Etat AVANT Kairouan - Ville

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962

Kairouan

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TUNISIE

Kairouan
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Kaïrouan, la cité sainte, la capitale religieuse de la Tunisie, apparaît au milieu de steppes arides et désolés. On dirait que le fanatisme musulman a voulu l'isoler en mettant entre elle et le reste du monde l'immensité et la solitude du désert. En approchant, elle prend un aspect des plus pittoresques avec sa forêt de minarets, ses coupoles arrondies et la ligne dentelée de ses remparts. Nous traversons enfin le lit, sablonneux et à sec de l'Oued-Zeroud, et nous entrons dans la ville.

Kairouan a une forme très irrégulière et s'étend du nord-ouest au sud-est. Un mur d'enceinte de 10 mètres de hauteur, dont le sommet est formé de crénelures arrondies, et flanqué de grosses tours et de bastions, l'entoure sur environ 3.000 mètres. Ce mur est en briques et parfaitement intact.

Tout autour et à l'extérieur de cette muraille, dans un rayon de 500 à 1.000 mètres, sont des monticules irréguliers recouverts de pierres plates éparses et disséminées sans ordre au milieu de quelques cactus épineux. Ce sont des tombes. Les vrais croyants viennent, en effet, d'Algérie et de Tripolitaine dormir leur dernier sommeil à l'ombre des murs de la ville sainte, dont les environs sont ainsi transformés en une vaste nécropole.

On pénètre dans la ville par cinq portes, dont la plus remarquable est celle de Tunis (Bab-el-Tunis). Elle est composée d'une arcade avec boutiques en bordure. La porte extérieure est formée de deux colonnes corinthiennes supportant une arche en fer à cheval; l'intérieure, de colonnes romaines avec deux arcs en marbre noir et blanc. La khasba, située au nord-ouest de la porte de Tunis, sert aujourd'hui de caserne à nos troupes.

Les maisons, presque toutes à un étage, sont bâties en briques comme les murailles et blanchies à la chaux; beaucoup de matériaux anciens entrent dans la construction, principalement des colonnes romaines qui en décorent l'entrée. Les fenêtres, comme dans presque toutes les maisons arabes, où la vie est concentrée à l'intérieur, sont rares, étroites et fermées de grillages en bois ou de ciselures en fer très ouvragées.

Les rues de Kairouan sont en général plus larges et plus propres que celles des autres villes arabes. Une voie principale qui traverse toute la ville a 45 mètres de largeur. Elle est bordée de boutiques où s'étalent tous les genres de commerce. Sur cette rue s'ouvrent plusieurs artères souvent couvertes d'arcades et où se tiennent les souks.

Ce qui donne à Kairouan sa physionomie distincte et son cachet particulier de fanastisme religieux, ce sont ses innombrables mosquées, ses marabouts, ses zaouias, couronnés d'une multitude de dômes et de minarets. On y compte, en effet, soixante-cinq mosquées principales, dont les deux plus célèbres, que nous avons visitées, sont la grande mosquée et celle de Sidi-Bel-Haoui ou du Barbier.

La grande mosquée (Djama-Kébir), qui s'élève à l'extrémité ouest de la ville, a été fondée au commencement du septième siècle par Okba, le conquérant de l'Afrique du Nord. L'extérieur n'a rien de remarquable. C'est un vaste quadrilatère de 140 mètres de côté, entouré d'un mur d'enceinte blanchi à la chaux et percé de cinq portes, dominé par une grande tour carrée, très large à sa base et couronnée de trois étages crénelés en retrait les uns sur les autres. On pénètre d'abord dans une cour rectangulaire bordée de cloîtres dont les arcades à forme élégante sont soutenues par des colonnes en partie d'origine romaine. L'intérieur de l'édifice est réellement grandiose. C'est une véritable forêt de colonnes en marbre blanc, en onyx, en syénite de toutes couleurs, de tous les styles, reliées entre elles par des arceaux très rapprochés, de forme mauresque, et soutenant un plafond bizarrement décoré d'arabesques en stuc ou en plâtre. On compte quatre cent soixante-cinq colonnes, tant à l'intérieur que dans la cour de la mosquée. L'escalier qui donne accès à la chaire de l'iman et ses rampes sont en bois merveilleusement sculpté, où quelques dégradations, difficilement réparables, ont été faites récemment par des visiteurs plus qu'indélicats. Nous foulons de nos pieds profanes les nattes et les admirables tapis sur lesquels les vrais croyants prosternent leur front, et malgré notre insistance, le seul tapis de la chaire est relevé pour nous livrer passage. Véritablement en extase devant toutes ces merveilles, nous ne pouvions nous empêcher de songer qu'il y a quatre ans le profane étranger qui eût osé seulement franchir la première enceinte eût été immédiatement puni de mort.

