Etat AVANT Assi Bou Nif - Ville

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962
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Assi Bou Nif Nom actuel : ?

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Assi Bou Nif mon village

Assi-Bou-Nif tel est le nom du village dans lequel j’ai vu le jour, le 25 mai 1944 à 15 heures ; quel beau mois que ce mois de Mai dans notre belle Algérie. Tout est en fleurs, des odeurs par centaines se mélangent et dégagent des parfums indescriptibles, le ciel, d’un bleu pur, sans nuage, se reflète sur cette mer Méditerranée si prisée de nous tous. Labourage et pâturage étant les deux mamelles d'Assi Bou Nif, jamais désignation ne parut mieux choisie.

Une étymologie encore à éclaircir

Le gouvernement nous la laissa entrevoir, puis nous la retira et Assi Bou Nif resta Assi Bou Nif, « le puits du père des nez » disent nos arabisants à tort ou à raison je ne sais.

Plus certainement le nom du village dont le préfixe vient de l'arabe algérien « hassi » (puits) est suiv de « bou » (littéralement père) qui, selon Arthur Pellegrin (Essai sur les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie : étymologie, signification, SAPI, Tunis, 1949, page 153), dans les noms de lieux nord-africains renforce l'idée du déterminatif qui suit, ici « nif » (de l'arabe أنف , anif, nez). Assi Bou-nif ou Hassi Bou-nif signifierait donc plutôt « puits du gros nez ». Resterait donc à savoir à quoi fait référence ce "gros nez".

Cependant « nif » n'est peut-être pas à prendre dans son sens littéral « nez » ; en effet en Algérie le mot signifie « fierté, sens de l'honneur », ce qui donnerait comme autre signification « puits de grande fierté » ou « puits de l'honneur ».

Toujours est-il que ce village est né modestement, humblement ; certains autres villages ont grandi à la mode américaine ; Assi Bou Nif lui, est resté un tout petit village.

Géographie

Le village est situé à une quinzaine de kilomètres d'Oran, sur la route qui mène à Mostaganem et ses immenses plages de sable fin, en passant par l’incontournable Arzew.
Le plan du village n'est pas très compliqué, c'est un parallélogramme rectangle organisé en six rues : deux groupes de trois rues parallèles, perpendiculaires aux trois autres. Le fossé qui entourait autrefois le village a presque disparu. Dès que nous pénétrons dans la rue principale bordée de poivriers, nous ne ressentons aucune impression particulière. Tout respire l'aisance et la propreté. Les maisons sont basses ; une dizaine seulement possèdent un étage. Les rues sont larges, propres tout comme le sont les autres villages d'Algérie.

Histoire

Les débuts

Cette nouvelle colonie n’existait encore qu’à l’état embryonnaire, lorsque le premier contingent de colons y arriva, le 28 décembre 1848. Avant cette date, la colonisation était assez peu avancée dans les environs d’Oran. Les seuls centres créés étaient Misserghin, La Sénia, Valmy, Sidi-Chami et Sainte-Léonie (actuelle El Maghoun).
Il existait, il est vrai, un vaste projet mis au point en 1846 par le Général de Lamoricière, pour ce qu’il appelait son Triangle de Colonisation. Ce triangle dont les sommets étaient Oran, Mostaganem et Mascara, représentait une étendue de 80 000 hectares où le Général envisageait de fonder une vingtaine de nouveaux villages. Mais Louis-Philippe ne se préoccupait guère de peupler l’Algérie.
En revanche, la Seconde République, dès ses débuts, remit la colonisation à la mode. Lamoricière en effet était devenu Ministre de la Guerre. A côté de lui, Cavaignac revenu depuis peu du Sud-Oranais, et d’autres membres du Gouvernement, en particulier Lamartine, étaient des « colonialistes » convaincus.

Ajoutons que le nouveau régime allait avoir à résoudre sans tarder la crise économique qui ne cessait de s’aggraver en France depuis des années.

Des bras parisiens issus de la crise

Les progrès de l’industrie avaient attiré dans les grandes villes, surtout à Paris, et au détriment des campagnes, une population trop nombreuse que guettaient le chômage et toutes ses conséquences. L’ouverture des Ateliers Nationaux, loin de résoudre la crise, l’avait rendue plus sensible, en attirant à Paris de nouveaux bras inutiles. La solution qui apparaissait alors aux hommes d’Etat et souvent aux ouvriers eux-mêmes, était de rendre à l’agriculture ces bras dont l’industrie n’avait que faire. L’Algérie semblait un terrain tout trouvé.

