Histoires Ain Sefra - Ville

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962
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AÏN-SEFRA 1952/1959 C’est donc, dans ce petit village perdu aux confins du sud-oranais,.que mes souvenirs sont les plus marqués et qu’ils y apportent la nostalgie du passé. Aïn-Séfra. Que de souvenirs restent encore ancrés au plus profond de moi-même, le temps passé en ce lieu me passa de l’enfance à l’adolescence, de la sérénité à l’angoisse, de la paix à la guerre. J’avais tout juste 8 ans lorsque nous arrivâmes à Aïn-Séfra ; personne ne parlait de guerre, aucun signe extérieur dans le comportement des populations ne laissait apparaître les prémices d’une rébellion. Je quittais Aïn-Séfra à l’âge de 15 ans, la guerre avait éclaté depuis 5 ans, j’en avais vécu les horreurs des massacres perpétrés par les membres du F.L.N.(Front de Libération National)

Papa, employé aux C.F.A. (Chemins de Fer Algérien) fut muté en 1952 , d’Oran où nous vivions, à Aïn-Séfra. Il retrouvait ainsi ce village qu’il avait connu autrefois et où il avait vécu plusieurs années de 1927, date à laquelle la famille quitta Saint-Cloud pour s’installer à Séfra où grand père exerçât aux CFA comme chef de train, jusqu’en 1938 après son retour de l’armée. La famille logeait alors rue du Père Dalleret et avaient pour voisins la famille Lajarra. Il s’avère que quelques années plus tard nous allions également loger dans la même rue. En attendant de trouver un logement, nous vécûmes quelque temps à l’Hôtel du Sud dont le propriétaire monsieur Simonin nous fit grâce de bonté et générosité; un accord entre lui et papa nous dispensait de loyer, et en retour, maman assurait l’entretien de l’hôtel et la permanence lorsque monsieur Simonin s’absentait. André Simonin avait bien connu mes grands parents paternels et plus particulièrement papa qui allait à l’école chez les Pères Blancs ainsi que André un peu plus jeune.

Il ne me fallut pas très longtemps pour découvrir l’oued qui était à deux pas de l’hôtel. Il devint immédiatement mon terrain de jeux favori. C’est du reste, dans l’oued que je fis la connaissance d’autres garçons de mon âge ou un peu plus âgés qui, tout comme moi, avaient pris l’oued comme cour de récréation. Il est vrai que c’était le seul endroit où nous pouvions nous adonner à de multiples activités et jeux.

L’un de nos loisirs favoris consistait à chasser scorpions et vipères que nous vendions à monsieur Zaoui le pharmacien du village moyennant quelques menus monnaies ; cette chasse bien que périlleuse était somme toute un passe-temps rémunérateur, de plus, par la fréquence des chasses, nous étions tous devenus des experts et n’avions aucune appréhension - était-ce l’âge ?, à soulever les pierres sous lesquelles nichaient les scorpions, ces magnifiques scorpions noirs appelés« scorpion tueur d’hommes (androctonus noir Australis Hector). nous placions des boites autour d’un caillou qui nous semblait abriter une nichée, puis à l’aide d’un bâton nous soulevions la pierre. C’était alors une débandade de scorpions qui fuyaient en tous sens, dard à la verticale, et qui n’avaient pas d’autre choix qu’entrer dans l’une des boites placée autour du caillou. Nous n’avions plus qu’à retourner la boite et la couvrir. Parfois nous tentions, lorsque le courage nous prenait, de saisir une de ces magnifiques bestioles par la queue qui portait en son extrémité le redoutable dard. J’avoue bien humblement n’avoir jamais tenté l’expérience. Le Père Diesté, lorsque j’étais dans les Scouts, nous avait appris à fabriquer du sérum anti venin des scorpions à partir de la queue du scorpion trempée dans un bain d’huile ; mais je ne me souviens pas du tout de la façon dont on s’y prenait. Les jeunes Musulmans se délectaient de jouer des tours à leurs aînés ; farces que nous Européens, évitions de faire de crainte d’en subir les foudres car souvent mal interprétées. Il y avait tout près de la rue de France, dans une rue perpendiculaire, un commerçant de primeurs prénommé Rahou ; ce commerçant vendait en plus des fruits et légumes et, une fois par semaine, du poisson et crustacés parmi lesquels des écrevisses. En été, beaucoup de Musulmans dormaient sur le pas de leur porte sur une natte ou une petite zarbia jetée à même le sol, la tête enfouie dans un turban. Les jeunes Musulmans qui allaient à l’école coranique et passant devant l’échoppe du commerçant chapardaient au passage une ou deux écrevisses qu’ils balançaient sur le dormeur tout en poussant des cris d’effroi, ce qui avait pour effet de réveiller le dormeur en sursaut et qui encore endormi s’imaginait être victime d’un scorpion. Là il poussait un cri, se levait d’un bond jetant son turban dans lequel parfois il s’emmêlait et se sauvait en hurlant : » "Ya haouji, Ya haouji, Agrab, Agrab " ( Au secours, au secours, un Scorpion, un Scorpion ). La scène faisait éclater de rire les drôles mais également les passants.

J’avais fait la connaissance de mon premier scorpion au cours d’un repas où toute la famille était installée dans la cuisine de l’hôtel. La porte de la cuisine donnait sur une cour intérieure et était ouverte compte-tenu de la chaleur. Papa était assis le dos à la porte, Anne-Marie était à sa gauche, maman face à lui et moi j’étais à la droite de papa et avait le regard porté vers la cour ; soudain une bestiole que je n’identifiais pas pénétra dans la cuisine et courait vers la table autour de laquelle nous étions assis ; j’avais imaginé immédiatement que c’était une souris et je désignais la « chose » à mon père qui en même temps qu’il portait son regard sur le scorpion nous intimait de lever les pieds.

Papa se leva tout en nous renseignant sur la fameuse « chose » nous indiquant que c’était un scorpion noir parmi les plus dangereux ; le scorpion s’était immobilisé entre la table et l’entrée de la cuisine ; il semblait un peu perdu et ne savoir qu’elle direction prendre. Je vis papa se saisir d’une bouteille d’alcool à brûler et très rapidement en verser sur le sol autour du scorpion et enflamma simultanément l’alcool. Le scorpion était aussitôt cerné par un rideau de flammes qui l’empêchait de franchir ce barrage. On vit le scorpion aller dans tous les sens cherchant visiblement une issue qui s’avérait improbable.

Papa nous indiqua que le scorpion allait se suicider lui-même en se plantant le dard du bout de sa queue sur son dos. Effectivement on pu voir le scorpion s’immobiliser, sa queue relevée en arc de cercle se planta alors sur son dos. Il mourut presque aussitôt.

Sur le moment, je fus pris de compassion pour le malheureux scorpion et ne comprenais pas la raison pour laquelle papa avait décidé de tuer le scorpion de cette manière, il aurait pu tout aussi bien l’écraser ; papa le ramassa pour le ranger dans une boite et ce faisant se mit à nous narrer la vie de cet animal en nous narrant les dangers qu’il représentait et la façon dont il fallait se prémunir pour éviter les piqures. Les règles élémentaires étaient de vérifier toujours l’intérieur des chaussures avant de les enfiler, de contrôler le dessous des traversins avant de se coucher, de veiller à tout endroit susceptible d’abriter la bête. Du reste, à la maison, les lits étaient tous surélevés. Ce fût pour moi, ce jour là, un magistral cours de sciences naturelles.

La tâche s’avérait plus délicate pour les vipères, et j’avoue que j’avais plus d’appréhension à chasser les vipères que les scorpions ; je pense que c’était sans doute de la répulsion à l’égard du reptile plus que de la peur. Bien qu’il nous faille être extrêmement vigilant à l’égard de ce serpent ; en effet cette redoutable vipère peut surgir quand on s’y attend le moins et fuser, semblable à un missile sol-air, sur un cavalier ou sur toute autre personne évoluant dans son sillage et le jeter à terre où elle le laisse froid. La vipère, avec le scorpion, reste l’ennemi de l’oasien. Les oasiens et nomades élevaient des poules qui étaient les meilleurs prédateurs de ces deux animaux venimeux et du scorpion en particulier. Les vipères dont la longueur était d’environ 40 à 50 cm, mais qui ne dépassait pas 50 cm, avaient la peau d’une couleur gris-jaunâtre et se confondaient avec l’environnement ; elles étaient fréquemment lovées sur les murs en boue et paille de clôture des jardins et il était difficile de les approcher ; nous préférions qu’elles soient à terre car dans ce cas pouvions aisément les déceler ; en effet elles laissaient sur le sol une trace de succession de petites fossettes d’environ 1,5 cm de large étalées sur 50 cm, ces traces correspondaient aux empreintes des vertèbres centrales.

Nous pouvions, alors, à l’aide d’un roseau dont l’extrémité était fendue et formait une fourche, les immobiliser à la tête. Il n’en reste pas moins que nous ne perdions pas de temps pour les jeter énergiquement au fond du sac. Leurs morsures pouvaient également être mortelles. Un jeune Musulman péri à la suite d’une morsure de vipère. Il était en train de chasser des gerbou’s (gerboises) ; ces animaux ont pour habitude de faire deux trous et on la coince en plongeant une main dans chaque trou. Malheureusement, ce jour là, le jeune ne trouva pas une gerbou’s mais une vipère qui avait élue domicile dans ce trou. Le malheureux ne survécut pas à la morsure. Les charmeurs de serpents qui venaient au souk, juste à côté de l’oued semblaient ne pas les craindre du tout. En plus des vipères, ils avaient aussi des cobras noirs. Ils jouaient du Bendir (tam-tam), de la ghaîta (genre de cornemuse) ou de la gasba (flute) devant leurs serpents qui sortaient de grosses boites en bois et ondulaient gracieusement au son de ces instruments.

L’oued nous fournissait également fruits et légumes que nous chapardions dans les jardins ; nous profitions de la sieste pendant laquelle le village somnolait et où pas une âme qui vive ne montrait le nez, ni dans le village même, ni dans les jardins. Les fellahs étaient la majeure partie du temps allongés contre un palmier et dormaient – en général – à poings fermés. Le chapardage était devenu un véritable jeu bien que la besogne fusse bien plus délicate que la chasse aux bestioles car bien souvent nous ne dûmes notre salut qu’à la vitesse de nos jambes, ce qui nous permettait d’échapper à la fourche ou au bâton du paysan qui nous prenait en chasse et hurlait de pleins poumons : « Ya ouilli, ya ouilli, Hadha Khawwan, hadha khawwan, a gabdouch » (malheur à moi, malheur à moi, c’est un voleur, c’est un voleur, rattrapez le) ; son langage était parfois un peu plus chatié et c’était : »Kelb, beni kelb arwah menna, ma tahrabch » (chien, sale chien viens ici, ne te sauve pas). Papa m’aida à fabriquer mon premier carico ; c’était un carico de compétition, nous pouvions monter à deux. Sa fabrication était fort simple car elle consistait à placer à l’arrière d’une planche de dimension variable (l’idéal étant 50 cm de large sur 90 de long) 2 roulements à bille qui étaient montés sur un axe en bois lui-même cloué à l’arrière ; à l’avant nous avions un guidon sous lequel en son centre nous avions fixé un roulement à bille de dimension inférieure à ceux de l’arrière, ce guidon était tenu par un axe à l’avant de la planche et nous permettait de nous guider ; les freins étaient tout bonnement nos chaussures sous lesquelles nous fixions une planchette de bois.

Le pont qui menait vers les dunes et l’école des filles tenue par les Sœurs Blanches et qui enjambait l’oued était tout indiqué pour nos courses de caricos ; en effet sa pente était telle que nous pouvions la dévaler à toute allure jusqu’à quasiment l’entrée du village. Lors de ces compétitions qui se terminaient souvent par des chutes, le fond de nos culottes restait souvent collé au goudron, une partie de peau adhérait également au bitume et les cicatrisations s’opéraient par quelques coups de savates bien ajustés. Et, lorsque nous n’étions pas sur le pont, nous étions dessous sur les poutrelles métalliques. Nous faisions, alors des concours de rapidité de traversée, en nous suspendant aux poutrelles et, à la force des bras, dans le vide, nous traversions, au cours de ces traversées à la force des bras de tomber et de nous rompre le cou, mais il faut croire que nous étions sportifs car jamais l’un d’entre nous ne chuta. C’est encore et toujours, en ce lieu magique, que j’appris le sport équestre. Il y avait très fréquemment, dans l’oued, des ânes que les Arabes laissaient la journée. L’animal était attaché par une corde qui entravait la patte arrière et celle de l’avant ; nous prenions un malin plaisir à les détacher, à grimper sur leur dos et à les fait courir à toute allure, ce qui du reste n’était jamais simple car eux-mêmes n’étaient pas forcément disposés à courir. Qui peut être plus têtu qu’un âne ? Pour moi qui étais novice et qui, je dois l’avouer, au début redoutais cet animal capricieux qui passait son temps à ruer, grimper sur sa croupe n’était pas aussi simple que l’on pourrait le croire et encore moins d’y tenir, d’autant que je n’étais pas très grand. Je fis ma première tentative un jour où je me trouvais en compagnie d’André Rivas, un camarade un peu plus âgé – dont le père devait périr tragiquement quelques années plus tard – lors d’un attentat sur la voie ferrée. Nous avions aperçu un magnifique âne qui me semblait gigantesque et qui avait plus la taille d’un mulet que d’un baudet. Malgré toutes mes tentatives et l’aide d’André je n’arrivais pas à grimper sur le « bourricot » qui ne cessait de bouger. Je décidais donc de prendre de l’élan et lui sauter sur la croupe. Ce qui devait arrivait arriva. Je pris tellement d’élan que je passais par dessus, à moins que ce ne soit le baudet qui ait avancé au même moment ; qu’importe, le résultat était là. Je m’étais retrouvé par terre avec un énorme « tchitchoté » sur la tête. Mais j’avais décidé d’être plus têtu et, me relevant d’un bond, je me jetais sur l’âne et réussis à m’asseoir à l’arrière de sa croupe ; j’aurais pu profiter d’une ballade si de grands cris ne nous firent prendre conscience que le propriétaire n’était sans doute pas d’accord. En effet, un Arable affublé d’une immense djellaba, tenant un gourdin à bout de bras, arrivait au grand galop en vociférant comme un porc que l’on égorge. Je tairais les injures et insultes qu’il proférait à notre encontre. En voulant nous jouer des jeunes musulmans, nous faisions endurer aux pauvres bourricots des supplices qu’ils ne méritaient pas. En effet nous affectionnions les faire partir au galop afin qu’ils désarçonnent leurs cavaliers en leur introduisant en place et lieu de suppositoire un piment fort qui avait l’effet immédiat de les faire bondir et démarrer en trombe. Le malheureux cavalier se trouvait non seulement à terre mais il lui fallait ensuite rattraper l’âne qui continuait à galoper entre à terre. Nous avions, cependant, tout intérêt à ne pas être reconnu car le gamin revenait très fréquemment accompagné soit de son père soit de ses frères aînés ; lorsque c’était le père nous prenions les jambes à notre coup ; par contre lorsque c’était les frères ou les copains c’était la bagarre assurée. Les dimanche et jours de fête, nous allions passer la journée aux dunes. Nous y accédions après une petite marche qui nous faisait enjamber le pont, nous passions devant la redoute située à gauche et laissions un peu plus loin, à droite, l’école des Sœurs Blanches ; le Ksar était un peu plus haut, mais nous l’évitions par la gauche. Enfin surgissait, comme un mirage, une luxuriante forêt d’essences aussi diverses qu’odorantes : les saules, les tamaris, les eucalyptus, les jujubiers, les dattiers de chine dont nous savourions le fruit farineux et sucré, les peupliers formaient une oasis de fraîcheur et de charme. Les racines d’eucalyptus qui dominaient cette végétation d’essences aussi diverses nous fournirent nos premières cigarettes. Nous cherchions des racines du diamètre d’une cigarette que nous coupions à la longueur voulue et aspirions à pleins poumons, rejetant par la bouche et le nez la fumée qui montait en volutes. Tous ces arbres aussi différents les uns que les autres avaient été plantés dès la fondation de la Redoute par l’autorité militaire qui voyait ainsi le moyen de fixer les sables. Mais, malgré ce barrage de verdure, lors de grands vents, le village était noyé sous le sable et, bien que toutes les ouvertures étaient obstruées, le sable s’infiltrait cependant partout. Qu’aurait été Aïn-Séfra, au milieu de ce désert de pierres, s’il n’y avait eu ce havre de fraîcheur et de séduction. Les dunes d’Aïn-Séfra étaient gigantesques et s’étendaient à perte de vue jusqu’aux contreforts du Djebel Mekter. Le gravissement de ses pentes était rude de part l’angle d’inclinaison et surtout la hauteur ; en revanche lorsque nous avions atteint leurs cimes, nous avions une impression de liberté totale, de silence, de beauté indescriptible ; aussi loin que portait notre regard, il n’y avait que le sable doré sur lequel se détachaient de temps à autre quelque fourré de tamaris.

En cette période du début des années 1950, lorsque nous étions gamins, notre trésor le plus précieux c'était notre caisse de bouquins… Chacun d'entre nous veillait jalousement sur ce grand carton contenant la matière première de nos rêves d'enfants. A défaut de Pokémons, nos héros s'appelaient Blek le Roc, Miki le Ranger, Pecos Bill, Akim, Tarzan, Zembla, Buck John ou Hoppalong Cassidy… La noblesse et la générosité les caractérisaient et nous prenions un malin plaisir à jouer leurs aventures, les jeudis et jours fériés, l’oued redevenait le Far West les tamaris formaient un rideau derrière lequel nous pouvions se soustraire à la vue des Cherokee ou des Apaches… à tous ces héros de l’ouest américain s’ajoutaient les aventures burlesques des « pieds-nickelés » et « pim-pam-poum ».

Le fond de l’oued se transformait miraculeusement en Canyon et, dans cette immensité plus d'une tunique rouge trouvait la mort dans un combat sans merci contre Geronimo ou Sitting Bull . C’est ainsi que lors d’un combat aussi violent que la bataille de Little Big Horn entre Sioux et Tuniques Bleues le jeu faillit finir en drame. C’est ainsi que lors d’un violent combat entre Apaches et Tuniques Bleues le jeu faillit finir en drame.

