui suivirent, à deux reprises différentes, par suite de l'accroissement de la population coloniale, les limites de la zone déclarée irrigable furent étendues au point qu'elle contient aujourd'hui près de 7.500 hectares.

Pendant ce temps et depuis, la colonisation a progressé; de nouveaux centres se sont établis à l'amont le long du Sig, et en prenant leur part des eaux, ont diminué ce qui en arrivait dans la plaine. Les cultures industrielles, le tabac, le coton, la garance et autres, inconnues dans les premières années de la conquête, ont été importées en Algérie et y ont pris une extension surprenante. De sorte qu'aujourd'hui, si l'on peut arroser l'hiver une fraction suffisante de la zone d'irrigation, ce qu'on peut en arroser pendant l'été est tout à fait au-dessous des besoins et des moyens, autres que l'eau.

Il fut donc décidé de surélever le barrage existant de 6,50 m tout en conservant l'épaisseur de 9 m à la base. On obtenait ainsi une réserve de 3,4 hm3. De chaque côté du barrage fut établi un déversoir de trop-plein. Bien entendu, on ne se préoccupait nullement à l'époque du problème de l'évacuation des crues réelles, bien que le Capitaine du Génie DE BAYSSELANCE ait signalé, dans son rapport du 16 janvier 1848, la crue des 10 et 11 janvier 1848 qui avait déversé avec une lame de 2 m sur le barrage ancien. Dans la présentation à l'administration supérieure, l'Ingénieur en Chef Aucour dit simplement: ‘’Deux déversoirs, l'un de 10 m, l'autre de 18 m de longueur, servent à évacuer les eaux qui viendraient à dépasser le niveau supérieur du réservoir, les eaux traversant les déversoirs tombent sur un sol composé d'une roche très dure complètement inattaquable’’. Le 31 décembre 1857, l'Ingénieur MOLLARD recevait copie de la décision l'autorisant à commencer les travaux. Ceux-ci furent exécutés rapidement en 1858.

Le projet comprend un mur en maçonnerie hydraulique établi directement sur l'ancien barrage du Génie. Il a 16,50 m de hauteur, 9 m d'épaisseur à la base et 5,43 m au sommet; sa longueur à la partie supérieure est de 97,37 m. Il est encastré très fortement dans le rocher des deux rives. Deux déversoirs, l'un de 0,50 m sur la rive droite, l'autre de 32,27 m sur la rive gauche, servent à évacuer les eaux qui viennent à dépasser le niveau supérieur du réservoir fixé à r m au-dessous de la crête du barrage. Les eaux passant sur les déversoirs tombent sur un sol formé d'une roche très dure complètement inattaquable.

Dès 1866, des fuites importantes atteignant 400 1/s à barrage plein furent signalées. Fondé sur des terrains hétérogènes et généralement tendres (grès à peine consolidés du Pliocène ancien), fortement redressés, mais plongeant vers l'aval, le barrage ne pouvait être étanche; en 1869, le 8 juillet, l'Ingénieur ordinaire, constatait:

Sur la rive droite les fuites d'eau se produisent sur toute la hauteur des berges, leur débit a dépassé quatre cents litres à la seconde; il varie bien entendu avec la hauteur de l'eau emmagasinée dans le réservoir; il doit exister de véritables petits canaux dans l'intérieur de la montagne vu qu'on voit à l'aval l'eau sortir sur divers points en forme de jets d'eau ayant de 0,20 m à 0,30 m de hauteur.

... Comme on avait remarqué que les fuites se produisaient sur une longueur de 4o m environ à partir du barrage, nous exécutâmes en 1866 sur cette partie ('), un revêtement en béton séparé par des gradins en maçonnerie analogue à celui qui a été fait au barrage de Montaubry (Canal du Centre).