On sait comment la fermeture soudaine des Ateliers Nationaux provoqua l'insurrection de Juin (22-26 juin 1848), et comment 11 000 prisonniers furent cueillis par la troupe. De 3 à 4000 furent aussitôt déportés en Afrique et envoyés au pénitencier de Lambèse. Ceux d’entre eux qui contribuèrent plus tard à la colonisation de l’Algérie, sont tous restés dans la province de Constantine. Mais il n’y a aucun rapport entre ces condamnés politiques des journées révolutionnaires et les ouvriers parisiens à qui le Gouvernement fit appel, trois mois plus tard.

Le décret du 19 septembre 1848 ouvre un crédit de 50 millions au Ministre de la Guerre pour l’établissement de colonies agricoles en Algérie.
L'arrêté du 27 septembre 1948 signé de Lamoricière signifie aux ouvriers parisiens les conditions d'admission dans ces colonies :

  • adresser une demande à la Mairie de leur arrondissement,
  • avoir moins de 60 ans,
  • obtenir un certificat de bonne moralité et d’aptitude physique.

Après quoi les futurs colons seraient transportés aux frais de l’Etat. A leur arrivée en Algérie, ils recevraient à titre gratuit des habitations, des lots de terre de 2 à 10 hectares et durant les trois premières années, toutes les subventions nécessaires à leur établissement. A l’expiration de ce délai, maisons et terres deviendraient leur propriété. Les demandes affluèrent, non seulement de la part des chômeurs dans le besoin, mais encore d’ouvriers qui avaient jusque là gagné convenablement leur vie. Tous ces volontaires de la colonisation étaient surtout séduits par le contrat qui leur faisait espérer trois choses précieuses entre toutes : la propriété, l’indépendance et la fortune.

Le nombre des colons, fixé d’abord à 12 000, fut porté à 13 500. En fait les convois qui se succédèrent jusqu’en 1850, transportèrent en Algérie environ 20 000 personnes. Dans la répartition des colonies qu’on allait fonder dans les trois provinces d’Algérie, celle d’Oran était de beaucoup la mieux pourvue. Elle devait cette faveur à Lamoricière qui n’avait eu qu’à reprendre dans les cartons du Ministère de la Guerre, le projet de colonisation adressé par lui à son prédécesseur.

Des villages comme s’il en pleuvait

C’est ainsi qu’on allait échelonner  :

  • entre Oran et Mostaganem : Assi-bou-Nif, Assi-Ameur, Fleurus (Hassiane Ettoual), Assi-ben-Okba, Legrand (Ben Freha), Mangin (El Braya) et Saint-Louis (Boufatis) ;
  • plus près de la mer : Arcole (Bir El Djir), Saint-Cloud (Gdyel), Kléber (Sidi Benyebka), Damesme (Aïn el Bia), Saint-Leu (Bethioua), Mouley-Magoum, Meffessour et le Vieil-Arzew ;
  • enfin autour de Mostaganem : Aboukir (Mesra), Rivoli (Hassi Mameche), Noisy-les-Bains (Aïn-Nouissy), Kharouba, Aïn-Tédelès, Tounin (Kheir Dine / Oued El Kheir ?) et Souk-el-Mitou.

Le premier convoi d’émigrants partit de Paris, en grande pompe, au début d’octobre 1848. Les autorités civiles, militaires et religieuses étaient sur les quais de la Seine, parmi la foule enthousiaste. Lamoricière harangua les futurs colons et l’Archevêque les bénit.

« C’était, a-t-on écrit, une espèce de croisade civile et sociale, en laquelle partants et restants croyaient avec foi ». 

Les départs se succédèrent rapidement jusqu’à la fin de l’année, avec le même cérémonial ; les convois s’ébranlaient aux accents de la Marseillaise et du Chant des Girondins, lequel subissait de temps à autre des variantes comme celle-ci : - Nourris par la Patrie, C’est le sort le plus beau...
Le Gouvernement avait fait aménager spécialement des bateaux plats, de 30 m sur 6, qui empruntaient la Seine, les canaux de Briare, de la Loire et du Centre, puis la Saône et le Rhône, presque toujours au pas lent des chevaux de halage.

A Marseille, on s’embarquait enfin sur quelque frégate, peu pressé d’arriver à destination.
Pendant que les émigrants voguaient vers l’Algérie, les Officiers chargés d’organiser les colonies agricoles employaient les soldats aux travaux les plus urgents.

Naissance d’un village

C’est ainsi qu’Assi-bou-Nif vit le jour, par les soins du Lieutenant Oudard, directeur adjoint, placé sous les ordres du Capitaine Millerou, directeur de la colonie de Saint-Louis.

Pour choisir l’emplacement des villages, l'Administration, avait cherché à résoudre en premier lieu la question de l’eau potable. Tous les nouveaux centres autour d’Oran avaient été placés auprès d’anciens puits ou hassi, dont les noms indigènes ont été souvent gardés sans changement. C’est notamment le cas d’Assi-bou-Nif.

