« ALGERIE DOCUMENTATION LIEUX STORA » : différence entre les versions
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'''Texte d'Emile Ledermann (janv1935) paru sur le site de Marcel-Paul Duclos''' | '''Texte d'Emile Ledermann (janv1935) paru sur le site de Marcel-Paul Duclos''' | ||
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Version du 25 janvier 2006 à 22:01
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STORA
Cette ravissante baie dont le grand axe est long de 4 kilomètres et le petit de 2, est une de celles qui furent certainement des plus fréquentées de l'Afrique du Nord romaine. Les Phéniciens qui, les premiers se réfugièrent dans ses eaux si calmes, la dédièrent à Vénus : ASTARTE, ASTOREH ou ASTORA, peut-être aussi parce que les navigateurs venaient également d'un port portant le même nom, assez répandu à cette époque. La Bible mentionne, en effet, quelques ports identiques créés par les Phéniciens. ASTORA, servit de base au trafic avec l'interland et c'est ce qui explique pourquoi les Romains consacrèrent également RUSICADE à Vénus, d'autant plus, que cette déesse était considérée comme la protectrice de la famille impériale régnante. Stora devint un faubourg de la ville neuve dont les historiens parlent exclusivement par la suite; Plus tard lorsque Rusicade disparaît le nom de Stora revient alors dans les récits des voyageurs et des historiens. Le géographe arabe Edrissi signale MERS ESTORA comme port sur la côte de Numidie. Au XVIe siècle l'Espagnol Marmol écrit qu'ESTORE est une ancienne ville à quatorze lieues de COL (Collo) du côté du Levant dans le golfe d'Estore et de Numidie, ajoutant que Ptolémée donne à ce port le nom de RUSICADE. Léon l'Africain, un Maure de Grenade, l'appelle SUCAYDA. Au XVIIe siècle Gramaye, explorateur, le médecin hollandais Olivier Dapper citent SUCAYDA, tandis que Peysonnel parle de STORAS ancienne Rusicade et le Dr Shaw, anglais, écrit STORA-SGIGATA. La petite cité dont la population vit presque entièrement de la pèche et des industries s'y rattachant, s'étale au flanc de la montagne qui l'encercle entièrement. Son port qui connut autrefois la foule des navires venant chercher les produits de l'Annone prélevé sur les provinces de l'intérieur, pour les transporter à Ostie, abrite aujourd'hui les barques, les balancelles et les chalutiers les plus modernes. Les Romains ont laissé des traces profondes de leur passage et de leur occupation. A 116 mètres au-dessus de la mer, sur la route de Stora à Collo, au ruisseau de la Fontaine ferrugineuse, autrefois l'Oued Chadi (rivière des singes) ils avaient capté les eaux et construit une piscine de décantation (piscina Limaria). Deux bassins en contrebas, avec vannes de dégorgement existent encore. La conduite descend pendant 45 mètres et déverse son contenu dans un autre bassin qui reçoit une autre source, puis continu en pente rapide pendant 135 mètres, traverse un tumulus dans un tunnel de 50 mètres qui fut restauré par le génie militaire en 1842 et fonctionne encore. A la sortie du tunnel, la canalisation se dirige vers les citernes toujours en service. Ces citernes sont des types admirables de la conception romaine en hydraulique. Elles ont 25 mètres de long, 29 de large et 14m50 de profondeur. L'intérieur est divisé en 6 compartiments communiquant entre eux, et peuvent contenir 3 750m3 d'eau. L'extérieur restauré, sans aucun goût, par des maçons modernes, ne donne pas l'impression de la beauté intérieure du travail romain. A 160 mètres de cette grande citerne, à 42 mètres d'altitude, s'en trouve également une autre au milieu du village. Elle mesure 9m15 de long sur 4m60 de large et 9 de haut. La grande citerne devait être en communication avec cette citerne secondaire, mais la canalisation n'en a jamais été retrouvée. Par contre, une canalisation partant de la citerne actuelle, aboutissait à un autre bassin de décantation qui se déversait directement dans une fontaine monumentale dont on remarquera la voûte (8m de large et 9m de haut) où les ménagères viennent faire leur provision d'eau. Jusqu'en 1840, d'autres