Ce jour-là nous étions toute une bande gamins à jouer aux « cow-boys et aux Indiens » ; notre terrain de combat se situait dans l’oued, autour du pont qui mène aux dunes. J’ étais membre d’un groupe d’indiens attaqué par des Tuniques Bleues ; je possédais bien entendu, comme tout Indien digne de ce nom, un arc et des flèches. La partie se déroulait sereinement, au milieu de cris, de you-you, lorsque j’aperçus, perché sur une branche de figuier situé sur le côté du pont, Jean-Louis Thévenon qui était cow-boy, donc mon ennemi ; sans hésiter je décochai une flèche dans sa direction, un cri suivit et ce que je vis me remplit d’effroi, la flèche s’était plantée dans l’œil droit. J’étais complètement affolé et m’enfuis à toutes jambes alerter ma mère à l’hôtel qui se trouvait tout proche. Je ne revis mon camarade qu’une dizaine de jours après l’incident ; la flèche n’avait pas touché d’organe sensible et mon camarade n’aurait aucune séquelle. J’avais craint le pire, aussi bien pour mon camarade que pour mes parents ; en effet je craignais que monsieur Thévenon ne crée des préjudices à mes parents ; ce fut l’inverse qui se produisit ; les parents de Jean-Louis firent preuve de beaucoup de compréhension et l’incident n’altéra en rien les relations que nous entretenions. La mort qui rodait autour de nos jeux d'enfants avait le goût parfumé des Carambar et des chewing-Gum gagnants. Quelques années plus tard, il prit celui plus viril de nos premières clopes, des P4 que nous achetions chez les « mozabites ». Mais, en attendant d’être plus grands, nous nous contentions de couper les racines d’eucalyptus pour en faire des cigarettes. Nous continuâmes à nous abreuver des aventures de nos héros dans les fameux petits formats Kiwi, Blek, Rodéo et Névada. Il y avait également Pecos Bill, un Cow-Boy droit et généreux héros d'aventures dans lesquelles apparaissait également Calamity Jane, une des rares figures féminines de ce monde machiste et violent…. Si on échangeait volontiers un Kiwi contre un Rodéo, il était hors de question d'échanger ces mêmes bouquins contre un vulgaire Buck Jones ou un insipide Battler Britton… Il y avait des règles à respecter et on ne mélangeait pas les genres

Parmi mes camarades, nombreux étaient des enfants de sous-officiers ou officiers de la Légion ; aussi, grâce à ces relations je pouvais profiter de la piscine de la Légion. En tous cas je pouvais en profiter lorsque le grizzli, mascotte du régiment, venu d’Indochine ne prenait pas son bain ; or, malheureusement, il semblait affectionner particulièrement l’eau car il était là tous les jours avec son maître qui ne manquait pas de se moquer en me voyant fuir et me blottir dans un coin à l’opposée du grizzli.

En 1956, lors d’une opération du 2ème R.E.I. dans le Djebel Mekter le grizzli qui accompagnait une compagnie sentit une présence étrangère et en avertit son maître par des mimiques et grognements. Des rebelles embusqués étaient prêts à faire feu sur les légionnaires. L’embuscade avait échoué et les militaires du 2ème R.E.I. purent ainsi non seulement s’en sortir sains et saufs mais réussirent à mettre hors de combat les rebelles.

Après avoir quitté l’hôtel, nous logeâmes dans un minuscule appartement situé dans une rue perpendiculaire à l’avenue de France, tout proche de l’oued. Maman m’avait inscrit à l’école primaire qui se situait à la Redoute. Il me fallait emprunter la passerelle pour y accéder. C’est précisément à cette époque que je fus confronté à ma première rixe avec un musulman, pour avoir pris la défense d’un camarade ; je ne me souviens plus lequel des deux avait remporté le match, par contre je me souviens fort bien être rentré à la maison avec les vêtements en lambeaux, le visage tuméfié et les jambes et genoux écorchés.

Deux ou trois mois plus tard, nous vînmes habiter rue de la Mosquée dans une maison un peu plus grande qui possédait en outre une grande cour protégée par une toiture constituée de roseaux sur lesquels couraient en permanence des lézards et tarentules qui étaient devenus des cibles privilégiées pour mes entraînements à l’ »estak » ; ce petit jeu déplaisait fortement à maman, surtout lorsque j’atteignais ma cible et que celle-ci tombait au beau milieu de la table située dessous. C’est au cours de ce bref séjour, rue de la Mosquée, que je fis mes premières approches et ma première cour à – Andrée Galdéano - qui habitait un peu plus loin mais qui hélas, resta insensible à mon charme et aux friandises que je lui offrais et qu’elle ne refusait pas toujours. J’y mettais pourtant beaucoup de soin, d’ardeur et d’attention tant dans ma tenue vestimentaire que dans mes approches, hélas rien n’y fit.

La guerre d’Indochine atteint son paroxysme, le Général Navarre ordonne le largage de parachutistes sur la cuvette de Dien Bien Phu afin d’en faire un camp retranché. La guerre devait se terminer par le massacre de milliers de soldats français par le viet-minh appuyé par la Chîne et la Russie, alors que les Américains nous abandonnent lâchement.

Cette année là ; nous sommes en 1953, des millions de sauterelles amenées du Sud par le sirocco envahissent Aïn-Séfra et sa région. Vision hallucinante : le ciel s’était brutalement obscurci, un nuage dont on ne voyait ni le début ni la fin envahissait le dessus d’Aïn-Séfra jusqu’à l’horizon. Les champs en sont bientôt tout couverts. Au bout de quelques heures, ayant fait place nette, elles avancent par colonnes épaisses de plusieurs centimètres sur des kilomètres de longueur et de largeur. Elles franchissent à la queue leu-leu, se supportant les uns les autres, les haies qu'ils dévorent, les fossés qu'ils comblent, les eaux sur lesquelles elles flottent. Les sauterelles sont partout. Elles sont entrées dans les maisons, s'agrippent dans les rideaux. Les citernes, les bassins, les puits, les viviers sont infestés.

Les femmes musulmanes y vont de leurs you-you. Et le nuage cuivré, compact, descend tout de même, s'abat comme une grêle drue et bruyante. Alors le massacre commence. Avec les herses, les pioches, les charrues, on écrase, on broie. Et plus on tue, plus il y en a. Les hommes tentent d'effrayer les sauterelles pour les éloigner. Ils s'élancent à leur devant, en faisant résonner avec leurs bâtons, les ustensiles de métal qui leur tombent sous la main, des chaudrons, des bassines, des casseroles. Les bergers soufflent désespérément dans leurs trompes, d'autres font mugir de vieux cors de chasse, des conques marines. L’agitation dérisoire des hommes ne peut pas grand-chose contre cette calamité. Le lendemain, elles ont disparu, abandonnant dans le sol la promesse d'une nuée de criquets. Elles sont allées mourir en ordre dispersé, et leurs cadavres amoncelés deviennent des foyers d'infection et d'épidémies ; c’est par milliers qu’elles jonchent le sol, les voies ferrées.

Fléau renouvelé des âges bibliques, ces bestioles dévorantes que l'instituteur appelle acridiens migrateurs, progressent sans que rien ne les arrête, d'abord sur les hauts-plateaux, puis dans le Tell et les plaines côtières. On n'en a jamais vu autant à la fois. Elles obscurcissent tout à coup le ciel et mettent en émoi les hommes et les bêtes. Rien de vert ne demeure là où elles s'abattent, rien. Et quand ces voraces ne mangent plus, elles pondent. Elles creusent le sol de leur tarière ventrale pour placer leurs œufs à la profondeur convenable. Aux premières pluies, autour de chaque trou de ponte, apparaissent de petits êtres noirs qui grossissent vite parce qu'ils mangent beaucoup. Et Car la nature a été bonne pour ces êtres nuisibles. Elle les a pourvus de nombreuses vésicules trachéennes qui les allègent et favorisent leurs déplacements. Un coup de vent peut les prendre sur le Tell et les transporter en Provence. Tout en vaquant à ses activités dévastatrices, l'insecte mue. Du noirâtre il passe au brunâtre et du brunâtre au jaune. Il est alors adulte et tout lui est bon, les acacias, les palmiers-nains si coriaces, les oliviers au feuillage amer. Quand il n'a plus de feuilles, il s'attaque aux écorces et met le bois de l'arbre à nu.

Cette invasion de criquets-pélerins (c’est ainsi que l’on les nomme) avait déjà fait une apparition en 1951 à Touggourt ; en 1954 certains essaims envahirent Ghardaïa, en 1955 ce fût Djelfa .

Des ordres furent donnés par l’administration pour créer des postes d’observation. Les moyens de lutte étant dérisoires, l’administration et les chefs de tribu autorisèrent de les consommer et de ne consommer uniquement les femelles.

En Indochine, la guerre prend un tournant décisif, malgré 56 jours de défense héroïque Dien Bien Phu tombe le 7 mai 1954.

A la mi-54, nous déménageâmes de nouveau. Maman avait réussi, grâce à une relation, à trouver une maison rue du père Dalleret ; cette rue portant le nom du Père Dalleret – Capitaine des Spahis – tué à la tête de ses cavaliers en 1940, bordée tout de long par des acacias, débutait à la gare et prenait fin à l’entrée de l’école des Pères Blancs. Aussi du pas de la porte de la maison, située à environ 200 mètres de l’Institution Lavigerie, nous pouvions également avoir un regard sur la gare et ainsi voir arriver papa.

Anne-Marie et moi-même fûmes les premiers à prendre possession des lieux et à les inspecter ; ainsi, tous joyeux, nous arpentions les 3 pièces très spacieuses qui devaient devenir les chambres et le salon, la grande cuisine et une cour intérieure.

La porte d’entrée donnait sur un long couloir qui débouchait sur une cour intérieure ; dès le franchissement de la porte d’entrée se situait, à gauche, une grande pièce avec fenêtre donnant sur la rue qui devait devenir une chambre, une porte intérieure permettait également l’accès à une autre grande pièce qui elle-même donnait sur le couloir ; cette seconde pièce qui devait devenir le salon permettait d’accéder à la cuisine possédant une porte extérieure sur la cour. En avançant dans le couloir et laissant la seconde pièce sur la gauche, on découvre sur la droite une autre pièce qui deviendra la chambre de papa et maman, et occasionnellement lors d’attaques des fellaghas, notre chambre à tous.

Au fond du couloir une porte permet l’accès à la cour intérieure. Cette cour suffisamment grande avait permis à papa, dont les oiseaux étaient sa passion, de confectionner et d’installer une immense volière à l’intérieur de laquelle une multitude d’oiseaux aux plumages à couleurs chatoyantes et diverses, aux chants aussi harmonieux les uns que les autres vivaient en parfaite harmonie et nous gratifiaient de concerts à longueur de journée. Les chardonnerets, linos, serins, canaris semblaient faire un concours de chant. Un bec rouge et un gros bec logeaient également à l’intérieur de la volière. Papa avait ramené lors d’un retour de déplacement un étrange oiseau, dont le nom m’échappe aujourd’hui, et qui disait-il avait la particularité d’imiter les chants des autres oiseaux. C’était un oiseau un peu plus gros qu’un gros-bec mais avec un plumage gris, sans attrait. Papa lui construisit un abri en bois qu’il installât dans un angle de la volière. L’oiseau passait tout son temps à l’intérieur de son abri ; on ne voyait que sa tête apparaître par le trou circulaire qui constituait l’entrée. Très rapidement, peut-être au bout d’une semaine, alors que nous désespérions tous de l’entendre surtout papa qui ne manquait pas tous les jours d’aller le voir, il se mit à siffler et poursuivit son chant par une imitation des chardonnerets ; ce fût alors un véritable concert qui nous était offert entre lui et tous les autres occupants. L’étrange oiseau devint la curiosité de tout le voisinage.

Une petite buanderie et un lavoir situés dans un coin, proche de l’entrée de la cuisine, permettaient à maman d’y laver le linge et de l’étendre. Dans l’autre angle de la cour se trouvaient les toilettes – un w.c « turc ». En effet, nous avions dans notre pays, dans notre village planté aux fin fonds du sud, à la porte du désert, au tout début des années 50, toutes les commodités et en particulier les toilettes ; ceci étonna plus d’un métropolitain qui imaginait que nous vivions à l’ère de l’âge de pierre. A cet égard, je fus moi-même fortement étonné qu’en France en 1962, de nombreux villages et villes ne possédaient pas de toilettes. J’en fis l’expérience lors d’un passage chez un oncle qui s’était installé dans un petit village de l’Hérault – Cournonteral. Quelle ne fut ma surprise lorsque je me rendis compte que la maison qu’il habitait ne possédait ni salle d’eau, ni w.c. . Nous étions contraints d’utiliser un seau que nous allions vider à la nuit tombante dans un puits réservé à cet effet ; c’était assez comique de voir, alors, se profiler contre le mur d’enceinte du village toutes ces silhouettes tenant à bout de bras le si précieux seau dont le contenu finirait dans la fosse commune. En 1963, mon cousin « Coco », lors d’une permission entreprit de construire une salle de bain et un w.c. ; cette initiative surprit le voisinage, certains vinrent alors demander conseil à mon cousin qui, bien entendu, se fit un malin plaisir à évoquer notre vie là-bas en ajoutant quelques petites notes d’exagération. Je crois que son initiative fut à l’origine de l’élan de modernité qui s’ensuivit au village. Je vécus la même expérience à St-Pierre la Palud un village de la vallée de la Brevenne où mes parents avaient trouvé refuge dans une masure : une chambre de bonne sous les toits. Monsieur et madame COSTA, immigrés Italiens, qui possédaient un hôtel-restaurant et qui, sans doute avaient vécu notre expérience, à leur arrivée en France avaient offert, le temps qu’il faudrait, cette pièce à mes parents. Merci à la famille Costa. Mes parents et mes deux sœurs vécurent ainsi tout l’hiver 1962 dans une seule pièce. Mais ceci est une autre histoire, revenons à Aïn-Séfra où une autre aventure que pour l’heure ignorions totalement prenait naissance.

Nos plus proches voisins étaient les PONSSODA – sergent-chef de la Légion qui revenait d’Indochine et dont les grincements de dents s’entendaient à une lieue à la ronde, la famille VERDIER qui travaillait au service de l’électricité ainsi que la famille MALLOL qui avait deux jeunes filles de l’âge de mes sœurs, Alphonse MALLOL travaillait également à l’E.G.A. ; il décéda à Montluçon le 13 février 2004. Les CARATINI, DELOLMO, ALMODOVAR étaient également voisins et amis puisqu’ils travaillaient au chemin de fer ; un peu plus loin la famille Armand GARCIA, un tout jeune couple, dont le mari était douanier ; face à lui un autre sous-officier de la Légion Etrangère – l’Adjudant GODET marié, je m’en souviens comme si c’était hier, à une superbe Marseillaise dont l’accent nous faisait toujours rire, au coin de la rue la famille AZOULAY, Jean-Claude, André, Paul, Solange – le père travaillait au service météorologique, trois familles musulmanes vivaient également dans notre rue, GUEZOULI qui habitait pratiquement en face de chez nous, souvent ensemble. CHAMI Hamid qui, lui habitait à l’angle de la rue et qui était dans la même classe que moi, fut mon principal rival aux études et nous étions en permanente compétition pour l’octroi des prix de fin d’année. ; Au coin de la rue faisant angle avec la rue Si-Moulay vivait la famille de-Haro. A l’époque des tas d’histoires étaient contées sur le domicile des de-Haro qui semblait être habité par des « djouns » (revenants) ; il était très fréquent que j’entendais dire que, brutalement, dans la nuit et même parfois dans la journée, des faits étranges se produisaient : tiroirs s’ouvrant tout seuls, portes se refermant et ne pouvant plus s’ouvrir, etc.. La maison mitoyenne des Azoulay était également, selon les dires, habité par des Djnouns et, fréquemment, nous nous hissions sur le mur de la cour qui séparait de l’autre cour afin d’y observer ce qui s’y passait. D’une part nous n’avons jamais rien vu mais de plus c’est avec une certaine appréhension que nous nous hissions sur le mur.

Je ne mis pas longtemps pour me faire des amis et nous formions une bande de copains et copines issus de différents milieux ; la majorité étant des enfants de cheminots ou de légionnaires.

Nos distractions et jeux avaient eux aussi évolué. Désormais, nous passions le plus clair de notre temps à jouer au « pitchak » ou aux « pignols » ; pour faire un pitchak, il suffisait d’avoir un morceau de chambre à air de vélo, de découper des rondelles, de les passer dans le trou d’une pièce afin d’en constituer une espèce de pompon. Le jeu consistait à faire sauter le pitchak avec le flanc du pied le plus longtemps possible. Quant aux pignols, nous y jouions surtout à l’époque des abricots aux environs de la mi-mai, dès lors nous passions notre temps à manger des abricots afin d’en garder les noyaux. pour jouer nous faisions un petit tas de 4 pignols – 3 disposés en triangle et 1 dessus -, puis nous nous placions à environ 3 mètres. Celui qui réussissait à faire tomber le tas au lancer d’un pignol, gagnait les 4 pignols ; celui qui avait posé le tas gagnait tous les pignols qui étaient lancés et qui rataient leur cible. Un autre jeu consistait à disposer contre un mur un carton dans lequel nous avions fait deux ou trois trous de diamètre différent, chaque trou représentant un gain d’un certain nombre de pignols : le joueur se mettait à une certaine distance devait faire entrer le pignol lancé dans un trou, s’il réussissait il gagnait le nombre de pignols prévus à cet effet. Pour cette variante, c’était à celui qui attirait à lui le maximums de joueurs et l’on entendait hurler sous le préau de la cour de récréation : »Ici on gagne cinq pignols, ici on gagne dix pignols ». Les descentes de canalisations d’eau nous servaient également de jeu de pignols ; l’on y disposait à la sortie un pignol « mère » et, d’une distance de 2 ou 3 mètres, devions faire tomber la « mère ». Les lancers de pignols dans la canalisation en zinc faisaient un bruit tel que nous subissions fréquemment les foudres de nos parents ou des voisins. Il faut dire que nous profitions de la sieste pour nous adonner à ce jeu. Nous utilisions également les noyaux d’abricots pour en faire des sifflets ; nous grattions les deux faces du noyau de dimension variable en fonction du son que l’on voulait produire, puis par les trous faits en frottant le noyau sur le sol, nous extrayions la pulpe. En soufflant par l’orifice ainsi formé un son se dégageait plus ou moins aigu en fonction du diamètre de l’orifice.

Des jeux simples, sains, innocents ; il est vrai qu’aujourd’hui avec l’évolution technologique, les jeux ont considérablement évolué et ce sont les écrans d’ordinateur, les mp3 qui ont fait place aux bouchons, aux noyaux d’abricots… A chacun son époque mais on peut s’interroger si la jeunesse d’aujourd’hui gardera la nostalgie que nous-mêmes avons de notre enfance et adolescence.