Les soldats logeaient sous des tentes, à proximité de l’emplacement réservé au village qu’ils avaient mission d’aménager. Le plan était des plus simples : rectangle limité par des « boulevards » qui attendaient des arbres, rues coupées à angles droits, au centre la place destinée à recevoir l’église et la mairie. Le tout était fortifié, c’est à dire entouré de fossés, surmontés eux-mêmes d’un talus extérieur.

Aucune maison n’étant encore construite, les colons furent logés dans des baraques ou, comme les soldats, sous des tentes.
Par la suite la tâche assignée à l’armée devait rester multiple : creuser les puits, construire les habitations, participer au besoin aux divers travaux des champs ; sans parler du rôle de surveillance et de protection assuré par les patrouilles.
Le Directeur de la colonie avait sous ses ordres, non seulement les soldats, mais les colons soumis eux aussi au régime militaire. Chaque soir, le clairon sonnait l’extinction des feux. Dès les premiers jours, tous les hommes avaient l'obligation d'être présents, matin et soir, à l’appel du travail.
Des vivres et autres subventions devaient être distribuées comme prévu pendant les trois premières années. Une ration complète comportait par personne et par jour : 200 g. de pain pour soupe, 200 g. de biscuit, 200 g. de viande fraîche, 28 g. de chandelle, 18 g. de semoule, 200 g. de vin et 10 centimes d’indemnité. Les enfants de 2 à 12 ans recevaient une demi-ration, les plus petits ne touchaient rien. Il faut ajouter à ces distributions quotidiennes d’autres distributions périodiques de souliers, chapeaux, chemises et autres vêtements.

En 1851 les distributions cessèrent remplacées par une indemnité de cinquante centimes par tête.

Le tirage au sort des lots

L’arrêté du 27 septembre 1848 spécifiait que chaque colon recevra une « habitation que l’Etat fera construire dans le plus bref délai possible et qui satisfera strictement aux besoins de l’exploitation agricole ». Dès les premiers mois de 1849, la construction des maisons de colonie se poursuit activement à Assi-bou-Nif, par les soins des soldats. Le village avait été divisé en lots d’égale contenance. A mesure que les maisons sont prêtes, elles sont tirées au sort et livrées aux colons. La partie de chaque lot qui n’est pas bâtie, devient cours ou jardin.
Les rapports périodiques du Directeur donnent quelques précisions sur l’avancement des travaux.

  • En août 1849, parmi les « maisons de familles de deux chambres » 20 sont terminées et 26 à construire ; parmi les « maisons de célibataires de une chambre » 28 sont terminées et 28 sont à construire.
  • A la fin de 1851 25 maisons de quatre pièces et 9 maisons de deux pièces sont terminées, soit 59 logements. On connaît le style uniforme et l’architecture peu compliquée de ces maisons de colonie : peu de chaux dans le mortier, toiture basse, pas de plafond mais un plancher sous tuile, auvent pour protéger les murs.
  • Un rapport du 27 mars 1850 signale que les colons ont tous grande crainte de voir arriver les chaleurs sans que leurs maisons soient « carrelées », en raison des puces et autres insectes qui pullulent dans la terre et se développent avec une rapidité effrayante.
    Les édifices publics bâtis en 1849 sont également des maisons de colonie : l’une sert de mairie, l’autre d’église, une troisième de dépôt pour le ravitaillement. Un local est réservé pour l’école ; en attendant l’arrivée d’un personnel enseignant, les enfants sont confiés à une dame du village, Madame Fritz, qui n’a pas de diplômes mais toutes capacités, une grande moralité et des principes religieux.
  • En août 1849, on a déjà creusé 4 puits d’eau potable et 18 pour l’arrosage ; à la fin de la même année, il existe 26 puits, dans lesquels les eaux sont abondantes et de bonne qualité.

Les colons ont reçu dès le début, des instruments de travail à raison de 1 pioche, 1 bêche, 1 binette, 1 fourche de fer par famille ; d’autres outils sont fournis à quelques familles : râteaux, hachettes, …etc. Enfin 24 bœufs ont été envoyés à Assi-bou-Nif mais ils sont vieux et usés.

  • En mars 1850, le matériel de la colonie se monte à : 27 bœufs, 4 chevaux, 2 mulets, 22 charrues, 6 herses, 9 jougs à cou, 27 jougs à tête, 7 charrettes et tombereaux, 4 harnais, 89 pioches, 53 fourches, 69 bêches, 53 binettes.

Les inventaires des années suivantes ne sont pas beaucoup plus variés.
Un quart de siècle après l’arrivée des premiers colons il fallait un certain effort d’imagination pour se représenter les environs d’Assi-bou-Nif tels que les virent ces premiers colons. Le Directeur écrivait en 1849 :

« La terre est entièrement couverte de lentisques et de palmiers. Le lentisque est la plante
la plus répandue sur les terrains de la localité, il y forme des taillis très broussailleux ;
aussi le travail du défrichement y est-il très pénible et ne s’effectue-t-il que lentement.
Par compensation, les colons ont beaucoup de bois dont ils peuvent tirer bon parti ».