Ce revêtement arrêta les fuites pendant quelque temps, mais par mesure d'économie il n'avait pas été prolongé assez, les fuites se reproduisirent en amont; actuellement pour arriver à un résultat à peu près certain, il faut prolonger ce revêtement jusqu'aux marnes blanches de l'étage sahélien (partie supérieure du terrain tertiaire moyen) qui se trouvent à roc) m environ de l'extrémité du revêtement exécuté; nous nous occupons de dresser le projet de ce travail qui pourra être exécuté pendant les mois d'octobre et de novembre prochains si le Syndicat du Sig consent à payer la dépense qui s'élèvera au moins à vingt mille francs

Le revêtement préconisé fut exécuté; son résultat fut nul, comme le montre le rapport du 6 janvier 1870:

Après l'achèvement des revêtements exécutés cette année sur la rive droite du barrage, j'avais recommandé d'observer très attentivement la hauteur de la retenue d'eau à partir de laquelle les fuites reparaîtraient.

Lorsque le niveau de l'eau est arrivé à la cote 7,16 m, un petit suintement s'est déclaré contre le barrage dans les rochers à la cote 4,00 m environ.

Quand l'eau est arrivée à la cote 7,5o m, ces suintements ont donné lieu au même endroit à deux petites fuites presque insignifiantes.

‘‘Les deux fuites sont restées les mêmes jusqu'au 31 décembre à 3 h du soir, quoique l'eau du réservoir ait atteint la cote 13,4o m. A ce moment un roulement sourd s'est fait entendre et toutes les fuites ont reparu subitement avec un débit de 280 1 à la seconde.

Hier, 5 janvier, le niveau de l'eau était à 14,10 m, il continuait à monter quoique toutes les vannes fussent ouvertes; les fuites n'augmentent pas.

Enfin en 1871, un revêtement total de la rive droite fut entrepris et exécuté pour une somme égale au 1/5° du prix de construction de l'ouvrage. Les fuites furent réduites à quelque vingt litres par seconde.

En septembre 1876, un rapport officiel appelle l'attention sur l'envasement:

La construction du barrage a permis d'utiliser pour les irrigations de la plaine du Sig un volume d'eau variable selon que les hivers sont plus ou moins pluvieux, mais qui atteint en moyenne 14.000.000 m3 par an et de porter à 6.857 ha la zone des terrains arrosés; elle a changé de fond en comble l'aspect du pays, et lui a donné la salubrité qui lui manquait et une prospérité dont la province d'Oran offre peu d'exemples.

Malheureusement la capacité du réservoir diminue chaque année par suite des envasements et elle n'est plus suffisante pour retenir toutes les crues d'hiver; des observations faites régulièrement depuis la construction du barrage ont permis de reconnaître que 10.000.000 m3 d'eau vont se perdre à la mer tous les ans sans profit pour l'agriculture. De là, la nécessité de construire un barrage en amont du premier qui permettra de retenir toutes les eaux d'hiver et d'augmenter tout à 1a fois la zone des terrains irrigués et le volume d'eau distribué pour les arrosages d'été. Telle est l'étude qui s'impose actuellement au Syndicat des Eaux de Saint Denis-du-Sig et à l'administration supérieure qui a toujours pris en main le développement des travaux destinés à assurer la prospérité générale du pays.

Les barrages construits en amont furent celui de Tabia (digue en terre qui n'a pas laissé de traces), qui fut emporté par une crue de la Mekerra, et celui des Cheurfas, dont on parlera par ailleurs.

Les déversoirs du barrage du Sig étaient très insuffisants; ils permettaient d'évacuer une crue d'environ 100 m3 /s sans dégâts. Or, nous connaissons (hiver 1947-1948) une crue de plus de 750 m3/s à cet emplacement. On donnera les caractéristiques de la rivière au début de l'article sur le barrage des Cheurfas.