citernes étaient également visibles mais servirent d'assises aux habitations actuelles. Stora est donc alimentée en eau potable de la même façon et par les mêmes moyens à peine restaurés que l'antique cité romaine. C'est la seule ville de l'Afrique du Nord qui utilise encore le travail des Romains. En 1840 existaient les magasins généraux de l'administration de l'Annone. Ils mesuraient 75 mètres de façade sur la mer et avaient une profondeur allant de 4 à 15 mètres. Ils consistaient en de nombreuses voûtes très élevées. Une inscription emportée par un Officier et retrouvée au Musée de Toulouse en 1881, rapprochée d'un fragment de pierre du Musée de Philippeville, a permis de déterminer que ces magasins ont été construits sous Vanetinien et Valens par "PUBLIUS CACIONNUS CAECINA ALBINUS, clarissime consulaire à six faisceaux, de la province de la Numidie Constantinienne, pour la sécurité du peuple romain et des provinciaux". L'Annone était la redevance en nature, l'impôt agricole payé par les provinces de l'Afrique Proconsulaire, et consistait en céréales, huiles, vins, vinaigre etc… Rendu à Rome, l'Annone était distribué gratuitement aux citoyens indigents de la Capitale inscrits sur des tables de bronze, et porteurs d'un ticket : le TESSERE FRUMENTAIRE. La distribution s'en faisait au portique de Minucius qui avait 45 portes correspondantes aux 45 quartiers de Rome. L'Annone entretenait un nombreux personnel, depuis le Préfet commandant en chef de cette armée dans l'Empire, jusqu'aux commis, surveillants de greniers, mesureurs et portefaix, hommes libres ou esclaves. Stora était un dépôt centralisateur et devait avoir un nombre respectable d'employés et d'esclaves. Les bateaux chargés du transport des denrées de l'Annone étaient parmi les plus imposants de la flotte commerciale. L'écrivain Lucien décrit l'un d'entre eux, l'Isis, trois mâts de 58 mètres de long, 14 de large et jaugeant 1 375 tonneaux. Stora envoyait les navires à Ostie et les plus gros à Pouzzoles, ainsi que le relate une inscription transportée au Musée du Louvre. L'Annone était considérée, par le peuple, comme une véritable divinité. Une inscription retrouvée à Rusicade fait connaître que le citoyen M. AEMILIUS BALLATOR, bienfaiteur de la cité a fait ériger une statue à l'Annone sacrée. Stora fut donc sous la domination romaine un port débordant de vie et de mouvement. Sur les ruines des magasins sont actuellement construits les bâtiments de la Douane. Certains immeubles comme celui de M. le Commandant Guillou possèdent encore des caves aux murs d'une épaisseur formidable, et qui constituaient une partie des magasins de l'Annone. Sur le côté gauche de la grande citerne existait un grand cimetière phénicien. Plus à l'Est se trouvait la nécropole romaine. Les maisons actuelles sont bâties sur ces nécropoles qui n'ont pas été sérieusement fouillées. Pendant la période de la domination turque, les tribus des montagnes de Stora, étaient réputées pour leur sauvagerie. Quatre caïds exploitaient, en particulier, les marchands européens. M. Elie de la Primaudaie prétend que les capitaines de navires qui allaient à Stora avaient ordre d'y séjourner le moins longtemps possible et d'exercer la plus grande surveillance. Ils devaient établir une forte garde sur un des rochers de la baie connu des marchands européens sous le nom de presqu'île de Bramepau. Il leur était aussi défendu de s'arrêter à Skikda (Philippeville) et d'y faire leurs chargements. Ils ne pouvaient stationner que dans le port de Stora. Les barques du navire et quelques bateaux du pays, loués à cet effet, allaient chercher sur la plage de Skikda les grains achetés. Stora n'a jamais eu de comptoir français. Par contre les Anglais venaient y commercer et étaient bien accueillis. Les marchands Génois y arrivaient même si nombreux qu'ils appelaient Stora le port Génois. Le Bey de Constantine les protégeait, et avait installé des constructions pour les recevoir au sommet de la montagne, face à l'îlot des singes. La compagnie anglaise connue sous le nom de Compagnie des 20 vaisseaux, la TURKEY COMPAGNY