Les moyens de transport de la colonie sont mis à leur disposition pour aller vendre le bois à Oran. Il est vrai qu’en mars 1850, les routes qui relient le village aux autres centres de population sont toutes débroussaillées ; il ne reste plus qu’à les défricher et les empierrer.
La route d’Oran est la première à être aménagée. En raison des difficultés que présente le défrichement, les lots de culture ont été divisés en trois zones :

  • lots de jardins de 20 ares chacun autour du village 
  • lots de 2e zone de chacun 2 hectares à défricher immédiatement 
  • lots de 3e zone qui seront distribués et défrichés plus tard.

Les colons s’occupèrent d’abord des jardins.

  • A la fin de l’année 1849, le Directeur compte 54 jardins défrichés dont 21 entièrement et les autres au moins en partie ; pour l’époque des semailles, ajoute-t-il, il y aura, sans compter les jardins, 10 hectares de prêts.
  • En 1850, on a semé 21 hectares en orge, 3 en froment et 13 kilos de graines potagères dans les lots de la 1ère zone.
  • En 1851, on a défriché 160 hectares dont 94 sont semés en orge et 58 en blé.
  • En 1852, sur 188 hectares défrichés, 169 sont cultivés (60 en blé, 107 en orge, 1 en pommes de terre, 1 en plantes potagères).
  • En 1855, on compte 195 hectares de blé tendre qui produisent 567 hectolitres, 12 hectares de blé dur et 27 hectolitres, 11 hectares d’orge qui produisent 61 hectolitres.

On pense aussi aux arbres : 118 ont été plantés durant les 6 premiers mois.

  • Avant la fin de 1849, ce sont 80 mûriers que l’Administration fait planter sur la route d’Oran, et 38 autres qui le sont par les colons ; on a de plus distribué 27 boutures de vigne par famille.
  • En 1855, la place du village ainsi que les rues principales sont entièrement plantées d’arbres. On compte 300 sujets dans l’ensemble de la colonie.

Mais, Assi-bou-Nif n’a pas été peuplé par le seul contingent arrivé en décembre 1848.

Des colons venus d’un peu partout

Un peu plus que de France

La France n’avait pas cessé de recruter des colons, et de nouveaux convois continuaient d’amener des émigrants qui se dispersaient dans les différentes colonies. Assi-bou-Nif n’en reçut que quelques-uns en 1849, mais davantage en 1850 et durant les premiers mois de 1851. Les premiers registres de mariage et de décès, à défaut de tout autre document, indiquent que les premiers colons étaient originaires de :

  • Saint-Claude,
  • Besançon,
  • Aoste,
  • Clermont-Ferrand,
  • des départements du Tarn, de la Marne, de la Nièvre, de la Drôme, * du Pas-de-Calais.

La population est donc très mêlée; le dernier survivant des premiers pionniers, monsieur Eléonore Guyonnet, est décédé au cours du mois de janvier 1909.
Dès 1850, les noms alsaciens devinrent très nombreux: Heinrich, Kosper, Guckert, Roth, Schaeffner, Holzscherer, Küss, Kriss, Fritz. Cette population d'Alsaciens, vivant en groupe, sans trop se mêler au reste des habitants, eut tendance à faire bande à part. Quoiqu'il en soit, à Assi-Bou-Nif comme à Assi-Ameur, leurs maisons sont groupées dans un quartier qui leur appartient.