Mais on retient de cet historique détaillé et imagé que les premiers constructeurs se mirent à l'oeuvre dès après la pacification du pays avec une foi remarquable et une claire conscience des possibilités de mise en valeur par l'eau; ils ne tardèrent pas à se trouver aux prises avec des difficultés considérables: défaut d'étanchéité des appuis et engravement rapide de la retenue. Contre les premières, ils luttèrent avec des moyens techniques rudimentaires, mais avec une persévérance louable qui les mena, provisoirement au moins, bien près du but. Pour obvier aux conséquences de l'engravement, ils n'hésitèrent pas longtemps à concevoir la nécessité de construire d'autres barrages, malgré les déboires obtenus: l'oeuvre humaine de mise en valeur était commencée 'et portait déjà des fruits; il fallait arriver, non seulement à la sauvegarder, mais encore à la développer, quelle que soit l'importance de l'effort à envisager. Les anciens occupants de la contrée n'avaient-ils pas, d'ailleurs, donné l'exemple ?...

LE BARRAGE DE SAINT-AIME, sur l'Oued Djidiouia, fait partie de la série des barrages-poids en maçonnerie construits vers 1870. Haut de 16 m environ, il est fondé, comme le barrage de Saint-Lucien, sur des calcaires du Miocène supérieur; mais on a eu le bon goût d'éviter ici l'essai dangereux d'une digue en terre; malgré son maigre profil, l'ouvrage a été sans histoires. Ou du moins son histoire se résume-t-elle à ceci: toujours trop petit, il est, comme ses semblables et depuis fort longtemps, entièrement envasé.

Pourtant l'Oued Djidiouia est une rivière intéressante, ayant les caractéristiques suivantes

bassin versant: 800 km2;

hauteur de pluies moyenne: 465 mm;

écoulement annuel moyen: 30 hm3;

hauteur de pluies écoulées: 35 mm environ;

Dominant la zone relativement riche de Saint-Aimé, il est probable qu'il faudra un jour s'intéresser de nouveau à cette rivière; il est vraisemblable qu'une voûte pourrait être construite à l'emplacement du petit barrage-poids actuel.

LE BARRAGE DE MEURAD, sur l'Oued Djabroun . C'est l'un des plus anciens barrages construits en Afrique du Nord. Le bassin versant couvre 18 km' situés sur le versant N de l'Atlas. L'indice pluviométrique est de goo mm. L'ouvrage ne sert qu'aux irrigations d'été, car il y a bien un emplacement de barrage, mais il n'y a pas de cuvette. La rivière a un débit annuel moyen de 6 hm3, soit un peu moins que 200 l/s. Depuis 10 ans que le barrage existe, on ne connaît pas de crue ayant dépassé 20 M3/S.

Le premier projet de barrage date de 1851 et fut présenté par le Capitaine de Génie MALGLAIVE; l'ouvrage avait 24 m de hauteur et était muni d'un déversoir en puits. Le projet définitif, arrêté en 1852 par le Colonel BIZOT, fut exécuté entre 1852 et 1859, sans aucune précaution ni prudence, et en particulier sans respecter les données du projet du Colonel BIZOT.

Pour cet ouvrage fondé sur des roches basaltiques mises en place au Miocène et reposant sur des marnes du même âge ou plus anciennes (crétacées), on exécuta entre 1852 et 1854, d'abord la galerie de dérivation posée sur le basalte, de forme à peu près circulaire et de 3 m de diamètre, puis une première tranche de digue de même hauteur.

En 1855, on élevait la digue à 17 m de hauteur, sans pilonnage ni arrosage, au moyen de wagonnets déversant la terre à l'anglaise en deux couches, l'une de 12 m d'épaisseur, l'autre de 2,00 m.

En 1856, on faisait une couche d'environ 2 m.

En 1857, en procédant de même, on portait la hauteur de la digue, compte tenu des tassements, à près de 20 m et l'on prolongeait la galerie de quelques mètres.