avait obtenu en 1607 grâce à son agent résident à Alger, l'autorisation d'établir des comptoirs à Stora et à Collo, en concurrence avec les Provençaux qui avaient ce privilège. Il en résulta de nouvelles réclamations du Consul de France qui n'eurent pas plus de résultat que les précédentes. Le succès des Anglais était dû à ce qu'ils fournissaient d'armes et de poudre le Dey d'Alger. Un capitaine Français Louis Pascal, a raconté dans une lettre datée de Marseille du 23 novembre 1613, la lutte entre Anglais et Français, à laquelle il avait été mêlé, pour s'assurer le monopole du commerce sur la côte barbaresque, il écrivait : "Il y a 6 ans environ, l'ambassadeur d'Angleterre résidant à cette époque à Constantinople, était désireux de trouver, dans la mer Méditerranée, un bon port pour servir de relâche aux bâtiments de sa nation. Il signale à son roi un lieu situé sur la côte de Barbarie, du nom de ESTORA, qui est désert et inhabité, et que, sous prétexte d'y établir des pêcheries de corail, on occuperait de manière à empêcher désormais tout corsaire chrétien d'y aborder. Le dit ambassadeur avait remis de grandissimes présents à Sinan, pacha de la mer, pour être offerts au Grand Turc, afin d'obtenir de lui des lettres patentes autorisant la création de ces prétendues pêcheries, avec magasins. Sur ces entrefaites, arrive la note du Seigneur de Brèves, ambassadeur du roi de France à Constantinople, lequel avait découvert la malice des Anglais qui dissimulaient leurs projets afin de prendre possession d'un bon port de refuge sur la côte barbaresque. Il agit de telle façon, que les diplômes délivrés aux Anglais furent révoqués et qu'il obtint la même concession pour le compte de la nation française. A cette époque, étant capitaine de navire, j'allais à Constantinople. Le dit sieur de Brèves me communiqua cette négociation, me chargeant, à mon retour à Marseille, d'en faire part aux personnes qui me paraîtraient capables d'entreprendre les pèches, la construction des magasins et le commerce, au dit port de Stora en leur promettant de leur délivrer les patentes nécessaires pour cela. Aussitôt un bâtiment de Marseille armé et muni de tout le nécessaire alla à Alger communiquer les ordres de Constantinople. Tout le divan et la milice se mirent en révolte, ne voulant entendre parler d'aucune manière de ce projet sur ESTORA. Ces chiens, disaient-ils, en s'établissant sur ce point pour y faire le commerce, causeraient la ruine d'Alger et de la Barbarie tout entière. Ils ajoutaient : "Les chrétiens seraient capables de faire à Estora, un fort comme celui qu'ils ont édifié à Tabarka." En résumé les Français ne purent pas mettre leur projet à exécution. J'accomplis au mois de mars un second voyage moins pour faire du commerce que pour bien voir le pays et constater l'importance de ce point qui est le meilleur de la Barbarie. ESTORA peut recevoir un grand nombre de galères et de galions, et on peut s'y fortifier pour l'utilité et le bien de la Chrétienté. Dans cette contrée sont de hautes montagnes sur lesquelles on pourrait hisser des canons pour attaquer ceux qui s'y seraient fortifiés. Les Maures qui habitent n'ont pas peur des Turcs et ne leur paient aucun impôt. Les Chekles de ces Maures m'ont proposé de me donner une carta, m'autorisant d'y construire une forteresse, ne me demandant pour cela que 300 pièces de ochoréal (pièce de 8) un quintal de poudre et un quintal de plomb par an. Je leur ai promis tout cela." La mémoire du capitaine Louis Pascal est de 1613, les Marseillais pendant un siècle ont lutté pour conserver leurs droits de pèche. Les archives de la Compagnie Royale marseillaise dévoilent que la création d'un comptoir à Stora avait été envisagée pour combattre la concurrence des Anglais. En 1774 la Compagnie chargea le sieur Raynaud qui avait résidé 9 ans à Collo comme agent, de procéder à une enquête sur place. A son retour il engagea vivement les Directeurs de donner suite à leur projet. Voici un extrait de son rapport : "Le pays était plus fertile que les environs de La Calle et sur une plus grande étendue, le blé