Une implantation difficile

Disons tout de suite que ces Français transplantés subitement en Afrique, allaient être soumis à une épreuve plus dure qu’ils ne l’avaient prévue. Beaucoup ne devaient pas surmonter. En effet, les colons, même les mieux disposés, durent constater bientôt que la bonne volonté ne suffisait pas et qu’ils n’étaient nullement préparés à leur nouveau métier. Ils découvrirent combien c’est une carrière ingrate quand on y entre vers le milieu ou le déclin de la vie, ce qu’elle exige de patience, de vigueur et de santé, enfin ce que la différence des climats y ajoute de peines, de difficultés et de mécompte.
Il ne se trouvait à Assi-bou-Nif qu’un petit nombre d’anciens ouvriers des champs, les autres avaient exercé les métiers les plus divers. On ne pouvait, écrit le Directeur après quelques mois d’expérience, s’attendre au moins cette première année, à un travail soutenu de la part de gens non acclimatés, et pour la plupart neufs au métier de cultivateur ; la pioche n’a guère de puissance entre les mains d’un bijoutier, d’un graveur et même d’un serrurier ou d’un charpentier. Le corps n’étant pas habitué à ce genre de travail, se fatigue vite ; et j’ai pu remarquer que ceux qui ont travaillé avec le plus d’ardeur et de courage, ont presque tous été les premiers malades. Pour former des agriculteurs, l’Administration avait, en 1849, désigné dans chaque colonie un moniteur agricole ; mais celui qui est chargé d’Assi-bou-Nif réside à Saint-Louis et en fait intervient peu. Un peu plus tard, le Directeur lui-même, muni d’un « Traité d’agriculture et d’hygiène appliquée en Algérie », fait aux colons des lectures commentées ; mais cette éducation théorique profite peu. Le meilleur professeur sera l’expérience qui viendra avec le temps.
En somme, de même qu’on a signalé plusieurs arrivées de colons entre décembre 1848 et les premiers mois de 1851, il faut enregistrer aussi de nombreux départs. Les 54 pionniers de 1848 avaient été assez vite catalogués par le Directeur en cinq catégories : treize d’entre eux, disait-il, en raison de leurs forces physiques, de leur courage, de leur ardeur au travail et de leur conduite devaient réussir ; douze autres qui n’offraient pas autant de garanties avaient encore quelques chances ; quinze autres par manque de force physique ou ignorance complète des plus simples connaissances de l’agriculture ne pouvaient que difficilement réussir ; enfin huit ne rêvaient que de leur retour en France et six étaient des indésirables. En fait, parmi ces 54 intéressés, 26 seulement se trouvent en 1851 sur la liste des concessionnaires, les 28 autres ont repassé la mer. Parmi les contingents de colons arrivés en 1849, 1850 et 1851, le nombre des départs n’a sans doute pas été aussi forte, mais les épreuves ont abouti au même triage qui n’a laissé à Assi-bou-Nif que les plus vaillants. Les colonies de 1848 ont eu parfois mauvaise presse.

Pour les juger aujourd’hui équitablement, il suffit sans doute, mais il est nécessaire, de distinguer une fois pour toutes, les défaillants qui reprirent le chemin de la France après un temps d’épreuve plus ou moins prolongé et les véritables colons qui ont continué de porter le poids des jours et de la chaleur, sous le ciel d’Afrique.

Des concessions très cadrées

L’étendue des terres à concéder en 1848, sur le territoire d’Assi-bou-Nif, était en principe de 800 hectares, partagés en 80 concessions. Chaque concession à son tour fut répartie en trois zones. D’après le régime établi pour les colonies de 1848, les concessionnaires recevaient d’abord un titre provisoire, qui ne pouvait être l’objet d’aucune substitution, aliénation ou hypothèque. Trois ans après cette prise de possession, les terres concédées étaient soumises à une vérification des travaux exécutés. Les colons qui, pour une raison sérieuse, n’avaient pas suffisamment mis leurs terres en état, pouvaient obtenir un nouveau délai. Enfin lorsqu’ils avaient mis en valeur la totalité des terres arables comprises dans leurs concessions, ils voyaient leurs titres provisoires convertis en titres définitifs et ils devenaient propriétaires incommutables des habitations construites pour eux et des lots qui leur avaient été affectés. Pendant les trois mois qui suivaient la délivrance du titre définitif, les colons ne pouvaient aliéner leurs terres ou leurs maisons qu’à la condition de rembourser préalablement à l’Etat le montant des dépenses effectuées pour leur installation. Passé ce délai, ils pouvaient disposer à leur gré de leurs propriétés. Ce régime resta en vigueur jusqu’à la promulgation du décret du 26 avril 1851, qui imposa aux concessionnaires des conditions très différentes. Désormais le rôle de l’Administration était réduit au minimum. Les postulants devaient commencer par justifier de moyens financiers proportionnés à l’importance de la concession demandée, et pourvoir eux-mêmes à leur installation. Les titres qu’ils recevaient aussitôt stipulaient des clauses résolutoires, en cas de non-exécution des obligations imposées. La commission de vérification procédait ensuite comme pour les colons de 1848. Quand les conditions imposées se trouvaient exécutées, l’immeuble était déclaré affranchi de la condition résolutoire. Dans le cas contraire, il était statué, soit sur la prorogation du délai, soit sur la déchéance totale ou partielle.