Enfin, en 1859, on portait la crête de la digue à la cote 97 environ (cote des plans militaires); soit environ à 30 m au-dessus de la cote du terrain décapé de départ (soit 66 environ).

Ainsi cette digue a été faite, on peut le dire, n'importe comment, en cinq couches successives.

En 1862, le tassement ayant atteint, plus d'un mètre en certains points, on rattrapait ce défaut en rechargeant la digue.

Au fur et à mesure que l'on surélevait la digue, on montait la tour devant servir de déversoir. Mais les talus amont et aval n'avaient point été réglés et se trouvaient correspondre à l'angle de tenue naturelle des terres, soit sensiblement 1 pour 1,6 m. On fut obligé, pour remédier au foirage de la digue côté amont, de le revêtir. C'est le Capitaine DENFERT-ROCHEREAU qui le proposa en 1863, et l'on exécuta ce revêtement en gradins.

Enfin en 1867, après de longues discussions, la digue fut munie d'un déversoir de crues extrêmement sommaire qui consiste simplement en un canal latéral non revêtu, capable d'évacuer 25 à 30 m3/s, et arasé à la cote vraie (247,40), soit environ 6 m sous le couronnement de la digue, laquelle continuait d'ailleurs à tasser.

Actuellement le parement aval est recouvert par une végétation abondante, en particulier d'arbres ayant des troncs de 40 à 50 cm de diamètre.

Les tassements sont à peu près terminés, le couronnement a une forme concave très accentuée. L'ouvrage emmagasine quelque 500.000 m3 pour une hauteur d'environ 26 m au-dessus des fondation.

La question de la surélévation s'est posée de nombreuses fois. Il serait certes imprudent d'y répondre par oui ou par non, sans examen de la question, et cet examen nécessiterait des sondages de reconnaissance qui n'ont jamais été faits. Il est probable qu'une telle opération ne pourrait être tentée qu'après avoir muni l'ouvrage d'un organe de vidange puissant capable, par exemple, d'évacuer 50 m3/s pour une cote du plan d'eau égale à la cote maximum actuelle. On peut en tout cas affirmer que Meurad est l'un des barrages en terre les plus audacieux du monde, sa largeur à la base étant d'environ 95 m pour près de 30 m de hauteur, et pour une charge d'eau voisine de 24 m.

La comparaison avec le barrage de Saint-Lucien est fort instructive: elle montre le rôle essentiel joué par les fondations et prouve, comme nous l'avons déjà dit, que l'importance du coefficient de sécurité ne peut être déterminée qu'après de nombreuses discussions entre l'Ingénieur et le Géologue. Telle fondation peut permettre telle audace, telle autre ne le peut pas. Les basaltes du barrage de Meurad sont très peu fissurés, et les fissures sont naturellement colmatées par des produits argileux provenant de l'altération de la roche elle-même. En tout cas, si les eaux ont une action sur la roche qui peut ‘’pourrir’‘, il ne saurait être question de départ de matière par dissolution, comme c'est le cas dans les calcaires. Le basalte peut donc fournir une fondation moins bonne que les calcaires comme résistance, mais on sait que cette particularité n'a pas une grande importance, s'agissant d'un barrage souple; en revanche, le risque de circulations faciles, à forts débits sous faibles charges, créant évidemment des possibilités de ‘’renards’‘ extrêmement dangereux, y est fort improbable.

De tout cela qui est, on le reconnaîtra, fort instructif, le lecteur tirera pour l'heure ce qu'il voudra, car nous ne voulons rien conclure. Un enseignement peut être tiré, parfois, des choses du présent, ou d'un passé récent, à la lumière d'un vrai passé, deux fois dépouillé, par le recul du temps d'abord, ensuite par la sélection naturelle des documents. Tel est donc ce qui reste de naguère, c'est-à-dire d'il y a fort longtemps tout de même. Quid d'hier et d'aujourd'hui ?...

MARCEL GAUTIER.

XIX Congrès Géologique International – Alger 1952