A la période du Tour de France, nous avions constitué également notre Tour de France : sur le trottoir nous faisions un circuit à la craie ; les coureurs étaient représentés par des capsules de bouteille sur lesquelles le must consistait à coller une étiquette avec le nom de notre cycliste préféré. Le jeu consistait à faire avancer la capsule par un léger coup donné avec le majeur en prenant soin que le « coureur » ne sorte pas du circuit sous peine d’être éliminé et contraint de revenir à son point de départ. Les billes faisaient partie de nos jeux communs, particulièrement en cour de récréation, et se jouaient de façon identique aux pignols : il y avait le pot, la prison ; au pot et à la prison nous faisions avancer la bille en la tenant au bout des doigts et en la propulsant d’un coup de l’index afin de heurter et faire entrer la bille de l’adversaire soit en prison, soit dans le pot. Lorsque nous tirions de loin avec une bille agate que nous appelions « binagate » il fallait prendre la bille entre l’index et le pouce et la percuter d’un coup sec avec le pouce, ce qui avait pour effet de la projeter très vite afin qu’elle heurte la bille de l’adversaire. Comment ne pas se souvenir, avec une certaine nostalgie, des parties de toupie. Chacun arrangeait sa toupie à sa façon ; pour ma part je commençais par scier la tête et ôter le clou d’origine pour le remplacer par une pointe que nous appelions « gancho »(prononcer gannecho) dont la longueur pouvait atteindre 4 cm ; ceci dans le seul but de faire éclater la toupie d’un adversaire. Pour le lancer nous enroulions la toupie d’une cordelette au début de laquelle nous faisions un nœud et y mettions un sou troué ; ainsi nous avions une excellente prise grâce à la piécette qui placée entre l’index et le majeur évitait que la cordelette nous glisse des doigts lors du lancer. La dextérité de chacun faisait la différence pour les différents jeux dont le principal était de frapper la toupie d’un adversaire qui était lancée à l’intérieur d’un cercle, le coup ainsi asséné faisait éclater la toupie. Nous usions également d’adresse en propulsant notre toupie en l’air et en la rattrapant dans le creux de la main, puis lui faisant faire une rotation la projetions sur une pièce de monnaie qui était à terre – les pièces de monnaie étaient soit des « dourous » (pièce de 5 francs) soit un rial (pièce de 2 francs) ; on gagnait la pièce lorsque nous parvenions à la pousser hors du trait tracé à terre. Certains trichaient et poussaient la pièce avec la main. Nous jouions également au couteau, non pas à nous battre, mais à nous mesurer dans la dextérité du lancer. Nous tracions au sol un grand rectangle. Un pile ou face déterminait le premier joueur. Il nous fallait planter le couteau au sol, une ligne suivant le plan de la lame était tracée et devait rejoindre les côtés du triangle, je joueur alors devait se placer dans la forme géométrique formée par le tracé ; tant que le joueur réussissait ses coups il poursuivait et s’installait toujours dans le coin formé par la nouvelle ligne. Lorsque le joueur ratait son lancer c’est son adversaire qui prenait le relais et poursuivait en se plaçant côté formée par la dernière ligne. Le vainqueur était celui qui avait réussi le plus de coups. Le lance-pierres appelé « Stack » ou « Estack » faisait partie intégrante de notre arsenal, il était en permanence dans nos poches ou en collier autour de notre cou ; chacun s’évertuait à avoir le plus beau. Le manche était fait en bois d’olivier, pour ce faire nous choisissions une belle branche à fourche que nous formions en plaçant entre les fourches que l’on ficelait un gros caillou qui donnerait la forme arrondie du manche, après avoir trempé un ou deux jours dans de l’eau, il nous fallait ôter la peau et nous brûlions le manche pour le faire durcir. Je profitais toujours de mes vacances à la ferme, chez mon oncle, pour y ramener un ou deux manches. Les nombreux oliviers bordant les chemins de la ferme me permettaient de choisir de très belles branches qui possédaient un manche d’une grosseur plus importante que les fourches, il m’arrivait de garnir le manche avec de la ficelle que j’entourais autour et tressais. Les élastiques carrés pouvaient avoir différentes grosseurs et différentes tensions, c’était avec la forme du manche essentiel pour l’efficacité du « stak », je les achetais à l’épicerie Azoulay ; enfin un morceau de cuir sur lequel étaient reliées les élastiques terminait la conception. Mais même pour ce bout de cuir qui devait envelopper le projectile, il nous fallait choisir un joli morceau souple, ni trop petit, ni trop large. Nous étions parés pour la chasse dans l’oued ou les batailles rangées. C’est cependant lorsque j’allais à la ferme que j’en avais une utilisation maximale car je passais le plus clair de mon temps à chasser au milieu des citronniers, pruniers, et autres. Maman m’avait appris à faire des petits napperons en laine sur un cadre que papa avait confectionné. Le cadre pouvait être de toute forme géométrique ; tout son pourtour comportait des clous espacés d’environ 15 mm sur lesquels nous tissions de long en large et de gauche à droite de la laine. Les angles formés par les croisements étaient ficelés, il fallait couper la moitié d’épaisseur de laine à tous les centres formés par les angles ce qui permettait de laisser apparaître un pompon. Je passais, ainsi, des heures assis devant le pas de ma porte à confectionner des napperons qui serviraient à orner des dessus de placards, de chaises, de tout mobilier. J’avais réussi à marier les couleurs de la Légion, vert et rouge, et à constituer la flamme au centre du napperon, de sorte que les légionnaires devinrent mes principaux clients. Cette première réussite commerciale était surtout l’œuvre du sergent-chef Ponssoda – notre voisin – qui m’en avait fait faire plusieurs et les avait exposés au mess des sous-officiers de la Légion. Cette approche du commerce était l’heureux présage de ma carrière professionnelle au cours de laquelle mes talents de commercial me permirent de gravir avec succès tous les échelons hiérarchiques jusqu’à ce que j’appellerai plus tard mon « bâton de Maréchal ».

A cette époque nos rapports avec les Musulmans étaient tout à fait amicaux, plus particulièrement avec ceux habitant le village et qui étaient nos voisins ; aucune ségrégation, aucune différence n’était portée à l’égard des Musulmans qui étaient nos compagnons de classe. D’aussi loin que je me souvienne, nous étions assis aux mêmes bancs dès l’âge de l’école maternelle ; chez les Pères Blancs, de nombreux enfants musulmans étaient nos camarades même en dehors des cours et, avec eux, participions aux mêmes jeux, aux mêmes échanges de livres. A cet égard, bien que les médias métropolitains aient tenté et continuent, du reste, à faire croire que les Musulmans étaient privés d’école, l’Institution Lavigerie bien qu’étant une école privée catholique accueillait de très nombreux jeunes Musulmans d’Aïn-Séfra et des environs ; de la même façon, l’école des Sœurs Blanches n’était pas l’exclusivité de l’éducation des jeunes Européennes et de nombreuses jeunes Musulmanes fréquentaient cette école. A Aïn-Séfra en cette époque, les trois communautés vivaient en parfaite osmose. Certes, cette entente cordiale ne concernait pas une partie des autres Musulmans vivant à la Graba appelé communément « village nègre » situé derrière l’Institution Lavigerie ou ceux du Ksar près des dunes. Les bagarres les plus fréquentes étaient surtout avec les jeunes musulmans du village nègre. Ces derniers se cachaient fréquemment derrière la porte de la cour de l’Institution Lavigerie donnant au stade ; là, tapis ils attendaient notre passage pour nous lancer des pierres et s’enfuyaient à toute jambe vers le village nègre. A plusieurs reprises je subis personnellement les attaques tant en prenant une pierre sur la tête, soit en recevant au passage de la porte un coup de matraque. Evidemment tout ceci n’arrangeait en rien nos relations et toute occasion de prendre une revanche était bonne. De nombreux camarades furent ainsi les cibles des jets de pierres de sorte que nous étions en « guerre » permanente et qu’à chaque occasion qui se présentait nous effectuions des mesures de rétorssion ; ceci nous amena tout naturellement à nous armer en permanence de nos « stacks » que nous portions autour du cou. Les projectiles étaient des galets bien ronds ramassés dans l’oued ou des billes d’acier provenant des roulements à bille.

En réalité, ces conflits étaient tout bonnement des défenses de territoire, telles que l’on a pu les observer dans tous les pays, dans toutes les cités et telles qu’on les observe encore aujourd’hui lorsque des bagarres de quartier se déclenchent. Du reste lors de ces bagarres avec les jeunes de la Graba tous ou presque tous les jeunes – Européens, Israélites, Musulmans - habitant le village européen s’unissaient pour faire face. Les batailles se déroulaient presque toujours autour de l’Institution Lavigerie qui délitait le territoire de la Graba avec le village Européen appelé « El Filège » par les Musulmans.

Un soir, au crépuscule, nous étions en plein préparatif de bataille contre les Blals qu’on appelait aussi « Ouled Sidna Blal » par référence au premier africain Musulman Bibal El Habachi – autrement dit Bibal l’Abyssin ou Ethiopien - sur le terrain de foot de l’Institution ; un calme plat régnait et l’on fourbissait tranquillement nos tiges, lorsque, soudain, surgis d’on ne sait où, nous fûmes submergés par une bande de Diables Noirs qui vociféraient tout en nous lançant des pierres. Ce soir là ce fût la déroute et chacun prit ses jambes à son cou pour échapper à la meute hurlante. Les batailles contre les jeunes du Ksar ou Boudkhili se déroulaient, elles, dans l’oued. D’autres batailles, encore, unissaient les « Filèges » aux Boudkhilis contre les Ouled Blal de la Graba. Nos parents se fréquentaient de la même manière et ce n’était pas rare d’assister les après-midi ou les soirs à des réunions de femmes de toutes confessions assises sur les trottoirs sous les acacias. Elles avaient pris l’habitude de se rencontrer ainsi devant chez l’une ou l’autre afin de « papoter » tout en buvant un café ou un thé, et en mangeant des mouchoirs, makrouts ou mantecao. Du reste c’était devenu un véritable rituel que chacune invite à tour de rôle les voisines de la rue. Toutes ces rencontres se faisaient en toute convivialité, sans évocation des évènements ou des religions. Ainsi la femme du Caïd fréquentait les femmes de cheminot ou de douanier, la femme française du légionnaire invitait ses voisines musulmane et juive. Au cours de l’Aïd tous les habitants de la rue étaient inondés par les gâteaux et le couscous offerts par les Musulmans, pour Yom Kippour et Pessah, c’était la famille Azoulay de confession hébraïque qui faisait don de pâtisserie et galettes ; pour Pâques, c’était au tour des Européens catholiques d’offrir les « mounas » aux voisins Juifs et Musulmans. Tout ce petit monde vivait en parfaite harmonie et rien ne laissait présager que les évènements allaient altérer ces relations, puis les détruire pour finalement créer un climat de haine entre nos deux communautés.

C’est donc en cette année 1954 que maman m’inscrivit à l’Institution Lavigerie ; c’est également en cette fin d’année que l’Algérie allait être endeuillée. Ce fut tout d’abord la catastrophe d’Orléansville. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, un terrible séisme détruisit la quasi-totalité de la ville d’Orléansville, causant 1450 morts et de nombreux blessés; la secousse fut telle que nous la ressentîmes à Aïn-Séfra. A peine deux mois après cette terrible catastrophe qui endeuilla toute l’Algérie, un second séisme allait bouleverser le sort d’un pays tout entier. La nuit du 31 octobre au 1er novembre fut marquée par de multiples attaques et attentats qui causèrent la mort de plusieurs civils et militaires. Oran, il est 0h.20, Georges-Samuel Azoulay, chauffeur de taxi de 28 ans, attend à sa station habituelle rue du Cercle Militaire à Oran. Un Musulman se présente et demande de se faire conduire à Eckmühl. Georges-Samuel Azoulay n’a aucune raison de se méfier ; rien ne laisse présager ni une insurrection, ni un assassinat. En cours de route le client demande au conducteur de modifier l’itinéraire et de se rendre à la poudrière d’Eckmühl. Azoulay refuse et arrête son taxi. C’est alors que le client Musulman sort un revolver, abat froidement Georges-Samuel de trois balles, jette son corps et s’empare du véhicule pour tenter d’attaquer la sentinelle de garde de la Poudrière. L’assassin échoue. Il est arrêté quelques semaines plus tard dans un douar près de Saint-Denis-du-Sig. Au même moment, près de Mostaganem, un autre drame se prépare. Ce dimanche, à la tombée de la nuit, un groupe d’hommes sous les ordres de Sahraoui et Belhamiti se réunit au lieu dit « Oued Abid ». Sahraoui dispose d’armes de guerre (3 carabines italiennes, un fusil mauser et des munitions) qui lui ont été procurées par Bordji Amar. Cette réunion a pour but l’organisation d’une attaque qui doit être déclenchée à une heure du matin. Tous se réunissaient vers le centre de Cassaigne ; Belhamiti prenait la tête d’un demi-groupe composé de Mehantal, Belkoniène, Chouarfia qui devaient se poster légèrement au sud et à l’Est des bâtiments de la gendarmerie. L’autre demi groupe sous la direction de Sahraoui Abdelkader et composé de Belkoniène Taïeb, Tehar Ahmed et Beldjilali Youssef allait par l’Ouest s’approcher de la cour extérieure de la gendarmerie. C’est à ce moment là que survint une automobile qui stoppait devant la cour extérieure, côté est de la gendarmerie.

Le demi groupe de soutien de Belhamiti se dissimula dans un fossé bordant la route. Belkoniène et Tehar de leur côté, de peur d’être surpris eux aussi, cherchèrent à se dissimuler derrière les bâtiments de la gendarmerie ; ils y retrouvèrent Saharaoui Abdelkader qui leur donna l’ordre de se porter en avant et de tirer sur les arrivants. Il doit être un peu plus de minuit ; Laurent François, conducteur du véhicule, et Mendez Jean-François, son compagnon de route, revenaient d’un bal de Mostaganem et rentraient à Picard ; sur leur route ils étaient arrêtés par monsieur Mira – gérant de la ferme Monsonégo – qui leur demanda d’alerter la gendarmerie car il était attaqué. Des coups de feu claquèrent alors mais sans les atteindre. Laurent François et Mendez Jean-François se précipitèrent donc vers Cassaigne et venaient donner l’alerte à la gendarmerie. Laurent François sonnait au portail d’entrée et tous deux attendaient qu’on leur ouvre ; ils étaient éclairés par l’ampoule électrique allumée au-dessus du portail qui faisait d’eux une excellente cible pour les tireurs embusqués. Belkoniène et Tehar, en position de tireurs immédiatement derrière la clôture en fil de fer de la gendarmerie, à une vingtaine de mètres environ de Laurent François et de Mendez Jean-François, tirèrent chacun un coup de feu. Laurent François s’écroula, mortellement atteint d’une balle à la nuque ; Mendez Jean-François s’affaissa mais n’était pas atteint par la balle qui allait s’écraser près d’une meurtrière dans le mur de la gendarmerie. Un troisième coup de feu fût tiré sans atteindre sa cible. L’attaque prévue de la gendarmerie était un échec pour les terroristes qui s’enfuirent et se replièrent au lieu-dit « La pierre Zerouki ». La seconde victime civile de 22 ans s’inscrivait sur la liste de milliers d’autres au cours de cette guerre. Le lendemain, 1er novembre, Guy Monnerot, jeune instituteur métropolitain âgé de 23 ans, et le Caïd M’Chounèche Hadj Sadock, sont abattus au cours d’une embuscade. Ce lundi 1er novembre 1954 à 7 heures sur la route qui va de Biskra à Arris, un car avance lentement. La voie est étroite, sinueuse. Dans le car, des Musulmans et deux Européens. Un jeune garçon de 23 ans et son épouse de 21 ans, des nouveaux mariés, Guy et Jeanine Monnerot, instituteurs auxiliaires à Tiffeflel. En Algérie depuis trois semaines, ils ont profité du week-end pour visiter un peu la région. Le vieux car bringuebalant s’engage dans les gorges sauvages de Tighanimine… Guy Monnerot bavarde avec un personnage pittoresque dont l’élégance un peu voyante tranche avec la pauvreté des vêtements des autres passagers. Il porte un magnifique turban et un somptueux burnous. C’est Hadj Sadock, le Caïd de M’Chounèche, une petite localité des environs. Au kilomètre 77, la route qui surplombe le vide s’élargit, le chauffeur aperçoit un mince barrage de pierres au milieu du chemin. Au lieu d’accélérer et de bousculer le fragile obstacle, il stoppe. Un homme surgit à la portière, il est armé d’un vieux fusil allemand. L’homme somme le Caïd et les Monnerot de descendre du car. Une dizaine d’hommes entourent le car. Chihani Bachir, chef du groupe de rebelles, s’adresse au Caïd et lui demande s’il a reçu la proclamation du F.L.N. « de quel côté passes-tu ? Avec nous ou chez les Français ? » Hadj Sadok n’a qu’un rire méprisant pour ces « brigands » loqueteux, puis sèchement déclare : »Vous n’avez pas honte de vous attaquer à ces enfants…Ce sont des instituteurs, ils viennent pour nous aider… » Chihani Bachir marque le coup. Sadok, profitant d’un moment d’inattention, sort un pistolet de son baudrier de cuir rouge qu’il porte toujours caché sous sa gandoura. Sbaïhi Mohamed, l’un des hommes de Chihani, a surpris son geste. Il lâche une rafale de Sten en direction du Caïd. Le Caïd s’écroule atteint au ventre ; Guy Monnerot est touché à la poitrine et sa jeune épouse à la hanche. Les rebelles embarquent le corps de Hadj Sadok dans le car qui s’éloigne, laissant sur le bord de la route les jeunes gens moribonds. Une heure plus tard, l’ethnologue Jean Servier, le seul homme à n’avoir pas perdu la tête dans Arris encerclé, est mis au courant de l’attentat. Il accourt avec un vieux Dodge et deux maçons Italiens. Monnerot est déjà mort ; sa femme sera sauvée. Elle mourra, à 61 ans, peu de jours après le quarantième anniversaire du déclenchement de la guerre.

Les militaires n’échappent pas à cette vague d’attentats et d’assassinats. Dans l’Aurès, berceau de la révolution, Mostefa Ben Boulaïd, chef de l’insurrection de l’Aurès, a fixé l’heure H à 3 heures. Dissimulés dans l’ombre, les vingt-six hommes du commando Hadj Lakhdar sont prêts à attaquer la gendarmerie de Batna quand une sonnerie stridente réveille la caserne endormie. Le sous-préfet de l’Aurès, Jean Deleplanque, donne l’alerte.

A Biskra, aux portes du désert, des rebelles ont attaqué le centre de la ville confirmant les bruits d’insurrection qui couraient depuis quelques jours. En ne respectant pas l’heure d’attaque, le commando de Biskra a fait échouer la mission de Hadj Lakhdar. Devant les fenêtres qui s’allument, les ordres qui fusent, le chef rebelle décide de se replier. Ses hommes le suivent non sans arroser la façade de quelques rafales. Les hommes de l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale) remontent l’avenue de la République pour rejoindre la deuxième partie du commando à l’affût près de la caserne du 2/4ème R.A.. Au passage, un Chaouïa ajuste la sentinelle Eugène Cochet, soldat de 1ère classe au 4ème Régiment d’Artillerie, qui s’écroule devant sa guérite. Une autre, Pierre –Georges Audat, appelé du 9ème Régiment de Chasseurs d’Afrique en poste sur la route de Lambèse, tombe à son tour mortellement blessé ; il allait avoir 21 ans. Les Musulmans sont également victimes des hors-la-loi. Haroun Ahmed Ben Amar, un agent de police est tué à Dra El Mizan.