L’arrivée de colons espagnols

Après 1851, par suite des départs et de quelques déchéances, il y eut à Assi-bou-Nif des concessions vacantes. D’autre part, l’étendue des terres à concéder fut accrue par l’annexion de 400 hectares de Sidi-Ali ; il y eut donc place pour de nouveaux colons qui vinrent les uns après les autres, à différentes dates, compléter le peuplement d’Assi-bou-Nif. L’on vit à cette époque affluer d’Oranie, du Maroc et d’Espagne de nombreux émigrants espagnols ; la majorité d’entre eux étaient ouvriers agricole et apportèrent par leur savoir, leur courage et leur endurance dans ce climat hostile auquel ils étaient beaucoup plus habitués que la majorité des colons et apportèrent donc un essor non négligeable à l’agriculture. Une liste de 1855 donne les noms de 19 colons qui ont, à cette époque, reçu leur titre définitif, et de 30 autres qui sont en instance de le recevoir. Bientôt après commencèrent les transactions. Certains vendirent leurs concessions, d’autres au contraire agrandirent leurs propriétés.
Tout le monde est d’accord aujourd’hui pour reconnaître que l’étendue des concessions primitives fut ridiculement insuffisante. Il en est résulté que les ouvriers de la première heure n’ont pas toujours récolté le bénéfice de leurs efforts. Ceux qui sont venus après eux et qui ne furent certes pas non plus sans mérite, ont eu généralement un meilleur départ et obtenu des résultats plus heureux.

Du maraîchage au coton

Sans parler des cultures maraîchères, qui occupèrent au moins les jardins autour du village, les terres défrichées furent dès le début consacrées surtout aux céréales. A cette époque cependant, les plantes industrielles, tabac et coton en particulier, sont fortement recommandées par le Gouvernement ; mais on n’en fit jamais à Assi-bou-Nif que de timides essais. En 1851, le Directeur, eu égard aux chances de bonne culture du coton, passe une commande pour semer 10 hectares ; il est vrai qu’il parle aussitôt de réduire cette étendue de moitié, si l’on peut obtenir plutôt des semences de pommes de terre. En 1855, les cultures industrielles se résument à 6+ ares de garance. En 1859, quelques colons seulement plantent du tabac et du coton et obtiennent des résultats satisfaisants. En 1861, un seul colon s’occupe de culture industrielle (celle du tabac), mais sur une étendue de terrain presque insignifiante.

Les responsables se succèdent...

Le lieutenant Oudard, qui avait présidé à l’installation des colons, fut remplacé en 1850, comme directeur-adjoint sous les ordres du Directeur résidant à Saint-Louis, par le lieutenant Richou du 12e Léger. Celui-ci eut comme successeur, en 1851, Charles Tanchou lieutenant au 1er Etranger, promu cette fois Directeur, faisant fonction d’officier d’Etat civil et chargé d’Assi-Ameur comme annexe.
C’est le lieutenant Tanchou qui inaugura le registre des naissances, mariages et décès d’Assi-bou-Nif, jusque-là inscrits à Saint-Louis. Pour l’administration du village, il était assisté d’une commission consultative, dont les membres étaient choisis parmi les colons et élus par eux. Mais ce régime militaire était tout provisoire. La transmission des pouvoirs à l’autorité civile fut ordonnée par arrêté du Gouverneur Général Randon le 18 juin 1852, et devait être opérée avant le 31 décembre de la même année. Le premier Maire choisi en 1852 parmi les colons fut Maurice Boulmé, qui ne resta que peu de temps en fonction et eut comme successeur Pierre Fritz. L’un et l’autre ne furent du reste que des fonctionnaires chargés d’exécuter des ordres. Assi-bou-Nif, d’abord rattaché au cercle d’Oran, fit ensuite partie du district d’Arzew jusqu’en 1856.

... et les communes se multiplient

A cette époque, Napoléon II songeait à multiplier les communes algériennes, dans le but d’accroître les ressources des localités, d’y stimuler le zèle des populations et l’activité des administrations locales. Parmi les 28 nouvelles communes instituées par Décret Impérial du 31 décembre 1856, figurait Fleurus dont Assi-bou-Nif devenait une annexe. Le Maire et le Conseil Municipal siégeaient à Fleurus et Pierre Fritz en faisait partie à titre d’adjoint pour Assi-bou-Nif. Cette situation se prolongea jusqu’au 22 septembre 1870, date à laquelle Assi-bou-Nif fut à son tour érigé en commune de plein exercice. Après la fondation de fait, la fondation d’Assi-bou-Nif reçut sa sanction officielle par un décret du 11 février 1851 ainsi conçu :

  • • Art.1er – la colonie agricole créée en vertu du décret de l’Assemblée Nationale du 19 septembre 1848, à 4 kilomètres Ouest de Fleurus, prendra le nom d’Assi-bou-Nif.
  • • Art.2 – Un terrain agricole de 1.078 hectares est affecté à ce centre de population.