qu'on y trouvait était le plus beau de la côte, il rapportait là 15 à 25 pour un, tandis qu'à La Calle, dans les plus belles récoltes, il ne donnait que de 15 à 20, la Compagnie pourrait en tirer des quantités considérables, 15 à 20 000 charges. Le port était bon, du moins dans la belle saison, meilleur même que celui de Bône, il pouvait contenir 12 bâtiments à la fois sans danger. On pourrait construire la maison du comptoir et des magasins tout près de la mer et sans trop de dépenses, car il y avait là les ruines d'une ville considérable dont on pourrait utiliser les matériaux et même les murailles. Le seul obstacle à redouter est la turbulence des habitants : il y avait, à Stora même, quatre cheiks rivaux et, dans le voisinage, cinq nations sans cesse en guerre et qui n'obéissaient guère au Bey de Constantine. Mais avec l'aide de celui-ci qui y était intéressé, on pourrait faire reconnaître un cheick unique à Stora et s'entendre avec la nation la plus puissante. Pour la sûreté du commerce, il fallait qu'outre la maison, on y forma un fort avec quelques pièces de canon et 40 ou 50 Turcs… qui seraient sous les ordres d'un Agha et que ce fort, maison et magasin fussent entourés d'une bonne et solide muraille…" Deux autres mémoires furent encore adressés par M. Raynaud le 20 avril 1775 et le 18 janvier 1777, mais sans résultat. Aucun comptoir ne fut créé à Stora. Le 8 décembre 1741, un navigateur de la même compagnie avait écrit sur Stora : "Les bâtiments peuvent y mouiller depuis 20 brasses jusqu'à 5, et c'est toujours au pied des hautes montagnes de la nation des Bénimenès, avec laquelle il n'y a aucune sûreté de traiter… Cette nation est toujours divisée et en guerre avec celle des Oledmessaoud et les autres voisines avec qui l'on traite pour l'achat de la denrée qui se mesure ordinairement sur leur plage, éloignée du mouillage d'une lieue… Le concours des Anglais qui y abordent en foule lors de la traite, la rend fastidieuse et vous met dans le cas de subir la dureté des lois que l'insatiable avidité dicte aux chefs du pays. On la donnerait au contraire, si la Compagnie obtenait du Bey le commerce exclusif. Le Caffi de ce pays pèse 11 quintaux, poids de Marseille et revient à 12 piastres dont trois servent à payer les droits du Bey et des chefs des Oled Messaoud, Oled Jurma, Oled Dissa, Oled beni Mabuac. Il se recueille aux environs de Stora, une quantité considérable de cire que les Mahonnais enlèvent en contrebande." On reconnaît malgré l'orthographe phonétique employée par ce brave marin, les tribus des Ouled Messaoud, des Ouled Beni-MeleK, etc, dont les descendants moins turbulents peuplent encore les hauteurs de Stora. Ils ont appris à connaître depuis un siècle la civilisation française et s'en trouvent très bien. Le Moniteur Algérien parle de Stora bien avant la conquête de la région. Il informe ses lecteurs que : "le brick le Cygne stationnaire et le Mussoly, embarcation pontée, viennent de capturer deux chebecks tunisiens qui, contrairement à l'arrêté du 27 novembre 1834, échangeaient au mouillage de Stora, contre des blés, leur chargement de sel et probablement aussi de poudre, car tous les bâtiments qui font le commerce avec les Arabes en sont pourvus. Au moment de cette prise, plusieurs autres chebecks étaient en vue, ce qui porterait à croire que la contrebande se fait en cet endroit sur une plus grande échelle qu'on ne l'avait pensé jusqu'à présent." Le village de Stora est peuplé de familles de pécheurs répartis dans les équipages d'un certain nombre de balancelles, ils passent leur vie en mer et font très souvent des pèches abondantes. C'est du reste le poisson qui alimente la principale, sinon la seule, industrie de Stora. Cette partie de la côte algérienne, riche en éponges et en coraux, est fréquentée par d'immenses bancs de sardines et parfois de thons, qui constituent la richesse de la population du village. Les barques entrent au port surchargées de poissons qu'elles déversent ensuite dans les usines de Stora et de Philippeville ; mais la spécialité des usines de Stora est la salaison. Plusieurs