Lorsque les gendarmes arrivent, suivis des groupes d’intervention des deux casernes, les rues de Batna sont désertes. Les hommes de Hadj Lakhdar ont fui vers le maquis tout proche. Ils vont constituer le premier noyau de l’A.L.N. de l’Aurès. A Kenchela, l’attaque a été aussi soudaine. A 3 heures, la porte du commissariat central s’est ouverte ; les hommes de Laghrour Abbès, deuxième lieutenant de Ben Boulaïd, ont arraché leurs pistolets à trois gardiens de la paix avant de s’enfuir sans tirer. A la caserne de Kenchela, le deuxième groupe du 4ème Régiment d’Artillerie a fait face à l’agression. Mais les appelés, qui ne sont que de passage dans la petite ville au retour d’une expédition à Khanga-Sidi-Nadji, se sont affolés. Une sentinelle, André Marquet, atteinte d’une balle à l’aine, s’est écroulée à la porte du poste. Il meurt à Batna où il a été transporté. Quelques minutes plus tard, c’est le lieutenant Gérard Darnault, commandant le peloton du 9ème Escadron de Spahis Algériens de la place de Kenchela, qui tombe foudroyé. Attiré par les coups de feu, il a quitté sa villa située à quelques dizaines de mètres de la caserne pour tenter de repousser, à la tête de ses hommes l’attaque des fellaghas. Il n’a pas eu le temps de boutonner sa chemise.

C’est la dernière action de cette « Toussaint Rouge » qui marque le début de la guerre d’Algérie. Pour les six chefs du tout nouveau Front de Libération Nationale, le coup d’envoi de la révolution se solde par un échec complet : aucun objectif important n’a été atteint et trois civils français ont été abattus, alors que les ordres donnés la veille étaient de n’attaquer que les gendarmes, l’armée et les musulmans favorables à la France. Krim Belkacem en Kabylie, Didouche Mourad, dans le Constantinois, Rabah Bitat dans l’Algérois, Ben Boulaïd dans l’Aurès, Ben M’Hidi en Oranie et Mohamed Boudiaf, parti annoncer au Caire le déclenchement de la révolution, n’ont désormais qu’un but : Entraîner le pays dans un conflit dont l’unique objectif sera l’indépendance.

Pour s’attaquer à la forteresse coloniale que représente l’Algérie Française ils ont, en ce 1er novembre 1954, huit cents hommes, dont quatre cents seulement sont armés, et le soutien de trois « représentants » installés au Caire depuis près de trois ans : Mohamed Khider, Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. La guerre d’Algérie, qui allait durer 8 ans, avait commencé par un lâche assassinat, elle devait se terminer de la même manière, par les boucheries d’Oran où des milliers d’Européens trouvèrent la mort dans des conditions horribles. Mon oncle Gilbert, frère de Papa, fût enlevé le 3 Juillet à Oran ; il laissa une veuve et trois enfants en bas âge. Cependant la rébellion qui avait tendance à s’étendre sur tout le territoire n’altérait en rien – tout au moins pour l’instant - les relations que j’entretenais avec les jeunes Musulmans de mon âge qui habitaient dans ma rue ou celles avoisinantes ; nous allions à l’école ensemble et tout naturellement nous poursuivions nos jeux, nos échanges de livres, nos invitations réciproques.

C’est à Aïn-Séfra, au cours de cette période, que je pris conscience de l’horreur de la guerre. Le village n’étant pas très loin de la frontière marocaine, nous étions la cible des obus de mortiers presque tous les soirs; les fellaghas, retranchés sur le territoire marocain, tentaient d’atteindre avec leurs mortiers le quartier de la Légion Etrangère, mais les obus tombaient un peu n’importe où. Les attentats commencèrent également et le couvre-feu fut instauré. Cependant, grâce à la présence de la Légion Etrangère, les attaques du FLN dans le village étaient assez rares ; il n’empêche qu’il y en eut qui causèrent des victimes tant dans la population Européenne que chez les Musulmans.

Dans le courant de l’année 1954, la 1ère C.S.P.L.E. installée depuis 1944 quitte Séfra au grand complet pour s’installer à Zeribet-el-Oued ; les premières attaques terroristes que le Gouvernement qualifiera « d’évènements » viennent de commencer et dès le 22 novembre, la 1ère CSPLE subit un premier accrochage avec les dissidents de la vallée de l’oued Dermoune.

Au tout début des « évènements » les rebelles s’attaquaient à tout ce qui pouvait représenter la civilisation occidentale ; c’est ainsi qu’une nuit ils s’en prirent à la porcherie de monsieur FREUND et massacrèrent les 60 cochons ; ils enlevèrent, lors de cette tuerie, le gardien, un ancien légionnaire handicapé, et son épouse de confession musulmane. Malgré les recherches entreprises dès le lendemain ils ne furent pas retrouvés. Les rebelles s’attaquent également aux convois routiers et ferroviaires qui étaient devenus leurs cibles privilégiées. Aussi, tout au long de cette période nous vivions également l’angoisse de ne pas revoir notre père dont les déplacements étaient extrêmement fréquents sur les lignes du Sud. Il était également très fréquent que les trains de voyageurs soient la cible des rebelles, soit par la pose des mines au passage du convoi, soit en mitraillant les wagons à leur passage. Du reste à chaque trajet que nous faisions sur Oran, soit à l’aller, soit au retour, nous avons essuyé des fusillades plus ou moins importantes. Les chemins de fer avaient trouvé une parade aux mines, tout au moins lorsque celles-ci n’étaient pas télécommandées, en mettant devant la locomotive un ou deux wagons chargés de sacs de sable ; de cette manière nous évitions que la locomotive ne soit atteinte, mais surtout cette manœuvre tendait à protéger des vies humaines. Ces attaques se produisaient rarement dans le Nord, c’était surtout après le passage du Kreider. Du reste, dès le franchissement de Saïda, les militaires qui escortaient le train se préparaient à une éventuelle intervention. Lors d’un retour de vacances, nous eûmes une immense frayeur car notre train fut immobilisé par l’explosion d’une mine. Nous n’avions pas encore réagi à l’explosion que les wagons furent la cible de tirs de rebelles en embuscade. Dans le même wagon que nous occupions mes deux sœurs Anne-Marie et Nicole et ma mère, voyageait également la famille Grimaldi au grand complet, Joseph et Thérèse les parents de Marc-Antoine du même âge que moi et sa sœur cadette Bernadette. Joseph Grimaldi avait fait le déplacement sur Oran afin de tester et prendre connaissance d’un poste émetteur-récepteur de très grande puissance (B.L.U.) qui fonctionnait sur batterie et devait équiper les trains. Marc n’avait pas voulu prendre le train car la veille il avait fait un rêve dans lequel il voyait une attaque de fellaghas. Et avait supplié son père de remettre le voyage au lendemain. Monsieur Grimaldi s’y opposa énergiquement car il devait absolument rejoindre Aïn-Séfra et mettre en application le nouvel émetteur-récepteur qui, du reste à cette occasion, s’avéra d’une grande efficacité, puisque dès le déclenchement de l’attaque monsieur Grimaldi put alerter les autorités militaires qui intervinrèrent très rapidement. Le jour commençait à poindre et le train commençait à amorcer la pente d’El-Biod à Méchéria lorsque une très forte explosion se fit entendre ; des cris et jurons furent couverts par le crissement des roues sur les rails en même temps que le crépitement d’une fusillade se fit entendre. Maman nous coucha immédiatement sous les banquettes, elle-même s’allongea par terre. Dans notre compartiment nous avions remarqué la présence de trois Légionnaires menottés et encadrés par des gendarmes. Vraisemblablement ils étaient dirigés vers le centre disciplinaire de Djenien. Dès les premières rafales, les gendarmes s’aplatirent sur le plancher ; les légionnaires presque simultanément arrachèrent les P.M. des mains des gendarmes et ripostèrent en se plaçant sur la plate-forme arrière du train. La fusillade, à présent faisait rage, et l’on entendait très précisément les balles pénétrer dans les wagons et sièges en bois qui volaient en éclats. Nous, nous étions terrés et n’osions pas bouger. J’étais allongé sous la banquette du côté du couloir central du wagon, de sorte que je pouvais observer les légionnaires dont l’un était accroupi sur la plate-forme et tirait par petites rafales du pistolet-mitrailleur. Au bout d’un temps qui nous a paru interminable, nous avons pu entendre et voir un T.6 qui volait en rase-mottes et lâchait des rafales de mitrailleuses. Puis ce fut le silence. Les fells avaient décroché et nous n’avions aucune victime. Nous apprîmes plus tard qu’au lieu de l’immobilisation du train, des bonbonnes d’essence avaient été entreposées, vraisemblablement dans le but de mettre le feu au convoi. Le contrôleur nous avisa qu’un train en provenance de Séfra était en route pour que nous puissions effectuer le transfert et poursuivre notre voyage ; la locomotive de notre train était endommagée ainsi que la voie ferrée. Après deux bonnes heure d’attente, nous eûmes la joie d’entendre le long sifflement du train qui annonçait son arrivée. Vers midi nous étions enfin à bon port. Marc à qui sa mère avait acheté un vélo qui était dans le wagon de marchandise en le récupérant aperçut deux impacts de balles sur son guidon. Cela lui ferait un souvenir ! Dès le lendemain tous les copains étaient au courant de l’attaque dont nous avions fait l’objet ; à leurs yeux je faisais un peu office de héros de par l’expérience vécue et je dus narrer l’événement à chaque rencontre de camarade. Mais je n’en avais tiré aucune fierté, de fait j’étais même un peu gêné car j’avais avoué avoir eu une « sainte » frousse.

Notre village, fort heureusement, ne fut jamais confronté aux attaques meurtrières, aux massacres que vivaient les autres cités. Nous avions bien subi quelques attentats et attaques à l’intérieur du village mais, fort heureusement, nous n’avions pas à déplorer de morts civils. Quelques habitants furent, cependant, touchés dans leur chair mais ils eurent la vie sauve. La présence de la Légion Etrangère était vraisemblablement pour quelque chose ; de plus les rebelles avaient pour priorité les passages de la frontière, ainsi ils ne s’attardaient pas à prendre le risque d’attaquer les petits villages du Sud-Oranais.

Aussi, la vie s’écoulait ou tout au moins aurait pu s’écouler presque « comme un long fleuve tranquille » si notre tranquillité n’était troublé par la présence de la guerre. Tout, quotidiennement, nous indiquait que nous étions au sein d’un conflit.

Dès 1955, l’entrée du collège fût gardée par un militaire du contingent. Sa présence nous rappelait fort bien, si nous avions tendance à l’oublier, que nous étions en état de guerre.

Cependant, lui-même, ne semblait pas mesurer la gravité de la situation ; fréquemment nous pouvions voir le militaire jouer aux billes avec de jeunes musulmans, l’arme posée contre le mur d’une villa.

Cette méconnaissance du pays, de sa population, la naïveté et l’incrédulité causèrent la vie à nombre d’entre eux. Un jour, ce que l’on redoutait se produisit. Un jeune militaire de faction fut égorgé. L’assassin, un homme d’équipe des CFA venu d’Oran, un dénommé Zouaïa, ne survécut pas longtemps après son méfait. En mars 1962 alors qu’il se trouvait à Oran, il fût enlevé par un commando OAS qui l’exécuta. Dès lors, ce fût un légionnaire qui assura les entrée et sortie de l’école de l’Institution Lavigerie. Les Fellaghas poursuivent sur la quasi-totalité du territoire leurs méfaits : assassinats, incendies de fermes, viols. Aïn-Séfra semble épargné ; Il est vrai qu’Aïn-Séfra était bien moins touché que d’autres villes et, hormis les tirs de mortiers dirigés uniquement sur la caserne de la Légion et quelques incursions de rebelles, nous n’avions pas du tout le sentiment de risquer notre vie. Pour preuve, le fait que nous continuions comme d’habitude à nous éloigner du village dans des lieux isolés où nous risquions le pire. Du reste j’en ferai la douloureuse expérience quelques mois plus tard en découvrant les cadavres de deux Européens. Mais pour l’heure, tout semblait calme.

Dès le mois de janvier 1955 plusieurs opérations sont montées par l’armée – Opération Véronique dans le Djebel Amar Khadou au nord des Aurès, Opération Violette dans les djebels Tizé et Fouchi au sud des Aurès – qui se soldent par l’anéantissement de plusieurs bandes de rebelles.

Mais le F.L.N. ne s’attaque pas seulement à ses opposants, ni aux biens Européens ; lors d’une réunion dans un hôtel de Zurich en Suisse, Mohamed Boudiaf, Yacef Saadi et Ali Mahsas décident de renforcer les commandos anti-MNA et de liquider physiquement tous les responsables MNA y compris Messali Hadj.

Cette année-là, le 2 juin, je fis ma communion solennelle ; maman qui voulut que je la fasse à Assi-Bou-Nif, village de ma naissance car toute notre famille – tant paternelle que maternelle – habitait la région Oranaise et la fête se passerait à la ferme de mes oncle et tante, eut beaucoup de mal à convaincre le curé de la paroisse qui ne comprenait pas son insistance. Mais finalement il accepta. J’avais appréhendé depuis très longtemps cette Communion car je me voyais déjà en magnifique costume avec un brassard ornant mon bras. Hélas mon rêve tomba à l’eau car c’est précisément cette année que l’Eglise fit arborer aux Communiants l’aube blanche. Je passais donc ma communion en juin et, dans la foulée, démarrait mes vacances d’été ce qui eut pour effet d’estomper ma peine d’avoir eu à porter une aube plutôt qu’un costume. C’est également au cours de cette année 1955 que nous eûmes le plaisir d’avoir la primeur de la tournée de Gilbert Bécaud ; il passa d’abord à la Redoute devant les Légionnaires et leurs familles puis, s’installant sur le kiosque de la place Maréchal Lyautey fit un récital de ses premières chansons à une population enthousiaste qui lui réserva une immense ovation.

L’année 1955 est ainsi marquée, dans toute l’Algérie, par des attentats terroristes visant essentiellement des civils; ainsi le 17 juin 7 bombes explosent à Philippeville faisant plusieurs morts, le 20 août à El-Hélia 123 personnes, dont 71 Européens, femmes et enfants, sont massacrés par la bande de Zighout Youssef. Le village d’ El-Halia est situé à une quinzaine de kilomètres à l’est de Philippeville, sur le flanc du Djebel El-Halia, à trois kilomètres de la mer.

Là Vivent 130 Européens et 2000 musulmans. Les hommes travaillent à la mine de pyrite, les musulmans sont payés au même taux que les Européens, ils jouissent des mêmes avantages sociaux. Ils vont même jusqu'à assurer leurs camarades Degand, Palou, Gonzalès et Hundsbilcher qu'ils n'ont rien à craindre, que si des rebelles attaquaient El-Halia, " on se défendrait " au coude à coude.

A 11 h 30, le village est attaqué à ses deux extrémités par quatre bandes d'émeutiers, parfaitement encadrés, et qui opèrent avec un synchronisme remarquable. Ce sont, en majorité, des ouvriers ou d'anciens ouvriers de la mine et, la veille encore, certains sympathisaient avec leurs camarades européens... Devant cette foule hurlante, qui brandit des armes de fortune, selon le témoignage de certains " rescapés ", les Français ont le sentiment qu'ils ne pourront échapper au carnage. Ceux qui les attaquent connaissent chaque maison, chaque famille, depuis des années et, sous chaque toit, le nombre d'habitants. A cette heure-là, ils le savent, les femmes sont chez elles à préparer le repas, les enfants dans leur chambre, car, dehors, c'est la fournaise et les hommes vont rentrer de leur travail. Les Européens qui traînent dans le village sont massacrés au passage. Un premier camion rentrant de la carrière tombe dans une embuscade et son chauffeur est égorgé. Dans un second camion, qui apporte le courrier, trois ouvriers sont arrachés à leur siège et subissent le même sort. Les Français dont les maisons se trouvent aux deux extrémités du village, surpris par les émeutiers, sont pratiquement tous exterminés. Au centre d'EI-Halia, une dizaine d'Européens se retranchent, avec des armes, dans une seule maison et résistent à la horde. En tout, six familles sur cinquante survivront au massacre. Dans le village, quand la foule déferlera, excitée par les " you you " hystériques des femmes et les cris des meneurs appelant à la djihad, la guerre sainte, certains ouvriers musulmans qui ne participaient pas au carnage regarderont d'abord sans mot dire et sans faire un geste. Puis les cris, l'odeur du sang, de la poudre, les plaintes, les appels des insurgés finiront par les pousser au crime à leur tour. Alors, la tuerie se généralise. On fait sauter les portes avec des pains de cheddite volés à la mine. Les rebelles pénètrent dans chaque maison, cherchent leur " gibier " parmi leurs anciens camarades de travail, dévalisent et saccagent, traînent les Français au milieu de la rue et les massacrent dans une ambiance d'épouvantable et sanglante kermesse. Les victimes furent égorgées, mutilées, dépecées avec une sauvagerie indescriptible: une femme est éventrée et son nouveau-né introduit dans la blessure béante, d'autres femmes sont violées, des bébés de quelques mois ont le crâne fracassé contre les murs, de jeunes enfants sont égorgés d’une oreille à l’autre et leurs corps lardés à coups de couteau. Lorsqu'ils ne trouvèrent plus d'Européens vivants, les émeutiers saccagèrent les maisons puis les dynamitèrent. Des familles entières sont exterminées: les Atzei, les Brandy, les Hundsbilcher, les Rodriguez. La tuerie fera 33 morts, 15 blessés et 2 disparus (Armand PUSCEDA et Claude SERRA un jeune de 19 ans) Parmi les tués 21 enfants ou adolescents de moins de 20 ans. Quand les premiers secours arrivent, El-Halia est une immense flaque de sang. Les appelés du contingent arrivant au secours des civils abattront 83 assaillants et feront 58 prisonniers. Ce même jour du 20 août 1955, à Héliopolis, les fellaghas entrent dans le village porteurs d’un drapeau américain. Ils assurent la population que les Etats-Unis soutiennent la révolution. Jacques Soustelle convoque monsieur Clarke – Consul général des Etats-Unis à Alger et lui fait part de l’incident. Le State Departement ne fit jamais de mise au point malgré les multiples interventions de monsieur Clarke auprès de Washington. Ceci devait constituer un indice révélateur du rôle qu’allait jouer l’Amérique sans la suite du conflit algérien. La journée continue à être marquée par les assassinats et les massacres sans nom.