Le minaret fait face à la porte principale: sa hauteur ne dépasse pas 30 à 35 mètres; un escalier de 130 marches conduit à la plate-forme; les marches sont en pierres romaines, sur lesquelles on lit encore des inscriptions ; il y en a en marbre blanc et en carreaux de faïence. Les murs, percés de meurtrières, ont 3 mètres d'épaisseur. Du sommet, on jouit d'un très beau coup d'oeil: à ses pieds, la ville avec ses toitures en terrasse, ses dômes et ses minarets; au nord, à l'horizon, les profils hardis du Djukar et du Zaghouan; à l'est, la surface argentée de la sebkha Sidi-el-Hani; partout ailleurs, à perte de vue, de vastes plaines nues.

La mosquée du Barbier est située hors du mur d'enceinte et au nord-ouest de la ville. Elle renferme le tombeau de Sidi-Abouzemal-bel-Haoui, un des dix compagnons qui suivirent le Prophète lorsqu'il quitta la Mecque et qui, d'après la tradition, porte sur sa poitrine, dans un sac de velours, trois poils de la barbe de Mahomet. Le saint repose dans une tombe recouverte d'un drap mortuaire en velours noir au-dessus de laquelle flottent de nombreux étendards. Quatre colonnes en marbre blanc et une grille en fer à clous dorés entourent le tombeau. La coupole de cette salle, véritable sanctuaire, est très ouvragée et les murs sont revêtus de carreaux de faïence de tous les styles dessinant de curieuses arabesques. La cour qui précède est complètement dallée en marbre blanc et entourée d'une élégante colonnade qui est une merveille d'architecture mauresque. La mosquée du Barbier, par le fini de ses sculptures, est plus remarquable peut-être que la grande mosquée, elle est d'ailleurs beaucoup plus riche et en meilleur état de conservation.

A cette mosquée est annexée une zaouia, espèce de collège où les hommes viennent apprendre à lire et à écrire le Coran. Il y a, en ce moment, soixante élèves de tout âge qui habitent l'établissement. Il va sans dire que l'installation est très primitive.

La tradition veut que Kairouan ait été autrefois entourée d'une vaste forêt d'oliviers. Ce ne serait même que dans le dernier siècle que le déboisement se serait produit à la suite d'un siège. Quoi qu'il en soit, le pays est aujourd'hui tellement dépourvu de toute végétation, que le manque de chauffage s'y fait vivement sentir. Des industriels se sont jetés sur tous les points où il existait encore quelques tamaris et les exploitent pour les besoins de la garnison, en sorte que la zone dépeuplée et inculte s'agrandit de plus en plus.

Kairouan était alimentée d'eau potable par d'immenses réservoirs dont les restes existent encore. De ces citernes, une seule subsiste. On ne se sert à Kairouan que d'eau de citerne, et encore avec la rareté des pluies elle est toujours insuffisante. Le manque d'eau et le manque de bois sont évidemment les deux grandes causes de la décadence de cette ville jadis riche et peuplée et dont la population n'est plus évaluée aujourd'hui qu'à 12,000 ou 15,000 âmes.

On y fabrique cependant encore des tapis renommés, aux riches couleurs. On confectionne avec l'alfa des cordes et des nattes. L'industrie des cuirs teints en jaune, pour la fabrication des babouches, y est très développée. On trouve dans les souks de beaux articles de sellerie, des coffres, des étagères et des escabeaux incrustés de nacre, des djébira en cuir rouge, des huiles, des épices, etc. Un grand marché aux bestiaux, aux légumes et aux grains se tient à gauche de la porte de Tunis.

Léopold BARABAN - 1887