maisons grecques ont des comptoirs au Portugal, à Stora et à Collo. D'immenses quantités de poissons sont ainsi salées, soigneusement alignées dans des barils spéciaux en bois et attendent dans les magasins, l'arrivée de grands cargos qui les transportent en Grèce où elles sont très appréciées de la population hellénique. A Philippeville, l'industrie est différente et consiste exclusivement dans la préparation des sardines à l'huile, qui sont ensuite expédiées en boîtes fermées en France et en Angleterre. Les sardines préparées aux tomates, spécialités du pays sont justement renommées et rivalisent avec les meilleures marques de conserves européennes. Les Directeurs des grandes usines Philippevilloises et de Stora se feront un plaisir de faire visiter en détail leurs ateliers, aux touristes qui le désireront. Cette fabrication toute spéciale est très sérieuse à étudier. Elle mérite d'être vue. C'est dans la rade de Stora que débarquèrent les troupes venant renforcer les armées en campagne et les ravitailler en vivres et en munitions. La baie, qui n'avait alors que l'abri naturel des montagnes environnantes connut, à cette époque, le même mouvement qu'au temps des Romains. Malheureusement, quelques naufrages vinrent attrister le corps d'occupation. Le plus émouvant est celui de la Corvette de charge LA MARNE, survenu le 25 janvier 1841, par une violente tempête. Le vaisseau ayant chassé sur ses ancres fut poussé à la côte et talonna des roches sous-marines. Cette catastrophe maritime fut particulièrement meurtrière : 43 cadavres de matelots furent retrouvés sur la plage de Stora quelques jours après, et chose curieuse parmi eux se trouvait le corps du boulanger du bord AHMED BEN SAAD, Biskri. Ce qui démontre, que, dès les premiers jours de la conquête, l'exode des indigènes du Sud, avides d'aventures et curieux de voyages, avait commencé et se continue encore, puisqu'une grande partie des travailleurs des quais est toujours fournie par des Biskris. "Le 4 janvier 1841, 31 navires de commerce, nous dit un spectateur de ce désastre, étaient mouillés à Stora. LA MARNE, corvette de charge et l'ARRACH, balancelle stationnaire. La tempête éclate. Le brick français l'ACCELERE est jeté à la côte, mais son équipage est sauf, de même que l'ADOLPHE qui se perdit à 1 heure du matin. La tempête continua le 22 et le 23. Tout Stora et Philippeville regardait LA MARNE lutter contre la tempête. Vers midi, après de nombreux essais pour lancer des amarres, et après deux heures d'efforts, un câble fut arrimé à bord et retenu à terre par 500 hommes qui se relayaient. La plupart des marins qui avaient emprunté le câble pour gagner la plage, furent arrachés par la mer et se noyèrent. Plusieurs sauveteurs furent également emportés. 100 hommes restaient sur le pont, puis la mer brisa le navire en trois. Le commandant GATHIER et un matelot purent atteindre le rivage et furent sauvés. Un trois mâts russe de 266 tonneaux fut jeté sur les maisons de Stora et s'enlisa dans le sable de la plage. Des 31 navires mouillés dans la rade de Stora, 28 dont 10 Français et 4 francisés avaient péris, 5 bateaux allèges furent brisés. 53 hommes périrent sur les 150 hommes de l'équipage de LA MARNE. L'Etat major fut réduit au Commandant et à un Enseigne de vaisseau. On ne sut jamais le nombre d'hommes noyés…" Les registres des décès de Philippeville portent à la date du 5 mars 1841 que les cadavres relevés sur la plage, provenant du naufrage de LA MARNE sont ceux de : OLIVIER, matelot, LEGOLF matelot, MASSE maître d'hôtel des officiers, ARENE quartier maître canonnier, COUDRAY matelot, VIAL maître canonnier, et M. PONIER médecin, GOHIN boulanger de la corvette, AHMED BEN SAAD BISKRI aide boulanger, deux autres n'ont pu être identifiés. Le 1er février on avait trouvé et identifié : CARRIERE JEAN matelot, DUCHENNE matelot de cuisine, COUDROYER matelot, LAPORTE mousse, SERRE capitaine d'armes, ROUERE mousse, SERRE MICHEL mousse, CORDIER mousse, RENOUX deuxième chef de timonerie, BUTEAU matelot gabier, LANUSSE matelot : 10 autres sont restés inconnus. Au début de