Philippeville est à nouveau la proie des terroristes puis c’est Constantine où 8 bombes explosent faisant 14 victimes. La folie sanguinaire ne s’arrête pas là . Aïn Abid, la stupéfaction se mêle à l'horreur. Ceux qui levaient brusquement le couteau sur les Européens étaient des familiers, des villageois musulmans paisibles. Au point qu'à Aïn Abid le maire avait refusé toute protection militaire, craignant que les uniformes ne vinssent troubler la paix des rapports antre les deux communautés. Les émeutiers, encadrés par des membres du FLN, s'infiltrent par différents points du petit village, prenant d'assaut simultanément la gendarmerie, la poste, les coopératives de blé, l'immeuble des travaux publics et les maisons des Européens. jusqu'à 16 heures, c'est la tuerie, le pillage, la dévastation. Les centres sont isolés les uns des autres, les Français livrés aux couteaux. La foule pénètre dans la maison des MELLO. Et c'est là la folie sanguinaire. Fautin MELLO est assassiné dans son lit, amputé à la hache des bras et des jambes; sa fille – un nouveau-né de cinq jours est tronçonnée sur le rebord de la baignoire devant les yeux de sa mère dont on ouvre le ventre afin d'y replacer le bébé. La grand-mère de 73 ans, la fille aînée, Marie-Josée de 11 ans, ne sont pas davantage épargnées. Mais, à Aïn-Abid, les civils sont mieux armés et ils se défendent avec un acharnement qui finit par tenir les rebelles en respect jusqu'à l'arrivée des renforts militaires, vers 16 heures. A Saint-Charles, les émeutiers égorgent promeneurs, femmes et nourrissons ; les passagers d’une voiture sont massacrés à la pelle et à la pioche. L’armée, quant à elle, poursuit ses opérations et la traque des rebelles ; ainsi le 25 septembre, dans les Aurès près de Djorf, une opération permet de mettre hors de combat 150 rebelles commandés par Chibani Bachir ; il est exécuté le 25 octobre par ses pairs qui l’accusent d’incompétence. Le F.L.N. poursuit de plus belle ses actions contre la population musulmane et le 30 octobre, il donne comme consignes aux Musulmans de ne plus boire, plus fumer, plus s’amuser sous peine de représailles.

Les Musulmans qui passent outre se voient infliger des sévices horribles ; on leur coupe le nez, les lèvres, la langue, les oreilles. Ils sont égorgés, découpés, pendus.

Le 29 novembre 1955, les C.S.P.L.E. qui opéraient dans la région d’Aïn-Séfra sont dirigées dans les oasis du sahara. Le P.C. du 2ème Régiment Etranger d’Infanterie avec 3 Compagnies Portées s’installe à la Redoute.

Le Sud-oranais et le Sahara sont désormais quadrillés par la Légion Etrangère ; leurs missions consisteront à assurer la sécurité des axes routiers et ferroviaires nord-sud pour permettre le ravitaillement de Colomb-Béchar et, accrocher et détruire les bandes rebelles implantées ou en transit dans les monts des Ksours. Les Compagnies Portées du 2ème R.E.I. commencent par « ouvrir », sur 170 km, la voie ferrée tous les matins pour y détruire les mines et déceler les embuscades, puis elles ratissent les djebels pour y accrocher les fellagha. Ce seront les premières opérations du Beni-Smir, du Goursifane, du Mzi, du Mir-el-Djebel, du Mekter, de l’Aïssa, du Mohrad, du Bou-Ahmoud, du Tanout, du Tamedda, en fait de tous les monts et massifs montagneux qui culminent tous au-dessus de 2000 mètres et servent de refuge aux « katibas »(environ 150 hommes). La région d’Aïn-Séfra, de part la toute proximité de la frontière marocaine, devient une zone d’opérations permanentes. Les rebelles retranchés au Maroc tentent, en permanence, de franchir la frontière pour pénétrer en territoire algérien ; ceux de l’intérieur tentent, eux, de franchir la frontière pour pénétrer au Maroc. Cependant ils paient lourdement leur audace à vouloir traverser la région et subissent d’énormes pertes ; hélas les forces militaires paient également un lourd tribut et, très fréquemment, la sonnerie aux morts qui retentit dans la cour de la caserne de la Légion nous rappelle que la guerre est aux portes du village. Le lieutenant Gransard sera le premier officier du 2ème R.E.I. a perdre la vie lors d’un combat dans le Draa Nelah, le 22 septembre 1955.

En 1956, j’avais rejoint les Louveteaux avec lesquels nous faisions de nombreuses randonnées dont les principales étaient Les Pierres Ecrites appelés également le rocher carmillé situé sur la route de Pierre Blanche à Tiout ; il y avait là de nombreuses inscriptions et figures rupestres. nous prolongions notre marche très fréquemment jusqu’à Tiout, une oasis d’une végétation luxuriante à travers laquelle coulait une rivière d’eau fraîche dans laquelle nous prenions plaisir à nous ébrouer ; là, nous établissions notre camp et nous nous adonnions à divers jeux. Je passais très rapidement ma première et seconde étoile.

La guerre, elle, qui continuait à endeuiller toute l’Algérie nous paraissait toujours étrangère mais nous ne pouvions, pourtant, ignorer qu’elle était là, bien présente. Aujourd’hui, avec le recul, je m’interroge sur le sentiment ou le regard que nous pouvions avoir sur le conflit qui se déroulait en Algérie. De toute évidence nous n’étions pas confrontés aux actes terroristes tels qu’ils se produisaient partout ailleurs et n’en mesurions pas l’importance. En revanche nous étions parfaitement au fait des combats qui se déroulaient entre forces de l’ordre et rebelles, de plus les attaques au mortier qui n’avaient pas cessé nous rappelaient bel et bien que nous étions au centre d’une guerre. Par ailleurs, dans la région, les opérations continuaient et l’on entendait très distinctement les combats qui se déroulaient dans les djebels ; nous étions aux premières loges pour voir le spectacle des T.6 qui effectuaient un ballet permanent de piquets sur les pitons, de remontées à la verticale pour de nouveau plonger dans un vrombissant étourdissant. Malgré la construction d’un barrage miné et électrifié qui ralentissait le passage des bandes, de nombreux rebelles continuaient à vouloir le franchir soir pour sortir du Maroc, soit pour y entrer. Tous ces passages donnaient lieu à des ripostes immédiates des Forces militaires de la région. Les attaques ou attentats dans la région d’Aïn-Séfra se poursuivaient et il n’était pas rare que le village soit la cible de raids de fellaghas. Lorsque cela se produisait, nous étions souvent avertis par notre chienne Folette , admirable Folette ; mon père nous l’amena à un retour de déplacement, c’était une toute petite boule noire qui déjà, sans même nous connaître, nous montrait son affection. Elle était issue de l’accouplement d’un loup et d’un berger belge (Tervuren) ; à peine âgée de 4 mois elle faisait fuir les gens mal intentionnés, son instinct était extraordinaire ; en effet, bien que nous n’avions pas entendu l’arrivée du train, nous savions parfaitement que papa arrivait car elle montrait des signes d’impatience et voulait sortir. Nous sortions sur notre pallier et la laissions partir en direction de la gare à la rencontre de papa. Nous pouvions suivre son parcours puisque la rue du père Dalleret était toute droite et menait à la gare. Nous étions également avisés de raids de fellaghas et, à chaque fois, elle nous prévenait en se dirigeant vers la porte d’entrée et en aboyant furieusement. Ma mère nous réunissait alors au fond de l’appartement, dans la dernière chambre. Nous restions là, tapis, sans bouger et attendions que la Légion intervienne. Les légionnaires du 2ème R.E.I. ne tardaient jamais, c’est sans doute pour cette raison que nous ne montrions aucune crainte et sans doute également pour cette raison que pour nous, perdus aux confins du sud-oranais, la guerre nous semblait lointaine.

Ce n’était pas, hélas, le cas pour les autres régions. L’année 1956 sera marquée par les pires tueries. Dès le 10 janvier, sur ordre d’Amirouche le chef FLN de la Willaya 3, un millier de Musulmans, femmes et enfants, sont massacrés à Oued-Amizour dans la vallée de la Soummam. Le 26 janvier, un car transportant des appelés arrivés de Métropole est attaqué par les rebelles qui massacrent les soldats et s’enfuient au Maroc. Le 21 février, 21 appelés du 51ème R.I.(Régiment d’Infanterie) sont tués près de El-Milia. Le 25 février, une famille de touristes Malouins tombe dans une embuscade au col de Sakamody ; 8 personnes sont sauvagement assassinées. Sous les yeux de Robert SALLA, garrotté, sa belle-mère, son épouse et sa fillette de 7 ans sont violées et égorgées. Robert SALLE est, lui-même, égorgé après le forfait des assassins. Les massacres de ce style se multiplient dans toute l’Algérie. Les jeunes appelés du Contingent paient, également, leur incrédulité. Les forces de l’ordre ripostent avec efficacité ; ainsi le 8 mars une unité de parachutistes accroche une bande composée d’une compagnie de Tirailleurs Algériens qui avaient déserté en égorgeant les cadres Européens. Les déserteurs laissent sur le terrain 126 tués et 6 prisonniers. Les paras ont perdu 1 homme et ont quelques blessés.

La France, bien que loin de la réalité algérienne, subit quelques contrecoups. A Paris, le 9 mars, 10000 Musulmans armés d’armes blanches manifestent et créent des incidents. La police intervient et procède à plus de 2000 arrestations avec saisies d’armes blanches.

Sur tout le territoire d’Algérie de nombreux Musulmans manifestent leur attachement à la France ; le plus important rassemblement réunit plus de 5000 kabyles près de Palestro qui deviendra sinistrement célèbre deux mois plus tard.

Hélas, si une majorité de Musulmans ne veut pas de l’indépendance, certains de nos propres compatriotes ainsi que des « intellectuels » français rejoignent et soutiennent le FLN. Le 7 avril Henri Maillot, Lucien Guerab, Maurice Laban, Farrugia et d’autres Européens du PCA (Parti Communiste Algérien) forment un maquis « Rouge ». Ils seront abattus le 6 juin lors d’une opération. Des religieux s’investissent également en faveur d’assassins. Les prêtres Augros, Manet et Merlan de la « Mission de France et d’Hippone » sont expulsés d’Algérie. Des « intellectuels » Français prennent partie du FLN (Malraux, Sartre, Simone de Beauvoir, JJ Servan-Schreiber, Françoise Giroud, maître Vergès qui épouse la poseuse de bombe – Djamilla Bouhired , maître Badinter, Dumas, Gisèle Halimi et bien d’autres), ils récoltent des fonds, ils transportent des valises ; se sont-ils seulement interrogés sur les conséquences de leurs actes ? Grâce à eux, à cause d’eux, des centaines d’Européens seront massacrés

Les massacres se poursuivent dans toute l’Algérie. Le 9 mai ,46 villages attaqués par le F.L.N. dans le Nord Constantinois( Rouached, Didjelli), de nombreux musulmans sont égorgés. Le 18 mai, 10 goumiers enlevés par le FLN et égorgés au Sud de Lamoricière.

Les rebelles continuent à exploiter l’incrédulité des appelés et causent de très nombreuses victimes dans leurs rangs ; de nombreux témoignages, du reste, sur cette incrédulité qui fut la cause de massacres furent occultés ; le 18 Mai 1956, dans les gorges de Palestro, 21 jeunes appelés du 9ème R.I.C., sous les ordres du sous lieutenant Artur, sont massacrés par le F.L.N. avec les armes volées par Henri Maillot. 15 seront retrouvés mutilés, 6 dont 4 blessés ont été emmenés par les rebelles qui ont eu 3 tués. Sept bataillons se mettent à la recherche des auteurs de l'embuscade et de leurs prisonniers. Ils retrouveront 4 cadavres mutilés prés du douar Amal. L’embuscade avait été tendue pendant que les militaires prenaient le thé dans un douar voisin ; les plus horribles mutilations subies par les malheureux furent le fait des villageois eux-mêmes. Cet horrible massacre, comme tous ceux du reste perpétrés par les gens du F.L.N., démontra l’évidence de l’ignorance et méconnaissance des appelés du contingent, y compris de leurs jeunes officiers, à l’égard d’une population qui n’était soumise qu’à la loi du plus fort.

Les évènements, tels que l’on les appelait, continuaient à endeuiller toutes les régions d’Algérie. Certains membres Européens du P.C.A. (Parti Communiste Algérien) créent un maquis appelé « Maquis Rouge » dont les membres sont Européens communistes tels Henri Maillot (lieutenant déserteur), Lucien Guerrab, Maurice Laban, Farrugia. Henri Maillot et Maurice Laban seront tués dans l’Ouarsenis le 6 juin 1956.

Toutes les villes d’Algérie sont la proie du terrorisme. Les attentats à l’arme blanche, à la grenade se multiplient sur l’ensemble de la population aussi bien Européenne que Musulmane. Le FLN cherche à instaurer, par tous les moyens, un climat de terreur et d’insécurité ; à Alger l’horreur atteint son apogée : deux bombes explosent en même temps au Milk-Bar et à la Cafétéria faisant 11 morts et 105 blessés graves dont beaucoup seront amputés, toutes les victimes sont civiles, parmi elles de nombreux jeunes gens et jeunes filles.

La région d’Aïn-Séfra qui semble quelque peu épargnée n’échappe tout de même pas à des actions rebelles ; Le 30 Juin, entre Géryville et El-Abiad, les fellaghas tendent une embuscade à un car et à son escorte ; les rebelles tuent 10 militaires, enlèvent 27 Français musulmans et assassinent 2 Européens : messieurs Esquembre et Quilici.

Les cheminots, par les attentats sur les lignes de chemin de fer, deviennent les cibles civiles privilégiées des fellaghas. Aïn-Séfra sera endeuillé en permanence.

Michel Pastor, ami à papa et à notre famille, fût tout au moins au sein de nos relations une des premières victimes des attentats contre le rail. Michel Pastor, chef de train, quitte Aïn-Séfra pour Béni-Ounif avec le train de marchandises 5031 le 6 Juillet 1956 à 7 heures. Le train passe Tiout une demi-heure plus tard lorsque le mécanicien s’aperçoit qu’un rail est sur le côté, déboulonné ; immédiatement le convoi fait halte. Tout semble calme et personne ne se doute que derrière des touffes d’alfa sont tapis des fellaghas qui avaient commencé à déboulonner les rails et qui, visiblement, n’ont pas eu le temps d’achever leur triste besogne. Michel Pastor descend du train et va au devant afin de se rendre compte des dégâts ; à l’instant où il se penche sur la voie une fusillade se fait entendre, les balles sifflent autour de lui et, brutalement, Michel sent une douleur au rein. Une balle vient de lui traverser la hanche en pénétrant par le rein droit. Il s’écroule sur le bas côté. La fusillade continue de plus belle. Le train de marchandises comportait un wagon rempli de fûts d’huile. Brutalement il s’enflamme et des flammes gigantesques envahissent le convoi. Les rebelles en profitent pour s’enfuir. Michel Pastor est toujours étendu. Malgré les soins il restera handicapé à vie. Il avait 27 ans lors de l’attentat ; il vit aujourd’hui paisiblement avec son épouse dans un petit village du Haut-Var. Sa blessure l’a contraint à marcher avec des béquilles et bien que plusieurs interventions soient intervenues, aucune d’entre elles n’a pu permettre à Michel Pastor de retrouver sa santé. L’attentat, en réalité, n’était pas dirigé envers le convoi de marchandises mais était destiné au train de voyageurs 2001 qui venait d’Oran et se rendait à Colomb-Béchar et qui suivait le convoi du train de marchandises à une demi-heure d’intervalle. Les conséquences auraient été sûrement plus dramatiques si le déraillement s’était produit au passage du train de voyageurs ; ainsi Michel Pastor, indirectement, évita sans aucun doute un massacre de voyageurs.

Bien qu’ils soient mis en garde, les appelés persistent dans leur incrédulité et ainsi deviennent la proie des terroristes et du FLN. Le jeudi 23 août, La légion avait monté une opération de ratissage dans le Djebel Mekter qui offrait de nombreuses caches aux rebelles. Elle était accompagnée d’une section d’appelés qui avançait en halt-track. A un moment, ils virent descendre de la montagne des hommes en tenue de combat qui levaient leurs armes en l’air et s’avançaient vers l’half-track en criant « la quille, la quille ». Les légionnaires n’eurent pas le temps d’intervenir pour avertir les jeunes appelés que ces hommes n’étaient pas des militaires Français mais des rebelles en tenue de combat. Les 8 hommes de la section furent abattus, les rebelles purent s’enfuir. La légion appuyée par deux T6 réussit à localiser la bande le lendemain et l’anéantir.

Le 28 août, le cadavre égorgé du Père Blanc Tabart, est découvert près du centre de Géryville.

Le Maroc n’échappe pas au soulèvement anti-Français et le 20 août des émeutes éclatent dans plusieurs villes et villages faisant de nombreuses victimes Européennes. Les émeutiers Marocains n’ont rien à envier des assassins du FLN ; ils massacrent à l’arme blanche, à la pioche. A Oued-Zem, 50 Européens sont ainsi massacrés dans des conditions indescriptibles, 3 journalistes sont également tués par les émeutiers. A Casablanca on déplore 8 morts et 7 blessés Européens.

Au 3 septembre, le bilan des attentats, méfaits est hallucinant : 2.720 civils Musulmans dont 42 femmes et 34 enfants ont été assassinés ; 363 Européens dont 17 femmes et 24 enfants ont été tués et massacrés ; 299 écoles ont été détruites ; 896 exploitations agricoles (Européennes et Musulmanes) ont été incendiées et saccagées ; 194 magasins ont été détruits ; 404 matériels agricoles ont été détruits ; 38.340 têtes de bétail ont été abattues ; 268.500 arbres fruitiers ont été coupés ; 4.432.000 pieds de vigne ont été arrachés ; 359.000 quintaux de fourrage ont été brûlés ; 4.583 hectares de récolte ont été incendiés.

Le Djebel restera un théâtre quasi-permanent d’opérations militaires contre les rebelles ; du 5 au 12 septembre 1956 les fellaghas laissent sur le terrain plusieurs dizaines de tués et de très nombreux prisonniers.

Ie 19 septembre 1956, 20 appelés du poste de Hadjerat sont tués par des rebelles en tenue réglementaire de l’armée française ; les rebelles arborent même le foulard identifiant les unités au combat. Une fois de plus, les appelés ne font pas attention et ne se méfient pas de ces « collègues » qui viennent vers eux en criant « la quille !» « la quille ! Bordel ! ». Lorsqu’ils se rendent compte de la méprise, il est trop tard. 2 compagnies du 2ème R.E.I. et une compagnie d’appelés se rend sur les lieux pour accrocher les fellaghas. Le convoi tombe dans une embuscade tendue par ces mêmes rebelles, le combat s’engage âpre, déterminé de part et d’autre. 19 rebelles sont abattus ; les légionnaires perdent 11 hommes et ont une vingtaine de blessés.