En fait la colonie d’Assi-bou-Nif, avec son annexe Assi-Ameur, s’étendit sur 2.486 hectares dont 1.446 pour Assi-bou-Nif et 1.040 pour Assi-Ameur. Une nouvelle modification intervint lorsque Assi-bou-Nif passa en territoire civil et devint section de la commune de Fleurus ; son territoire fut alors ramené à 1.314 hectares. Enfin devenu commune de plein exercice, Assi-bou-Nif put prétendre à un peu plus de développement, bien que les centres créés dans la région d’Oran soient trop voisins les uns des autres, pour atteindre l’extension accordée généralement aux communes sur les autres points d’Oranie. « La superficie totale de la commune d’Assi-bou-Nif, écrivait-on vers 1910, est de 2.048 hectares. Les communes d’Arcole et de Sidi-Chami servent de limite au Nord-Ouest et au sud-est, celle d’Assi-Ameur à l’ Est. Le communal de 500 hectares a été acheté par la commune à l’Etat ; 100 hectares ont été défrichés en 1906 et loués pour 18 ans aux propriétaires ». Voilà la première étape de l'histoire d'Assi Bou Nif, étape militaire et héroïque. C'est le moment où la brousse recule devant la pioche du colon. Lentisques et palmiers sont dirigés sur Oran, sur des chars à boeufs, par des chemins difficiles et pas toujours sûrs. Derrière chaque buisson on a peur de voir surgir le fusil d'un indigène. Remarquons en passant que Mangin et Assi Ameur dépendaient d'Assi Bou Nif au point de vue civil. Plusieurs actes en font foi.

Napoléon III en Algérie

En 1865, l’Empereur Napoléon III effectue un grand voyage en Algérie qui l’amène à visiter un certain nombre de villages tant dans l’Algérois, que dans l’Oranais et le Constantinois. Le 20 Mai 1865, le Souverain quittait Oran pour se rendre à Mostaganem ; sa première halte fût pour Assi-Bou-Nif. Puis, le cortège poursuivant sa route vers Mostaganem passa à Saint-Cloud et fit une seconde halte à Sainte-Léonie village peuplé de nombreux Allemands ; ces derniers firent un accueil triomphal au Souverain « en brandissant des drapeaux allemands ».

Démographie

La population d'origine purement française a commencé à progresser lentement à partir de 1855; les statistiques comptent désormais, parmi les Européens, une importante fraction d'origine espagnole. Malgré cet apport intéressant, la population musulmane croit plus rapidement à chaque recensement.

Evolution de la démographie entre 1849 et 1926
Année Européens Musulmans Total Population Commentaire
1849 130
130
1850 143
143
1851 184
184
1852 187
187
1861 186
186
1871 254
254
1875 284
284
1901 503
503
1906 408 153 561 Dans ces 408 Européens sont inclus 167 ressortissants espagnols et marocains
1911 422 199 621
1921 316 243 559
1926 269 352 626

L’évolution du village après les années pionnières

Comme tous les villages de 1848, Assi-bou-Nif a peu changé d’aspect. Aux anciennes maisons de colonie, basses et dépourvues de tout confort, les colons ont substitué, selon leurs goûts et leurs moyens, des habitations plus spacieuses et plus variées. Les édifices publics du début ont fait place, eux aussi, à des bâtiments plus somptueux.
Parmi les réalisations les plus remarquables citons : la magnifique salle des fêtes, inaugurée en 1938, réalisée par la dynamique municipalité de l’époque à la tête de laquelle se trouvait monsieur Pellissier notre dernier Maire élu (1962) disparu depuis, et M. Pinazo son adjoint, les terrains de sport et les boulodromes où se sont tant de fois mêlés les jeunes et moins jeunes des deux communautés.

Une première église

La première église, construite en même temps et dans le même style que les maisons de colonie, attendait un curé depuis 1849. Au mois de février 1853, l’abbé Joseph Desbois, précédemment curé de Fleurus, était appelé à fonder la paroisse d’Assi-bou-Nif. La maison qui, de 1849 à 1852, avait été habitée par le Directeur militaire de la colonie, devint presbytère ; elle le restera jusqu’à la décolonisation. Dans le premier acte de baptême, il s'intitule "Curé de l'Eglise St-Dominique". On ignore quelle autorité a donné ce nom de saint patron. Sur trois baptêmes et un mariage de cette première année, deux baptêmes et le mariage sont signés par le Frère Le Baillou.
A Joseph DESBOIS succédèrent Lefranc de 1870 à 1872, Lacroix 1872-1876 nommé par ordonnance de Monseigneur Callot, premier évèque d'Oran.

Avec Mr Lacroix les recettes de la fabrique atteignent leur point culminant; celle-ci fut crée en 1858, la première séance eut lieu le 18 juillet. Mathieu Lindbeiner, J.B. Heranux, B. Michel furent nommés Conseillers par Monseigneur Pavy le 24 avril; Pierre Pallier, J.Pierre Fromental par le Préfet Majorel décret du 25 juin au Maire de Fleurus. Le premier budget établi lors de ce premier conseil se soldait par 25 francs de recette et 617 francs de dépenses. La recette de 1877 s'élevait à 571,65 francs. Le premier tarif des oblations est approuvé sous Messieurs Lacroix et Lefranc. Monsieur Schouppe succéda à Lacroix et mourut à Cassaigne des suites d'une chute dans l'escalier de son logement.