janvier 1843, une nouvelle tempête brisait le brick goélette LA SAINTE CATHERINE et le trois mâts LES 3 FRERES sur les rochers de la plage du Beni Melek. Tous les hommes furent noyés, sauf le capitaine en second du trois mâts. Le 8, on trouvait sur la plage, trois naufragés dont les cadavres ont été reconnus : BERNEAUD GUILLAUME, 42 ans, capitaine commandant le navire marchand LES 3 FRERES, GIRAUD LOUIS, 25 ans, et ALBIN LOUIS, 27 ans, matelots. Non loin de l'établissement de bains et de l'Hôtel Miramar au ravin du lion, se trouvait jadis un lazaret pour les navires en provenance suspecte. Au sommet de la colline, à côté du sentier qui descend sur la plage, existait un petit cimetière de pestiférés, dont on n'a pu sauver qu'une tombe de la destruction des bergers indigènes. Une plaque de grès à fleur de terre, envahie par les touffes de lentisque et de disse sauvage, indique que 3 matelots reposent à cet endroit. Le passant indifférent ne s'aperçoit même pas de cette sépulture qui remonte à trois quarts de siècle. Quelques objets provenant du naufrage de LA MARNE, et en particulier un petit canon, sont conservés au Musée de Philippeville. Par temps clair et mer calme, on aperçoit encore dans le bas-fond de la rade de Stora, ce qui reste du beau bateau de guerre. Les destinées de Stora sont restées modestes. La construction du port de Philippeville a arrêté le trafic nautique et a vidé la rade de tous les bâtiments qui sont maintenant par tous les temps en parfaite sécurité. Stora est devenue un faubourg de Philippeville. Abritées au creux de la montagne, les maisons des pécheurs surplombent la mer. Les vieux réparent leurs filets, les plongent dans d'immenses chaudières où une forte décoction de tannin imprègne les mailles et les rend imputrescibles. Les femmes sur le seuil des portes vaquent à leurs occupations ou disent du bien des absents ; les enfants courent dans les rues, pieds nus, les culottes fendues et déchirées. C'est un coin pittoresque de Naples transporté sous le soleil algérien. Les hommes, qui jadis, prenaient les rames pour se rendre sur les lieus de pèche et trimaient par tous les temps comme des galériens, naviguent maintenant sur des balancelles à moteur. La fatigue est en partie supprimée par ce progrès mécanique, mais elle n'en reste pas moins très grande, car la mer est souvent dure au large et la pèche se fait au feu pendant la nuit, ou avec de grands filets au lever du jour. Les marins ne sont pas payés comme les ouvriers ordinaires. Ils sont embarqués à la part. L'armateur prélève d'abord deux ou trois parts, plus une part pour le moteur, l'essence et le filet, le capitaine en conserve une également, et le restant est partagé par l'équipage. Lorsque la pèche est bonne, le matelot gagne largement sa vie. Lorsque la pèche est maigre, la part ne lui permet même pas de payer les avances faites par l'armateur ou le patron de la balancelle, et la femme est obligée de s'employer dans les usines de salaisons pour assurer le pain des enfants. Aussi pendant l'hiver où les sorties sont difficiles et rares, beaucoup de pécheurs de Stora viennent travailler comme dockers sur les quais de Philippeville. Quelques-uns s'embarquent même sur les chalutiers de pèche, pouvant quitter le port par tous les temps et sont appointés par mois et non à la part. Le nombre des barques de pèches diminue ainsi chaque année et le petit port de Stora n'abrite plus à l'heure actuelle que le quart de barques qui l'animaient de leurs couleurs vives, il y a dix ans. Mais dès le mois de juin, la cité s'anime. Les estiveurs affluent sur les plages réputées, aux eaux toujours calmes et tièdes, fréquentées par les enfants qui peuvent se baigner sans danger, à l'abri des grands vents. Durant tout l'été, Stora devient une cité animée, pleine de rires et de cris joyeux. Des services d'autobus et de voitures permettent le transport rapide de tous les baigneurs, et le nombre des véhicules est si grand qu'à certaines heures il est même difficile de circuler le long de la Corniche. Une belle promenade consiste à monter jusqu'au col d'où