Aujourd’hui on peut se demander si tous ces militaires du contingent ne sont pas morts par ignorance de ce qu’était le pays ; de mon point de vue et ce, après avoir longuement interrogé des appelés ou rappelés, il s’avère qu’ils avaient quitté la France et leur foyer sans qu’un seul de leurs gradés ne les ait mis en garde face au terrorisme, adversaire redoutable par son anonymat. Tous les Officiers servant en Algérie étaient pourtant formés et informés de ce qu’était le pays, son origine, ses habitants de ce qu’était la guerre révolutionnaire menée par le FLN. Plusieurs manuels avaient été prévus à cet effet, dont trois principalement édités par le Bureau psychologique de la 10ème Région Militaire, et destinés à TOUS les cadres officiers servant en Algérie, expriment de façon très claire la situation et le comportement à avoir : Guide pratique de la Pacification, à l’usage des commandants de sous-quartier ; connaissance de l’Algérie, Rébellion en Algérie et Guerre Révolutionnaire écrite par le Capitaine Jacques Mercier. Le 30 septembre Alger est à nouveau endeuillé par des bombes placées à la Cafétéria et au Milk bar faisant 11 morts et plus de 60 blessés dont des enfants à qui on ampute les bras ou les jambes.

Le 22 octobre, l’armée de l’air intercepte l’avion transportant les chefs de la rébellion : Ben-Bella, Boudiaf, Khider, Lachref et Aït-Ahmed.


Les semaines et les mois passaient et il me fallut affronter le dur apprentissage de la vie. C’est à dire faire face aux provocations et surtout m’affirmer. Et des provocations j’en subissais presque quotidiennement ; je n’étais d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Il faut dire qu’à cette époque les bagarres étaient presque devenues un jeu où tout un chacun devait prouver qu’il était un « homme ». Nous étions, effectivement, à l’âge où il faut s’affirmer. Pour ce qui me concerne, depuis ma première rixe, déjà lointaine, dans l’oued, j’avais évité toute provocation et nul ne me cherchait noise jusqu’au jour où un jeune Européen de mon âge, José Lirola, pour je ne sais quelle raison décida de me prendre pour sa tête de Turc. Pendant plusieurs jours, à chaque sortie de l’école, il venait me provoquer et visiblement cherchait à se battre. Je faisais tout pour éviter l’empoignade au point que très fréquemment je décidais de rester en étude afin d’éviter une confrontation. Je me décidais à en parler à mes parents. Maman avait décidé de rencontrer le Père Lelay afin de lui en parler, Papa la dissuadât et m’interrogea sur l’âge de mon provocateur me demandant si je le craignais. A vrai dire je n’avais aucune crainte et j’étais même certain de la battre facilement ; j’avais eu le temps de le juger lorsque nous faisions du sport et je m’étais rendu compte qu’il n’avait pour lui que sa corpulence. Je répondis donc à mon père que je n’avais aucune crainte de l’affronter mais que tout simplement je n’avais aucune raison de me battre avec lui. Sa réponse fut simple : »Si tu ne l’affrontes pas et si tu ne le bats pas, d’autres poursuivront son jeu de provocation ». Je n’avais pas besoin d’autres paroles, cela me suffisait et déjà j’échafaudais la façon dont je m’y prendrais pour lui ôter de façon définitive l’envie de poursuivre ses provocations. L’occasion se présenta très vite, le lendemain soir, à la sortie de l’école, José comme à l’accoutumée vint m’importuner, visiblement il cherchait ce jour-là la bagarre, plusieurs camarades m’encourageaient et m’incitaient à répondre. Nous avions presque atteint la sortie du collège et étions proches du petit jardin entouré d’arbustes aux piquants très longs. Je sentais en moi la rage m’envahir et commençais à trembler, dès lors je savais et étais prêt à l’affronter. A présent je bouillais et attendais avec impatience l’occasion qui me serait donnée. J’étais sûr que j’aurais le dessus car José fanfaronnant n’était plus sur ses gardes ; au moment où il tournait le dos aux arbustes, je fis mine de m’enfuir et brutalement pivotais sur moi-même et j’assénais un violent coup de cartable au visage de José qui perdit l’équilibre et s’affala dans les épineux. Il se trouva dans une posture qui ne lui permettait plus de réagir aussi j’en profitais pour lui asséner sur le visage un nouveau coup de cartable et me mis à le rouer de coups de poings. José, visiblement, n’était plus en mesure de faire face aussi après lui avoir recommandé de ne plus me chercher, je lui tendais la main qu’il accepta tout penaud. A partir de ce jour-là, nos relations se renforcèrent et nous devînmes presque inséparables. Dès lors, nous étions fréquemment ensemble et, comme lui était également bagarreur, l’oued et la placette du cadran solaire étaient devenus nos lieux de rencontre avec nos adversaires. Jusqu’à mon départ d’Aïn-Séfra les bagarres se poursuivirent à un rythme quasi-hebdomadaire. Nous avions formé un groupe qui comprenait plusieurs camarades de l’Institution (Jean-Louis Solgadi, José et Jacky Lirola, Gros –fils d’un légionnaire, André Azoulay entre autres) et ainsi, étions devenus invulnérables.

La dernière fois que j’eus à me battre à Aïn-Séfra fût pour prendre la défense d’André et Paul Azoulay ; tous deux étaient importunés par un jeune Musulman armé d’une matraque. La scène se déroulait au coin de la rue ; moi j’étais assis devant chez moi et n’avais rien observé jusqu’au moment ou j’entendis André m’appeler. Sans hésiter je courais et me jetai sur le jeune Musulman qui m’assénait des coups de matraque. Mais étais-ce la rage ? Je ne ressentais rien, bien au contraire, j’étais animé d’une haine féroce qui décuplait mes forces à tel point que je réussis à lui arracher la matraque et, à mon tour, le rouais de coups. Madame Mallol avait alerté ma mère, madame Azoulay poussait de grands cris. Moi je continuais à matraquer le jeune Musulman. Quelqu’un vint m’arracher au Musulman qui était à terre et qui, à présent, criait de peur et sans doute de douleur, peut-être aussi pour ameuter d’autres jeunes musulmans afin qu’ils viennent à la rescousse. Fier de moi j’entrais dans la cour des Azoulay et posais la matraque contre le mur en indiquant à André que je lui faisais cadeau. Maman nous avait rejoint chez Azoulay, ainsi que madame Mallol. Je rassurais ma mère en lui indiquant que tout allait bien et que je n’avais que quelques douleurs dans le dos. En réalité lorsque j’ôtais ma chemisette qui était déchirée je m’aperçus que j’avais le corps rempli de bleus. Lorsque papa revint de déplacement, je m’empressais, tout fier, de lui conter l’aventure mais je ne vis aucune réaction si ce n’est un simple mot : »c’est bien ».


Au tout début du mois de novembre, le 5 précisément, les parachutistes Français sautent sur Port-Saïd et Port Fouad en Egypte par mesure de rétorsion envers le Président Nasser qui a décidé de nationalisé le canal de Suez. Les troupes Anglaises sont aux côtés des Français. La débandade de l’armée Egyptienne est totale et fulgurante ; hélas cette victoire des alliés est de courte durée car, sous la pression des Etats-Unis (encore nos bons amis américains) et de l’URSS, les troupes Franco-anglaises doivent cesser leur progression et sont tenus de quitter l’Egypte le 7 novembre. Dix jours plus tard, à New York, Mohamed Yazid fait un exposé devant l'"american commitee for africa" au cours duquel il indique que pour faire l'unité africaine, il ne faut pas hésiter à écraser par la force toute opposition. Il se garde bien d’évoquer les massacres des 5.344 civils dont 4.149 Musulmans. L' »american commitee » applaudit l’exposé et décide d’alimenter financièrement le FLN .

Le 17 novembre 1956 la 1ère C.P. accroche une bande rebelle, en pleine tempête de neige, dans le Béni-Smir ; le capitaine Millien, blessé deux fois, dirige le combat jusqu’au moment où, atteint une troisième fois, il tombe et succombe. Les légionnaires, pris de rage d’avoir perdu leur chef, montent à l’assaut et anéantissent la bande rebelle qui tentait de fuir.

Cette fin novembre 56 verra de nouveau Aïn-Séfra en deuil par la mort de plusieurs cheminôts lors d’un attentat ferroviaire.

Le train Inox qui avait quitté Séfra le matin du 30 novembre 1956, à l’aube, sautait sur une mine télécommandée, posée sur les rails à Hadjadj et Rouïba, avant la station de Djenien-bou-Rezg. Les deux motrices que pilotait Pascal Rivas quittaient la voie, la première percutait le remblai rocheux et la seconde grimpait sur celle de tête, écrasant les malheureux cheminots qui étaient tués sur le coup ; on devait retirer des décombres Pascal RIVAS (45 ans), Augustin SAEZ (36 ans) et Saïd MESSAOUDI (40 ans) père de 8 enfants. Par une cruelle ironie du sort, Pascal RIVAS, muté au dépôt de Mostaganem, assurait son dernier train sur la fraction Séfra-Béchar.

Le 23 décembre 1956, un autre train sauta sur une mine, entre Dayet el Kerch (km 568) et Djenien bou Rezg (km 573), faisant 4 morts parmi les cheminots parmi lesquels monsieur Durand – Chef de train et le conducteur algérien – KADA et 12 militaires. Mon père qui était sur le train comme contrôleur y échappa miraculeusement. L’émotion était à son comble à Aïn-Séfra ; les cheminots, victimes innocentes, payaient un lourd tribut.

Le 29 décembre plusieurs bombes sont posées par le Parti Communiste Algérien dans des églises détruisant les crèches de Noël, confessionnal ou bénitier. L’Armée, quant à elle ne reste pas inactive et multiplie opérations sur opérations ; plusieurs centaines de rebelles sont mis hors de combat parfois lors d’accrochages violents. L’armée française continue ses actions et met hors de combat des centaines de rebelles parmi lesquels le sanguinaire Zighout Youssef. Le 22 octobre, l’armée de l’air intercepte l’avion transportant les chefs de la rébellion : Ben-Bella, Boudiaf, Khider, Lachref et Aït-Ahmed. La fin 1956 est marquée par le parachutage des paras Français et Anglais sur Port-Saïd et Port-Fouad. L’armée Egyptienne est défaite en 24 heures. La France et l’Angleterre sont contraintes d’abandonner le terrain sous la pression des Russes et de nos « bons amis Américains ». Ces évènements étaient devenus cependant notre quotidien et nous continuions notre vie sans trop y penser, avec même un tant soit peu d’insouciance, sans doute dû à notre jeune âge. Les adultes semblaient également jouir de la même insouciance. Papa aimait autant la chasse que la pêche, il s’en donnera à cœur joie à La Salamandre quelques années plus tard, revenait fréquemment avec des perdreaux ou des gangas ; très souvent, également, on le voyait arriver au bout de la rue avec un immense sac pendu à son épaule. Il nous ramenait des champignons, ces énormes champignons que l’on trouve dans le sable et qui ont la fermeté des « pieds-de-mouton ». Maman les coupait en long et les faisait frire. C’était un délice. Etait-ce à cause des évènements, mais toujours est-il qu’il ne m’amenait jamais avec lui. La seule fois où il m’amena chasser les gangas, ce fût l’horreur que je vécus. Nous longions la voie ferrée vers un lieu appelé « pierre blanche » et nous nous dirigions en direction de Tiout, lorsque soudain mon père s’arrêta et m’intima de rester où j’étais, de ne plus avancer ; trop tard, j’avais vu ce qu’il voulait me cacher. Du reste ce que je voyais et qui m’avait glacé le sang m’empêchait de faire un pas de plus en avant ; de part et d’autre du rail deux piquets étaient plantés, chaque piquet portait une tête décapitée. C’était sans aucun doute des cantonniers, employés par les chemins de fer, pour en assurer l’entretien. Etait-ce l’œuvre des ouvriers Musulmans qui travaillaient avec eux à l’entretien de la voie ou l’assassinat gratuit des vaillants combattants du FLN ? Les horreurs de la barbarie continuaient sur toute l’Algérie, les attentats contre la population civile se multipliaient dans toutes les agglomérations et même dans le bled.

Bien que je fusse profondément marqué par cette vision d’horreur, Je poursuivais mon adolescence quelque peu insouciante.

J’étais au collège Lavigerie tenu par les Pères Blancs. J’avais grandi et commençais les premiers roucoulements ; Ma première approche de la gente féminine s’étant soldée par un échec face à la ravissante Andrée, je jetais, pour la seconde fois, mon dévolu, envers l’une des deux filles de monsieur Durand qui devait décéder, le 23 décembre 1956, suite à l’explosion d’une mine sous le train qu’il dirigeait. C’était une magnifique petite blondinette que je retrouvais à la gare. Là, nous avions pour nous seuls, ou presque, tous les wagons qui nous offraient des cachettes idéales qui nous protégeaient de tous regards indiscrets mais pas forcément des cachotteries des autres camarades qui, de temps à autre, venaient voir « où nous en étions ». Ces premières amours étaient certes extrêmement puérils mais tout de même nos « baisers » étaient sincères, nos promesses – il faut bien l’avouer – un peu moins, surtout en ce qui me concerne. Ce premier amour, en effet, devint le début d’un papillonnage bien involontaire. Serait-ce possible que ce succès puisse être le fait des offrandes telles ces friandises et petits bonbons que nous pouvions acheter pour 2 francs 6 sous et qui constituaient l’essentiel de mes cadeaux. Cela pouvait-il être la jalousie d’autres filles à l’égard de l’élue de mon cœur. A moins que ce ne fût le prestige de l’uniforme d’enfant de chœur que j’arborais fièrement ? Il faut bien convenir que nous avions fière allure dans nos aubes rouges et chasubles blanches. J’avais été désigné par le Père Le Lay pour assister à la messe une fois par semaine ainsi que pour celle du dimanche. Dans la semaine j’y voyais une certaine contrainte car il fallait me lever plus tôt pour assister à la messe de l’église du village qui se déroulait vers 7 heures, sitôt la messe terminée il me fallait cavaler pour me rendre au collège. En revanche j’appréciais le dimanche car toutes les filles du village, ou presque, étaient présentes et bien entendu venaient toujours communier. Ce moment là, c’était le bonheur ; à l’eucharistie le prêtre allait donner l’hostie aux fidèles agenouillés, moi je suivais avec la coupelle que je devais mettre sous le menton des pénitents. A cet instant précis, Il y avait toujours des croisements de regards, des esquisses de sourire à mes grimaces que le prêtre ne pouvait voir, mais surtout je prenais un malin plaisir à chatouiller le menton avec la coupelle au moment même où la « pénitente » ouvrait la bouche pour recevoir l’hostie. Et, bien entendu, comme, je présume, tous les enfants de chœur de la planète, nous profitions de l’absence du Père dans la sacristie pour y goûter le « sang du Bon Dieu ». Nous poursuivions notre vie d’adolescent sans trop penser aux évènements jusqu’au jour où je fus moi-même pris dans la tourmente.

L’année 1957 débute par une série d’attentats à la bombe dans toute l’Algérie ; les plus meurtriers se situent à Alger où Danielle Minne, Fadilla et Djamila Bouazza déposent simultanément des bombes à l’Otomatic, à la Cafétéria et au Coq Hardi en plein centre d’Alger. Ces établissements sont fréquentés par une majorité de jeunes étudiants. On dénombrera 11 morts et 60 blessés dont plusieurs enfants à qui on amputera les bras ou les jambes. Les opérations militaires se poursuivent dans la région d’Aïn-Séfra et le 3 mars, lors d’un violent accrochage dans le Djebel Amour, 50 rebelles sont abattus.

Les accrochages se succèdent dans le Béni-Smir, puis dans le djebel Mekter en Avril 1957, dans le Mzi et le Mohrad en juin 1957 où deux compagnies commandées par le chef de bataillon Raphanaud, anéantissent la moitié d’une bande rebelle encerclée ; les survivants se rallieront et formeront une harka qui se battra aux côtés de l’armée française. Le 9 juillet 1957, un nouvel accrochage dans le Djebel Mazouba cause la mort d’un nouvel officier de la Légion, le Lieutenant Noack. Puis c’est dans le Tikech-Kach en août que, de nouveau, le 2ème R.E.I. s’illustrera.

Les trains continuaient, aussi, à être la cible des terroristes causant, à nouveau, des morts parmi les cheminots. C’est sans doute, sur ce point que j’avais conscience de la guerre et en mesurais toute sa cruauté. A chaque fois que papa partait en déplacement, nous vivions avec la hantise que le train sur lequel il exerçait soit la cible d’un attentat. Nous ne parlions pas et évitions même ce sujet, mais au fond de chacun d’entre nous l’angoisse de ne pas revoir l’être aimé nous étreignait.

Le 1er avril 1957 : entre Ben-Zireg (km 699) et El-Haouari (km 729) un autre train sauta sur une mine causant la mort de 3 cheminots messieurs Tarri, Vivès et Rost et 3 blessés. Monsieur ROST qui habitait la rue descendant de la gare, était sorti des décombres et paraissait indemne ; il alluma une cigarette et, brusquement, tomba foudroyé par une hémorragie interne.

Les accrochages se succèdent dans le Béni-Smir, puis dans le djebel Mekter en Avril 1957, dans le Mzi et le Mohrad en juin 1957 où deux compagnies commandées par le chef de bataillon Raphanaud, anéantissent la moitié d’une bande rebelle encerclée ; les survivants se rallieront et formeront une harka qui se battra aux côtés de l’armée française. Tous ces évènements contribuent au renversement du Gouvernement Guy Mollet le 21 mai. Deux jours plus tard le 3ème R.C.P. de Bigeard accroche une bande rebelle à Agounennda et, après un combat de 48 heures, met hors de combat 96 rebelles et fait 12 prisonniers ; les paras perdent 8 hommes et 29 blessés.

Les horreurs de la barbarie continuaient sur toute l’Algérie, les attentats contre la population civile se multipliaient dans toutes les agglomérations et même dans le bled.

Le 28 mai Sur ordre de Mohamedi Saïd, (ancien de l'abwer, le renseignement allemand pendant la seconde guerre mondiale) commandant de la willaya 3, les civils musulmans de Mechta-Kasbah, hameau prés de Melouza en Kabylie, favorables au M.N.A.,sont massacrés, égorgés, émasculés par une compagnie commandée par le capitaine Arab, faisant plus de 300 morts et 150 blessés parmi les habitants. Le FLN tentera de faire imputer ce massacre aux militaires français.

Le 9 juin, Alger connaît de nouveau l’horreur, une bombe explose au Casino de la Corniche faisant 10 morts et 84 blessés. Dans toute l’Algérie, tant dans les villes que dans le bled, les attentats individuels se multiplient et touchent, à présent, la population musulmane à qui rien n’est épargné. Les atrocités commises par le FLN sont indescriptibles tellement elles atteignent l’ignominie.

Le 9 juillet 1957, un nouvel accrochage dans le Djebel Mazouba cause la mort d’un nouvel officier de la Légion, le Lieutenant Noack. Puis c’est dans le Tikech-Kach en août que, de nouveau, le 2ème R.E.I. s’illustrera.