D. Gilloux 1882-1889 prend possession du presbytère le 1er octobre ; il y fait bâtir le premier étage, construire le mur de soutènement du jardin et il acheta la cloche qui dura jusqu'en 1962. Monsieur Gilloux mourut le 11 février 1907, il était alors curé de St-Eugène. Léopold Vermenouze installé le 1er avril 1889 ne fut qu'un oiseau de passage et repartit sans même avoir déballé ses affaires en juin de la même année.

La nouvelle église

La nouvelle église

J.B. Cubizolles en prit la succession le 8 juin 1889, à son initiative la future église fut construite sur le même emplacement que la précédente. La première pierre (un gros bloc qui se trouve à l’angle gauche de la façade, au ras du sol) a été posée le 23 février 1896. Le gros œuvre fut achevé en août de la même année. La bénédiction et l’inauguration eurent lieu pour la fête de Saint-Dominique, sous la présidence de Mgr Lafuma – vicaire général.

L’édifice, sacristie comprise, couvre un rectangle de 19 mètres sur 8 ; l’ensemble, et particulièrement la façade, sont de bon goût. Cette nouvelle église d'Assi-Bou-Nif paraît coquette extérieurement ; les arbres l'entourent d'une ceinture de verdure qui masque son aspect légèrement massif et écrasé. Les fenêtres, au nombre de dix, sont en ogive et ornées de vitraux. Les murs peints à l'huile sans tons criards, le maître-autel ainsi que les fonds baptismaux sont en marbre blanc et le monumental confessionnal lui donnent un air de gentillesse. Tout laisse clairement apparaître qu'un homme de goût a présidé à son ornementation. Une horloge se trouve dans le clocher qui culmine à 25 mètres et trois cadrans garnissent trois des faces.

L'église, elle-même, sacristie comprise couvre un rectangle de 19x8 extérieurement. L’unique cloche monté dans la flèche pèse 85 kg et sert à deux fins :

  • Elle sonne les heures, réglant ainsi depuis des années pour les paisibles habitants d’Assi-bou-Nif, le temps du travail et du repos.
  • Elle s’ébranle aussi pour les évènements heureux ou tristes de la vie du village, des baptêmes aux trépas et sa voix qui se répandait sur Assi-bou-Nif évoquait pour la génération vivante, avec le souvenir des fondateurs disparus, toutes les leçons d’un passé riche en promesses d’avenir.

Ses prénoms sont : Anna, Maria, Charitas et a pour parrains deux Oranais : Monsieur et madame Geneste ; cette cloche fût achetée par souscription publique par monsieur Gilloux. L'ancienne cloche, hors d'usage, a été revendue au fondeur. Elle était pourtant précieuse puisque depuis 1854 elle avait été le témoin heureux ou attristé de la vie d'Assi-Bou-Nif. Son parrain était également un Oranais – monsieur Viala de Sorbier – architecte des bâtiments civils, et sa marraine, une des premières venues au village qu'elle n'avait jamais quitté, madame veuve Michel Schaeffner.

Le presbytère est assez loin de l’église, dans la rue de Ben Okba. Il est spacieux, un jardin est attenant. Il y a un puits et une pompe. De 1848 à 1852 le presbytère fut habité par le lieutenant directeur de la colonie agricole. A son départ, l’abbé Dubois prit sa place, elle a été conservée jusqu’à ce jour.

J.B. Cubizolles fut remplacé en 1900 par G. Blanc qui venait d'Aïn-Tédelès. Il se retira dans ses terres de St-Michel de Llottes (Pyrénées Orientales) le 1er octobre 1907. Lorsque P. Fabre prend possession du poste, la Loi de Séparation des Églises et de l'État était promulguée en Algérie depuis trois jours. Les inventaires prévus par la loi ont été faits le 24 juin 1908. Depuis le 1er janvier 1909 le presbytère, propriété de la commune, a été loué par le curé à raison de 10 francs par mois. Les biens de la Fabrique sont mis sous séquestre; le dernier culte organisé produisit la première année 575 francs.

En guise de conclusion

Outre Assi Bou Nif, d'autres centres furent inaugurés solennellement avec le concours d'autorités officielles, mais ce sont d'autres histoires que vous trouverez sur d'autres pages de cette Encyclopédie.

« Les peuples heureux n'ont pas d’histoire » a prétendu Roger-Gérard Schwartzenberg. Si la sentence est encore vraie et s'applique aux villages d'Algérie, Assi Bou Nif doit jouir d'un bonheur à peu près parfait.