l'on embrasse le panorama de la baie et du port de Philippeville. Dans la direction de Philippeville, en suivant l'ancienne voie romaine, au creux du vallon qui constitue le ravin des Corsaires ; (car la légende prétend que dans cette crique les anciens corsaires barbaresques s'y réfugiaient), on passe l'oued sur un pont (le pont noir) dont l'arche unique est de construction romaine. Le parapet seul a été reconstruit. Parmi les pierres détachées fut trouvée l'inscription suivante : "SOUS L'EMPEREUR CESAR TRAJAN ADRIEN AUGUSTE, LA REPUBLIQUE DES CIRTEENS A FAIT CONSTRUIRE A SES FRAIS LES PONTS DE LA VOIE NOUVELLE DE CIRTA A RUSICADEM. SEXTIUS JULIUS MAJOR ETANT LEGAT D'AUGUSTE, PROTECTEUR DE LA IIIe LEGION AUGUSTA." La République des Cirtéens dont parle l'inscription comprenait quatre villes libres ou colonies : CIRTA (Constantine), RUSICADE (Philippeville), CHULLU (Collo) et MILEY (Mila) indépendantes des gouverneurs qui furent presque toujours les légats de la IIIe Légion Augusta, dont le camp de Lambèse près de Batna raconte l'histoire glorieuse. En comparant les dates du règne de ces légats, le Pont Noir dit également Pont romain, aurait été construit par les légionnaires en l'an 130. La route que l'on suit jusqu'à Philippeville, est donc la "VIA NOVA CIRTA A RUSICADEM" la voie romaine de Cirta à Rusicade qui fut construite et terminée sous Hadrien vers 133. D'après les inscriptions retrouvées sur différents points de son parcours, elle fut réparée sous Septime Sevère, sous Caracalla, sous Gordien, sous Philippe l'Arabe, sous Dèce, sous Treboinen Galle, sous Aurélien, sous Carin, sous Constance Chlore, sous Constantin et sous les Empereurs Byzantins. Pavée de grandes dalles, cette route était encore en exploitation sous les conquérants arabes, et au VIe siècle, l'écrivain Léon l'Africain écrit que depuis Stora jusqu'à Constantine se voit un chemin pavé de pierres noires comme on en voit aucun en Italie, qui sont appelés chemins des Romains. La colonne du Maréchal Valée, descendant de Cirta vers le golfe de Stora, put emprunter la voie romaine qui était intacte sur sa grande partie. A l'heure actuelle, encore, aux environs d'El Arrouch, on trouve dans les terres labourées, les vestiges de cette route. Depuis Stora jusqu'à Philippeville les riches citoyens avaient construit de belles et somptueuses villas, et des tombeaux magnifiques. La plupart des villas modernes ont repris l'emplacement cher aux Romains, tout le long de la côte. Quelques-unes possèdent des vestiges de l'antiquité et en passant le long de la route de la Corniche, on peut en voir dans la propriété Blanchet. Lorsque les Français arrivèrent à Stora, un officier d'artillerie M. Dellamare put prendre quelques croquis de ruines romaines importantes. Depuis tout a disparu. Il suffirait cependant de creuser le sol pour en retrouver les traces. Une promenade captivante qu'on ne peut malheureusement parcourir qu'à pieds, est celle qui part du sommet de Stora par le chemin des Crêtes et de la Redoute des singes, non loin de la Fontaine ferrugineuse, emprunte un chemin forestier et rejoint la route d'Aïn Zouit, et Philippeville. Le parcours est de 12 kilomètres environ, mais la splendeur du paysage, la beauté sauvage des sites visités, récompensent largement le touriste de sa fatigue bienfaisante. Toujours en partant du haut de Stora, on emprunte la route de la Grande plage, particulièrement pittoresque, mais très dangereuse pour les automobilistes inexpérimentés, par ses tournants, ses pentes rapides, et les précipices qu'elle longe pendant son parcours. Le spectacle de l'arrivée à la grande plage, la richesse du décor de verdure qui surgit brusquement après dix kilomètres de brousse est saisissant. Les touristes recevront le meilleur accueil à la ferme de MM. Jules Grosso et Ramonatxo, et pourront se rendre compte en la visitant de l'effort de nos colons algériens. Une cantine-restaurant peut servir des repas aux touristes qui voudraient se reposer avant de reprendre la voie du retour. Texte d'Emile Ledermann (janv1935) paru sur le site de Marcel-Paul Duclos |