C’est cette année-là que je quittais les Louveteaux pour entre chez les Scouts. Le Père Diesté m’affecta à la patrouille des Cerfs. Je n’étais pas peu fier d’arborer l’uniforme des Scouts, de plus j’avais l’immense bonheur de pouvoir participer pour les vacances scolaires à un grand rassemblement, en France, à Sainte-Marie-de-Campan tout près de Bagnères de Bigorre.

J’étais donc comblé car, tous comme beaucoup de mes camarades - pour ne pas dire tous – je ne connaissais pas la France, cette Mère-Patrie, que nous avions appris à aimer sur les bancs de l’école. Pouvait-on imaginer, en ce temps là, que peu de temps après, cette France chérie nous abandonnerait.

Avec maman je m’affairais plusieurs jours avant le départ aux préparatifs du voyage et du séjour. Le jour de notre départ en train, toutes nos familles nous ont accompagnés ; il y a de la joie, de l’émotion, des rires, des pleurs. Pour la majorité d’entre nous ce sera la première longue séparation et de surcroît dans un lointain pays. Comme nous devons embarquer d’Alger, nous changeons de train à Perrégaux qui est la gare où se croisent les voies normales et étroites. Nous arborons fièrement notre uniforme : sac à dos, short foncé, ceinturon, chemise kaki sur laquelle sont cousus les insignes de la Troupe, autour du cou notre foulard rouge et bleu ; la coiffure réglementaire est le béret aplati de couleur noire sur lequel est épinglée la croix de Baden Powel.

Toutes les troupes du Sud-Oranais se retrouvent dans notre train et rejoignent notre groupe dirigé par le Père Diesté. Le train nous mène précisément à El-Biar (banlieue d’Alger) où se trouve sur les hauteurs le siège des Pères Blancs. Dans l’attente de notre embarquement, nous visitons la ville d’Alger ; et arrive enfin l’embarquement à bord d’un paquebot qui nous semble démesurément grand. L’émotion est forte lorsque nous voyons apparaître la côte française, puis Marseille se rapproche de plus et notre regard se porte sur la « Bonne Mère » la Vierge qui surplombe Marseille et que nous comparons à Notre Dame d’Afrique d’Alger et à notre dame de Santa-Cruz d’Oran.

Puis c’est le car qui nous amènera dans ces Hautes-Pyrénées, région merveilleusement belle et hospitalière. Sainte Marie de Campan, lieu de notre campement, se situe au pied du Col d’Aspin à 1489 mètres d’altitude.

Sitôt arrivés nous nous affairons à organiser le campement ; chaque patrouille a des consignes très précises et doit assumer une tâche impartie : telle patrouille monte les tentes, telle autre prépare un coin cuisine, une autre aménage un coin toilettes. L’organisation se révèle d’une extrême efficacité puisque à la fin de la journée le campement est « opérationnel ».

Le séjour est merveilleux et nous alternons jeux et visites de quelques villes et sites. L’un des sites dont je me souvienne le mieux est « le Cirque de Gavarnie » et sa grande cascade ; sa chute d’eau est impressionnante, mais pour l’admirer de près, il nous faut marcher sur un chemin de galets où seuls les ânes et les mulets sont à l’aise ! les chaussures de marche que nous portons s’avèrent, en ce moment pénible, d’une grande utilité. Les quelques touristes rencontrés sont transportés à dos d’ânes ou de mulets… nous, nous sommes à pied ! Nous sommes allés visiter la basilique de Lourdes. Là, les touristes et les pèlerins sont nombreux. Beaucoup de personnes handicapées, des malades sont là pour prier, implorer la Vierge Marie. Chacun attend le miracle et s’il ne vient pas chacun a au fond de lui-même un réconfort moral. Tout ce monde est venu chercher, ici à Lourdes, la quiétude, la prière. Avant le retour, nous faisons quelques emplettes dans les magasins de vente des souvenirs, installés de chaque côté de cette grande rue. J’achète des médailles de la Vierge, des flacons d’eau bénite. En fin d’après-midi, nous rejoignons le campement en car.

Le temps des vacances s’écoule paisiblement. Chaque jour nous faisons des promenades ou des excursions. Il fait beau et agréable dans la journée mais, le soir dès le crépuscule, la fraîcheur nous rappelle que nous sommes en montagne. Il fait bien frais. Heureusement, dans nos bagages et en prévision de ces soirées, chacun de nous, peut se recouvrir d’une cape bien molletonnée qui nous réchauffe et nous permet d’affronter cette humidité ambiante.

Un matin, très tôt, le chef de troupe nous réveille afin de rejoindre le Col du Tourmalet et y admirer le lever du soleil sur le Pic du Midi. C’est en car que nous accédons à ce site exceptionnel. Lorsque nous arrivons, nous découvrons un spectacle magnifique : le ciel est clair, sans nuages, l’aurore scintille de mille éclats. Nous avons les pieds mouillés par la rosée du matin mais qu’importe. Cet environnement nous change de notre Sud que nous avons presque oublié. Nous prenons une collation préparée par une patrouille et nous regroupons autour du chef qui nous annonce que l’on doit retourner à Sainte Marie de Campan….à pied. Chaque patrouille doit prendre un itinéraire différent et devra se diriger à la boussole ; l’heure d’arrivée au campement est prévue pour dix-huit heures. Notre patrouille prend donc le chemin à travers la forêt ; je ne suis pas rassuré et ne suis pas le seul dans ce cas, mais nous faisons confiance à notre guide qui n’a pas une ombre d’hésitation et qui, après avoir consulté sa boussole, nous indique le chemin à suivre. La route est difficile mais nous parvenons après quelques bonnes heures de marche au campement vers 17 heures. Nous sommes surpris de ne voir que quelques patrouilles d’autres groupes, mais aucune de chez nous. De même tout au cours de notre marche nous n’avons rencontré personne. Le soir nous organisons une veillée autour d’un immense feu de camp ; chacun raconte son périple, chacun commente les erreurs commises. La soirée s’achève par des chants. Les jours passent, les soirs aussi. Certains soirs où nous ne faisons pas de veillées, nos anciens s’éclipsent du camp en nous recommandant, bien entendu, de ne pas bouger de nos tentes, et rejoignent un camp de Jeannettes installé tout près du nôtre. Ce n’est que le matin que nous les voyons arriver. Ils sont harcelés de questions mais aucun ne nous répondra.

Quelques jours après, nous reprenons le chemin du retour, la tête pleine de souvenirs. Des nouveaux liens d’amitié se sont tissés pendant ce séjour. Sur le sac à dos, nous avons cousu les écussons des villes et des sites visités.

Nous étions loin des évènements et poursuivions notre vie d’adolescent sans trop penser aux évènements jusqu’au jour où je fus moi-même pris dans la tourmente.

Ce jour-là arriva presque à notre retour de Sainte-Marie de Campan ; nous étions tous encore imprégnés de ces fabuleuses vacances, lorsque brutalement la réalité que nous avions quelque peu oubliée fit place au rêve.

C’est ainsi que le 14 août 1957, une bande rebelle portant des uniformes de l’armée française fait irruption dans le village, non pas pour se battre, non, pour tuer, pour assassiner toutes les personnes civiles qui avaient eu le malheur d’être dehors à cette heure-là. Il était un peu moins de 20 heures, à cette heure-ci et en cette période, il fait très chaud, les gens sont dehors pour « prendre le frais » en attendant l’heure du couvre-feu qui était fixée à 21 heures.

La bande rebelle en formation de patrouille française déboucha de derrière le pont face au parc à fourrage. Madame Liliane Vernhes et son jeune fils de 3 ans Michel sont assis devant leur porte. Victor est parti prendre son service à la gare . LilianeVernhes ne prête pas trop attention aux visages des « pseudo-militaires », il fait noir ; la patrouille arrive à sa hauteur, l’un des « militaires », en passant, caresse la tête de Michel. La patrouille se dirige maintenant vers le centre du village où se situe la place ; Roland Freund qui a fermé le bar vers 19 heures profite du peu de temps qu’il reste avant le couvre-feu qui est à 21 heures, pour faire le « boulevard » en compagnie de Jeannette Heansel, sa cousine ; ils sont sur l’avenue de France lorsque le couple croise une patrouille en tenue militaire ; Roland semble surpris par la physionomie des «pseudos-légionnaires et en fait part à Jeannette: »ils ont des têtes d’arabes ces légionnaires ! » ; Tous deux se retournent afin de mieux observer la patrouille, à cet instant précis l’un des militaires lève son arme et les met en joue. Roland hurle : »couche-toi, couche-toi ! ». Les rafales crépitent, les tirs sont dirigés en toutes directions. Victor Vernhes vient juste d’arriver à la gare lorsque les rafales d’armes automatiques se font entendre. Liliane Vernhes s’effondre touchée par une balle qui lui traverse la hanche, une autre balle atteint le jeune garçonnet au genou. Jeannette et Roland ont pu échapper de justesse à la mort grâce à la rapidité avec laquelle ils ont pu se jeter à terre ; néanmoins Jeannette est légèrement atteinte au doigt et à la jambe, Roland au pouce. Carmine Villani, le tailleur, qui habite tout près et qui veut se rendre compte de la situation, ouvre sa fenêtre, une rafale de mitraillette le touche au bras – il sera amputé. Les gémissements de Jeannette sont perçus par un fellagha qui revient sur ses pas et arrose de nouveau Roland et Germaine de plusieurs rafales de mitraillettes, fort heureusement c’est le gros eucalyptus qui subit les dommages.

Monsieur Gaget, propriétaire de l’hôtel, entendant les coups de feu fait irruption dans la rue muni d’un fusil de chasse, il est vêtu d’un tricot de peau blanc qui se détache nettement dans la nuit, monsieur Grimaldi est également sorti et aperçoit monsieur Gaget dont la silhouette se dessine comme en plein jour et fait une cible privilégiée pour les rebelles qui ne sont qu’à quelques dizaines de mètres et qui continuent d’arroser la rue ; il hurle et invective monsieur Gaget lui recommandant de se protéger ou de rentrer.

J’étais à la coopérative des C.F.A lorsque les premières rafales se firent entendre; papa m’avait envoyé acheter du « ras el rahnout », l’épice indispensable pour aromatiser le couscous. Dès les premiers coups de feu je m’étais précipité dehors et, prenant les jambes à mon coup, je traversais la place pour prendre l’avenue menant à la gare. De temps à autre je me blottissais contre une porte cochère et ainsi, j’atteignis la rue de la Mosquée, que je pris à toute allure afin de rejoindre un peu plus loin la rue du Père Dalleret où j’arrivais tout haletant. La fusillade n’en finissait pas et me semblait à présent s’éloigner. A chaque interruption je courais et, enfin, je parvins chez moi. Ma mère et mes deux sœurs s’étaient réfugiées dans la chambre de mes parents et étaient blotties les unes contre les autres, papa semblait imperturbable et continuait à faire le repas dans la cuisine. Après avoir tambouriné contre la porte, c’est papa qui vint m’ouvrir ; entre nous il n’y eut pas un mot, maman, elle, se précipita sur moi et m’étouffa presque en me posant mille questions. Je leur contais ce que j’avais entendu mais sans grande précision car en réalité je n’en avais aucune. Le calme était revenu et nous nous mîmes à table comme si rien ne s’était passé. Alors que nous dînions madame Ponssoda vint nous dire que son mari ne rentrerait pas car il partait avec une section à la recherche de la bande de fellaghas. Maman l’invita à aller chercher ses deux petites filles et rester avec nous. Le lendemain, lors d’une opération de ratissage, la bande rebelle fut complètement anéantie par une C.P. du 2ème R.E.I. partie à sa recherche. Nous apprîmes également la façon dont s’était déroulée l’attaque et les noms des blessés parmi les blessés il y eut monsieur Vittali qui fût amputé du bras droit. Ce premier événement tragique n’altéra en rien notre façon de vivre et nous continuâmes à fréquenter les dunes, à nous rendre à pied jusqu’aux Pierres Ecrites, en un mot à vivre comme si rien ne se passait. Les randonnées scoutes se poursuivent. C’est ainsi que nous allons passer quelques jours au Kredeir, station thermale, située entre Saïda et Méchéria. Une unité de la Légion Etrangère entretien un jardin et y cultive légumes et fruits qui servent à alimenter le Régiment. Au Kreider, pendant les évènements, nous installons nos tentes à l’intérieur des fortifications construites par la légion. Une belle et grande piscine a été creusée et aménagée par les légionnaires au milieu des jardins et des bâtiments ; l’eau qui provient de la source thermale est tiède. Sa température nous permet de nous baigner dès les premières heures de la matinée. Nous pouvons ainsi nous entraîner à la natation et passer le badge de nageur suivant la spécialité retenue. Les veillées sont autorisées mais la durée limitée ! C’est trop risqué. Le jardinier nous abonde de fruits et légumes d’une saveur incomparable ; tous ces produits sont frais et sont traités comme dame nature le veut, c'est-à-dire sans aucun artifice d’aucune sorte. Nous avons là des produits bio. Tout autour de ce lieu aride et présaharien ne pousse que l’alfa. Un grand chott occupe une dépression fermée dont le fond est une Sebkha ; c’est un grand marécage salé, temporairement asséché. Les quelques jours passés nous permettent de faire des excursions. Un jour nous avons profiter de rejoindre un lieu magique. Une abondante végétation de lauriers à fleurs roses, de grands palmiers, est arrosée par une source. Cette verdure inattendue apporte une fraîcheur incomparable dans ce lieu désertique. Nous remarquons que le génie militaire a eu le bon réflexe d’installer un abreuvoir. Cette aubaine permet aux troupeaux de chèvres, de moutons, d’ânes de se rafraîchir. Nous avons pu apercevoir et approcher des dromadaires. Ces animaux sont proches du chameau mais ils ont une seule bosse. Le dromadaire est utilisé comme bête de somme dans ce grand désert. La caravane est formée par plusieurs dromadaires accompagnés par les nomades. Les marchandises sont ainsi transportées d’un point à un autre ou plutôt d’une oasis à une autre oasis. Au retour de cette promenade, il fait une chaleur torride. Le vent souffle et soulève des nuages de sable. Nous avons la chance d’apercevoir des gerboises qui vont d’une touffe d’alfa à une autre. Les traces sont nombreuses, sans oublier les bousiers qui roulent leur crottin. Les scorpions sont présents et sont partout, n’importe quelle pierre peut abriter une nichée. Nous préférons éviter leur rencontre qui s’avère toujours dangereuse ; le venin agit très rapidement et dans ce cas il vaut mieux avoir sur soi une dose d’antidote. Les petites vipères du désert sont très vives et assez nombreuses. Les traces de leurs déplacements sont visibles sur le sable. Dans ce grand désert nous sommes surpris de constater combien la vie sauvage est présente partout. Les points d’eau sont investis par la flore et la faune. Le désert est fabuleux. Les pièges ne manquent pas, la prudence est de règle et notre meilleure compagne. A l’ombre du soleil, dans le sac à dos, il faut toujours avoir une gourde remplie d’eau ! Une gorgée d’eau de temps à autre peut sauver de la déshydratation rapide dans ces lieux austères. Ici, la variété de plantes que l’on peut découvrir, contempler est absolument extraordinaire, tant par la multitude de variétés que par celle des couleurs. Cet ensemble offre tout un ensemble de nuances sur un fond jaunâtre de la couleur du sable, agrémentée par un ciel bleu azur éclatant et sans nuages. L’infini de cette étendue désertique nous laisse le temps d’imaginer ce que peut être le reste de cet immense désert. La quiétude que peut nous procurer ce silence est quelque peu troublée par le cri d’un fennec, petit renard des sables à très larges oreilles. Nous terminons cette promenade, accompagnés par le simoun, ce vent chaud et violent qui soulève et forme des tourbillons de sable. Heureusement l’abri de notre tente sera des plus bénéfiques pour nous protéger. Une fois le maillot de bain passé, nous allons plonger dans la piscine. Les vacances étant achevées, je reprenais le chemin de l’Institution le cœur léger, heureux d’avoir passé d’aussi bonnes vacances ; bien sûr la ferme m’avait quelque peu manqué, mais cette expérience de séjour en France avait été des plus salutaires quant à ma connaissance de la mère Patrie et de ce que l’on nous enseignait à l’école. Ne nous apprenait-on pas que nos ancêtres étaient les Gaulois ? C’était la franche rigolade lorsque notre professeur nous affirmait cela. Nous nous lancions alors des boutades : « hé Redouane, tes ancêtres étaient blonds ? Seul notre professeur ne riait pas et nous menaçait de nous mener chez le « père fifine » ; il nous fallait également apprendre par cœur la géographie : les Alpes et les atlas Tellien, le Rhône et le Chélif. En cours de mathématiques avec Quinquin, nous avions droit aux interrogations écrites tous les vendredis. Pour ce faire il nous demandait de prendre une demi-feuille de papier, d’y inscrire la date et d’y noter au-dessous une phrase quelconque qu’il nous dictait ; ainsi il nous empêchait de lui donner des réponses préparées à l’avance notamment lorsque nous apprenions les théorèmes de géométrie. Mais ni la sévérité légendaire et très affirmée des Pères Blancs, ni les évènements auxquels nous étions confrontés n’entamaient en rien les sottises que nous faisions à l’école et c’était toujours à celui qui se singularisait le plus. Notre jeu favori, lors des cours, était le « lâcher de mouches ». Nous attrapions des mouches et leur mettions sur l’arrière un petit fil de couleur, puis nous les lâchions. La réussite consistait à mettre un bout de fil suffisamment long pour qu’il puisse se voir, mais pas trop pour qu’il n’entrave pas le vol des mouches. C’était alors le vol d’escadrilles de couleurs différentes qui provoquait le fou rire de toute la classe et le courroux de l’enseignant. Mais, il nous arrivait également de corser l’affaire ou tout au moins la rendre plus « marrante » - pour tant soit qu’elle puisse l’être, lorsque nous étions parvenus à nouer le bout de ficelle, nous le trempions dans de l’encre et lâchions immédiatement la mouche qui, dès son envol jetait des projectiles d’encre sur son passage souillant les cahiers, livres et têtes.

Un autre jeu dont j’ai été personnellement victime consistait à glisser un camembert « bien mur » et mieux encore l’étaler dans le pupitre d’un élève. Dès que l’élève soulevait son pupitre pour y prendre un cahier ou un crayon , il s’élevait dans la classe une odeur pestilentielle qui interrompait le professeur qui se tournait vers nous pour dire: « Il y a des toilettes dans la cour…. ». L’élève refermait aussitôt le pupitre et attendait patiemment l’heure de la récré pour nettoyer et surtout mener son enquête. Les combats au tire-boulettes étaient également quasi-quotidiens ; les stylos bic faisaient parfaitement l’affaire, les projectiles consistaient en petits bouts de papier que nous mâchonnions avant de les pétrir pour en faire une boulette qui lorsqu’elle était bien faite et atteignait sa cible, faisait toujours pousser un cri de douleur à celui qui la recevait. Le tableau noir était très fréquemment maculé par toutes ces petites boulettes de couleur différente. Les punitions, lorsque nous étions pris, étaient redoutables : coups de règle en bois sur nos doigts repliés et joints puis mise au coin de la classe pendant tout le cours, face au mur, les mains repliées sur la tête. Mais ce que nous redoutions le plus, c’était la visite chez le Père Le Lay, surnommé « fifine », car il avait constitué pour nous punir une espèce de ficelle à nœuds, qu’il se délectait à nous administrer. Pourtant autant nous craignions la fifine, autant nous appréciions le son du hautbois et de la clarinette qui étaient les deux instruments que le Père Lelay savait faire vibrer et, parfois lorsque nous étions en études, il venait nous jouer un petit concert. A ce moment-là nous aurions pu entendre une mouche voler tellement le silence régnait dans la grande salle. D’autres jeux tout aussi niais et peu avouables nous comblaient et nous valaient les colles à l’étude où, du reste, nous poursuivions allégrement nos farces ou autres concours tous aussi stupides les uns que les autres. En cour de récréation, le jeu le plus prisé était le concours de pipi : c’était à celui qui ferait pipi le plus longtemps, le plus loin et le plus haut. Un jour que nous avions décidé ce concours en quittant l’Institution, nous fûmes surpris par le Père Le Lay ; mal nous en prit car en plus d’une heure de colle le soir, nous eûmes droit à une raclée mémorable. Parfois nous nous réunissions derrière l’Institution, sous les eucalyptus et assis tels les Indiens nous fumions le calumet de la paix qui était en réalité des racines d’eucalyptus que nous coupions à la longueur d’une cigarette ; mais je dois bien avouer que quelquefois c’étaient des vrais « bastos » qui circulaient. Nous fûmes trahis plusieurs fois par les quintes de toux provoquées par la cigarette. Il n’empêche que nous gardons, tous, un excellent souvenir de cette époque au cours de laquelle, bien que nous passions une adolescence tourmentée, nous appréciions nos professeurs, les respections et assumions, sans rechigner, les tâches et devoirs que nous devions faire. Nos enseignants d’aujourd’hui ne pourraient-ils pas prendre exemple sur leurs anciens ? Comment feraient-ils si, aujourd’hui, ils avaient comme c’était le cas, par le passé, des classes de 40 à 45 élèves ? Mais ceci est un autre débat. Les attentats continuèrent à jalonner cette année de 1957 ; Alger fut à nouveau la cible du terrorisme, deux bombes posées à l’Otomatic et au Coq Hardi font 5 morts et 60 blessés parmi lesquels de nombreux étudiants. Le 9 juin, Alger connaît de nouveau l’horreur, une bombe explose au Casino de la Corniche faisant 10 morts et 84 blessés. Dans toute l’Algérie, tant dans les villes que dans le bled, les attentats individuels se multiplient et touchent, à présent, la population musulmane à qui rien n’est épargné. Les atrocités commises par le FLN sont indescriptibles tellement elles atteignent l’ignominie.

Les Djebels continuent d’être ratissés, les forces de l’ordre recherchent des filières, des points de regroupements. Des unités de la Légion sont détachées sur le terrain afin d’y trouver des traces de passage ; l’hélicoptère de transport n’est encore pas utilisé ce qui implique de longues marches forcées afin d’y scruter le sol. Le résultat est payant.

Au cours de l’année 1957, 486 rebelles sont tués, 480 armes individuelles et 3 armes collectives sont récupérées. Fin 1957, la bataille du rail qui a causé de très nombreuses victimes civiles, est définitivement gagnée, les katibas implantées sont détruites.

Cependant les rebelles, retranchés au Maroc, continuent de forcer les barrages provoquant la réaction immédiate des forces de l’ordre implantées tout au long de la frontière. Ils veulent à tout prix franchir la frontière pour épauler et renforcer les forces de l’intérieur.

En janvier 1958, les traces d’une bande évaluée à une centaine d’hommes sont découvertes par une C.P. du 2ème R.E.I. dans le Sud-Géryvillois. L’opération est déclenchée immédiatement et se poursuit sans interruption pendant 24 heures. 13 compagnies dont les 6 Compagnies Portées du 2ème R.E.I. pourchassent inlassablement la bande à travers les plaines, les hamadas du Sud et dans le Djebel où elle sera rattrapée.

Une cinquantaine de rebelles seront mis hors de combat et laissés sur le terrain. Les rebelles implantés sur le territoire marocain veulent à tout prix franchir la frontière pour épauler et renforcer les forces de l’intérieur.

Le 24 Janvier, le 1ER R.E.P.(Régiment Etranger de Parachutistes), avec le Colonel Jeanpierre, déclenche une opération à la frontière tunisienne. Après de violents combats les légionnaires mettent hors de combat 92 fellaghas et font 5 prisonniers ; de leur côté ils perdent 5 des leurs.

Le premier trimestre de cette année 1958 est bénéfique pour les forces de l’ordre qui enregistrent des résultats opérationnels exceptionnels - du 14 au 21 février le FLN qui tente de franchir le barrage algéro-tunisien perd 500 hommes qui sont tués lors du franchissement du barrage ; ils laissent sur le terrain 2 mortiers, 7 mitrailleuses, 5 F.M. et 100 fusils de guerre. - Le 26 février les katibas perdent 270 hommes et abandonnent 10 mitrailleuses, 6 fusils mitrailleurs, 55 pistolets mitrailleurs, 117 fusils de guerre et 1 lance roquettes. Malheureusement au cours de ses combats les troupes françaises perdent 30 des leurs, ont 60 blessés ; 10 soldats sont également disparus. - le 27 avril au Sud de Souk-Arras, un franchissement du barrage par un bataillon de l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale) fort d’un milliers d’hommes est pris en chasse par les 9ème, 14ème et 18ème R.C.P.(Régiment de Chasseurs Parachutistes), 1er R.E.P. (Régiment Etranger de Parachutistes), 3ème R.E.I.(Régiment Etranger d’Infanterie), 26ème, 60ème et 153ème R.I.(Régiment d’Infanterie), 3ème G.C.N.A., 31ème Dragons, 8ème R.P.C.(Régiment de Parachutistes Coloniaux) et des Unités de Secteur. les combats dureront jusqu'au 5 mai ; le bilan sera de 673 hors la loi tués 45 prisonniers. 200 réussiront à rompre l'encerclement et à fuir. Les troupes françaises auront perdu 87 tués dont un capitaine et 131 blessés. - « Kobus » le chef de la force « K » (un maquis musulman hostile au FLN armé par la France) est abattu le 28 avril par son adjoint Ismail Rachid Rabah qui rejoint le FLN avec la tête de Kobus et le gros du bataillon soit 500 hommes. En revanche une compagnie forte de 150 hommes rejoint, elle, l'armée française.

Au mois de mai 1958, le Général de Gaulle arriva au pouvoir ; la quasi-totalité de la population reprenait espoir. Papa, quant à lui, disait qu’il n’apporterait rien et que bien au contraire il nous trahirait ; le Sergent-chef Ponssoda semblait du même avis.

L’histoire ainsi que la tournure des évènements leur donnera raison.

Je passe cette année mon Brevet Sportif Scolaire, le 18 mars, puis c’est au tour de mon Certificat d’Etudes Primaires, le 29 mai. je réussis ces deux épreuves avec brio et je me souviens que pour le CEP on m’avait laissé le choix entre le chant et la poésie. J’avais opté pour le chant et cette merveilleuse chanson écrite par un Père Blanc : « O terre d’Algérie ». Les vacances arrivèrent très vite et c’est tout fier que j’annonçais à mes oncle et tante ma brillante réussite non seulement au Certificat d’Etudes Primaires mais également à la fin de cette année scolaire. J’avais obtenu, en effet, des prix en toutes matières et cette année-là j’avais réussi à « damer le pion » à Chami en étant premier en français ; même les mathématiques qui n’étaient pas du tout mon point fort me permirent l’octroi d’un prix : ce fut le merveilleux roman de Jack London « Croc-Blanc » ; grâce à tous ses prix je mettais constitué une belle bibliothèque dont la majeure partie des livres étaient des romans d’aventure. Mais, chaque année, c’est avec appréhension que j’attendais la remise des prix ; certes j’avais une petite idée de mes résultats et du classement mais cela se jouait très serré et quelquefois pour un demi point nous n’obtenions rien. Cette appréhension venait également du fait que la remise des prix était faite dans la salle de cinéma devant tous les parents dont certains venaient de très loin pour assister à cet évènement qui couronnait une année scolaire. Avant cette remise de prix nous organisions toujours des spectacles que nous avions préparé minutieusement tout au long du dernier trimestre. Ma dernière participation l’année suivante fut une présentation du Cid dans laquelle je jouais le rôle de Rodrigue. Toujours est-il que ces spectacles nous permettaient d’oublier quelque peu le verdict qui serait annoncé un moment plus tard et qui sanctionnerait notre année. Pour ma part je n’avais jamais trop de crainte de ne point avoir de prix car somme toute je travaillais bien et, hormis les maths pour lesquelles je pêchais un peu, j’étais bien au-dessus de la moyenne dans toutes les autres matières. J’étais cependant fébrile à l’écoute des résultats et, au fur et à mesure, que le Père Le Lay nommait les élèves , mon cœur battait plus fort car le dernier nommé était celui qui avait le prix d’excellence. Quelle joie d’entendre alors mon nom. J’allais alors recevoir le prix attribué sous les applaudissements de toute l’assistance. C’était fabuleux. J’étais réellement très fier, d’une part d’avoir décroché un prix car cela prouvait que mes résultats étaient particulièrement brillants, mais par le fait que je sentais maman heureuse ; je pense que c’était le plus beau cadeau que je pouvais lui faire.

Ainsi donc cette fin d’année 58 me vit plus heureux que d’habitude et j’allais prendre mes vacances le cœur léger et serein.

La seule ombre au tableau résidait dans la guerre qui se poursuivait. Avec l’arrivée du Général de Gaulle, le conflit devait normalement prendre fin très rapidement ; n’avait-il pas indiqué clairement, lors de son discours à Mostaganem, qu’il n’y avait que des Français à part entière de Dunkerque à Tamanrasset, n’avait-il pas annoncé les bras tendus au ciel : « Mostaganem merci, Vive l’Algérie Française, Vive Mostaganem ». Mostaganem, cette ville que nous allions habiter un an après. La guerre sans nom se poursuit inlassablement, tant sur le territoire algérien qu’en France et le 18 Septembre, des plongeurs du F.L.N., tentent de poser des charges explosives sur le Jean Bart en rade de Toulon ; malheureusement pour eux ils échouent lamentablement et on les retrouvera noyés dans le port. Le F.L.N. continue de frapper aveuglément ;la population musulmane en est la première victime car le F.L.N. tente à tout prix de la rallier à lui et, ce n’est que par l’horreur, les représailles qu’il peut parvenir à ses fins. Des dizaines de charnier sont découverts dont un de plus de 400 cadavres de rebelles assassinés sur l’ordre d’Amirouche. Si une frange importante de la population musulmane n’est pas acquise à la rébellion, en revanche, de nombreux « bons Français » la soutiennent : tant des intellectuels que des ecclésiastiques qui n’hésiteront pas à collecter, transporter des armes pour le compte du FLN. Le 19 octobre, à Lyon, 2 ecclésiastiques dont l’abbé Carteron alias « M.Albert » trésorier du FLN pour la région lyonnaise sont arrêtés. Le 23 octobre, le général de Gaulle propose la « Paix des braves » aux combattants du FLN. Lors d’une conférence de presse, de Gaulle confirmait une fois de plus le maintien de la présence française en Algérie et déclarait : « quelle hécatombe connaîtrait l’Algérie si nous étions assez stupides et assez lâches pour l’abandonner » ; il achevait sa conférence de presse en rendant un hommage à l’armée : «  elle a accompli ce que la France attend d’elle ». Mensonges, parjures. Dès 1959 il modifiera sa politique : tout d’abord en donnant un choix de 3 solutions (Sécession, Francisation, Association), puis en proclamant l’autodétermination. Cette controverse allait donner lieu à des protestations et à des manifestations qui conduiraient ultérieurement aux barricades de 1960 et aboutiraient au puch d’avril 1961.

Dès le début 1959, les rebelles retranchés sur le territoire marocain feront des tentatives de franchissement massif mais ils rencontrent, à chacun de leurs passages, les légionnaires qui n’ont plus une minute de répit. Nous en prenons conscience par les bruits de combats perpétuels et surtout le retour des blessés et des morts dans les 6x6. - Le 11 février 208 rebelles tentent de forcer le barrage électrifié dans la région de Morsott, c'est un échec qui se solde par 150 tués et 25 prisonniers, 33 ont préféré rebrousser chemin en Tunisie. - Le 27 Mars, une opération prés de Bidon V, à la frontière marocaine au sud de Colomb Bechar, se solde par la mort de 9 rebelles, parmi lesquels le colonel Lofti, chef de la wilaya 5, son adjoint le commandant Tahar et leurs gardes du corps, en plus du matériel et des documents saisis.

Face aux coups de boutoir de l’armée Française, de nombreux rebelles quittent le maquis pour se rallier à la France ; entre le 13 et le 20 avril, 123 rebelles rejoignent les forces Françaises. Mais les assassinats et les massacres continuent à frapper des innocents. Le 21 avril, près de Thiersville, lors de l’attaque d’une ferme les « bouchers » enlèvent la grand-mère, la mère et la petite fille qui sont retrouvées 3 jours plus tard dans une meule de paille, mortes et horriblement mutilées. Les deux femmes avaient été violées, le crâne de la fillette était fracassé. Et, entre temps le général de Gaulle gracie une trentaine de fellaghas qui avaient été condamnés à mort. Les opérations se poursuivent et obtiennent des résultats très encourageants : - le 25 avril, dans le djebel Zerzour dans l'Ouarsenis, une bande rebelle est anéantie prés de Molière, bilan 92 tués et 27 prisonniers. - Le 29 avril, dans le sud-algérois près de Champlain 98 rebelles sont abattus et 31 faits prisonniers. - Entre le 17 et 30 avril 1959 (fête de Camerone) trois katibas franchiront la frontière ; elles sont accrochées à hauteur de Djenien-bou-Rezg par les Compagnies Portées qui n’ont plus connu de repos, mais les résultats sont payants car les rebelles laissent sur le terrain 64 tués, 77 prisonniers, 90 armes dont 1 mortier de 81, 2 mitrailleuses M.G. et 1 F.M. Malheureusement le capitaine Allombert-Maréchal qui donne l’assaut final tombe mortellement blessé. Dans le Géryvillois, les Compagnies Portées stationnées aux Arbaouats, Géryville et Bou-Alam, continuent à escadronner les pistes et à escalader les djebels. Au cours de ces opérations les légionnaires subiront de lourdes pertes : 30 officiers, sous-officiers et légionnaires sont tués ou gravement blessés au cours d’une opération le 23 novembre. Je prenais de plus en plus conscience de la guerre à laquelle nous étions confrontée, de la cruauté, de la barbarie, de la lâcheté des assassins dont la force reposait dans la pose de bombes, le jet de grenades ; ces terroristes n’avaient de courage que leur lâcheté à s’attaquer à des femmes, des enfants, des civils non armés. Les journaux évoquaient quotidiennement les méfaits de ces pseudo combattants de la liberté.

Seuls, les combattants du Djebel, lorsqu’ils ne commettaient les pires atrocités y compris contre leurs propres congénères, méritaient le respect. Ceux-là mêmes, après l’indépendance, seront largement écartés au profit de ceux que l’on surnommera les « Martiens » ; ces fameux combattants de la dernière heure qui adhérèrent au FLN au mois de Mars 1962, après que la France et le GPRA aient signé le cessez-le-feu. ils furent, pour la plupart, à l’origine des terribles massacres et exactions commis dans toute l’Algérie après le cessez-le-feu, en particulier le massacre de juillet à Oran au cours duquel des milliers d’Européens furent enlevés, assassinés dans des conditions indescriptibles.

La fin de l’année scolaire 1959 marqua notre départ d’Aïn-Séfra. Papa devait rejoindre son nouveau poste à Mostaganem pour septembre 1959. Pour moi, ce fut un choc car j’aimais ce village, j’admirais son environnement, j’étais entouré de nombreux camarades. Tout me réussissait y compris études que j’affectionnais et pour lesquelles, humblement dit, j’étais assez brillant ; j’avais passé mon CEP (Certificat d’Etudes Primaires) avec d’excellentes notes et achevais ma 5ème avec de très bons résultats. Chaque année, j’attendais avec fébrilité et angoisse la fin des cours et la remise des prix. Cette remise de prix avait souvent lieu après des représentations que nous donnions devant tous les parents d’élèves. Pour la circonstance, même les parents qui habitaient dans les villages les plus reculés, étaient présents. Ainsi, chaque année je revenais à la maison avec 4 ou 5 récompenses qui étaient les lots de mon travail et, je dois bien avouer que je n’étais pas peu fier lorsque j’étais appelé pour aller recevoir mon prix, surtout lorsque celui-ci était d’excellence et cela arrivait. Les mathématiques seront les matières qui ne me réussiront jamais, mais j’obtenais toujours des notes au dessus de la moyenne ce qui somme toute n’était pas si mal. Lors de ces remises de prix au cours desquelles nous faisions divers spectacles l’assistance était très nombreuse : parents, enseignants, amis étaient tous là pour nous encourager. Mon dernier spectacle fut une scène de théâtre « Le Cid » dans laquelle j’ exerçais le rôle de Rodrigue. Nous étions tous heureux de ce jour là mais appréhendions cependant le verdict ; et, nous étions tous impatients de savoir le prix que l’on nous attribuerait.

Mais lors de ces remises de prix, ma fierté était surtout de voir le visage resplendissant de maman qui avait du mal à masquer son émotion.

La seule ombre au tableau résidait dans la guerre qui se poursuivait. Mais, avec l’arrivée du Général de Gaulle, le conflit devait normalement prendre fin très rapidement puisqu’il nous avait clairement annoncé qu’il n’y avait que des Français de Dunkerque à Tamanrasset et que, de plus, il nous avait compris. Et, effectivement le conflit devait cesser 4 années plus tard, mais pas de la façon dont la population Européenne et une large majorité de la population Musulmane avaient espéré. Je quittais Aïn-Séfra, la mort dans l’âme, lors des vacances scolaires en juin 1959. Je savais que je partais définitivement et j’essayais d’envisager l’avenir. J’allais avoir 3 mois de répit avant de recommencer une nouvelle étape. Pendant ces trois mois de vacances passées à la ferme, chez mon oncle, à Assi-bou-Nif où j’avais créé un tissu de relations tant masculines que féminines, je pourrai me ressourcer et peut-être oublier.