Mer intérieure
La conformation des lieux, la présence des chotts (grands lacs salés), l’altitude négative de ces régions, enflamment l’imagination. Certains y voient l’Atlantide, d’autres ont recours aux extraterrestres pour expliquer la disparition de cette mer.
Depuis toujours, chaque décennie voit apparaître un défenseur de l’idée de créer (de recréer) cette grande mer intérieure.
Le Nil a changé de lit.
Si certains y voient l’œuvre des extraterrestres, d’autres pensent plus prosaïquement aux effets d’un tremblement de terre.
Tous partent de la découverte de fossiles prouvant la présence abondante d’eau au Sahara et de la singularité du fleuve qui ne reçoit plus aucun affluent dans la partie basse de son cours. Certains enfin expliquent la disparition de l’Atlantide par le bouleversement climatique causé par le changement du cours du Nil.
Selon eux auparavant, ce fleuve suivait le cours que nous lui connaissons jusqu’au confluent avec le Nil Bleu en aval de Khartoum mais là, il prenait une direction Ouest l’amenant dans le centre de l’Afrique du Nord et alimentait une mer intérieure dont les chotts sont aujourd’hui, les derniers vestiges.
Si l’accident géologique est parfaitement possible, il reste à trouver le cheminement probable du fleuve, la conformation du terrain n’ayant pas subi de grandes transformations depuis le début de la période historique.
Le commandant Roudaire, chargé de lever les cartes en Algérie et en Tunisie, pensait quant à lui, que cette mer existait encore du temps de l’Empire romain ce qui expliquerait l’abondance des récoltes dans la région citée par les auteurs.
Le projet du commandant Roudaire
Il s’agit d’un projet très abouti qui fascina Jules Verne (L'Invasion de la mer - 1905).
Jules GREVY président de la République française décréta, le 27 avril 1882, la constitution d’une Commission d’enquête à laquelle participa Ferdinand de Lesseps.
ARTICLE PREMIER
Il est institué, sous la présidence du Ministre des Affaires étrangères, une Commission supérieure chargée de déterminer la suite qu’il convient de donner au projet de mer intérieure dans le sud de l’Algérie et de la Tunisie présenté par le commandant Roudaire.
Quelques chiffres : Surface inondable : 8,200 kilomètres carrés. Capacité du bassin : 172 milliards de mètres cubes. Évaporation annuelle prévue : 6 milliards de mètres cubes. Volume des eaux à amener, en tenant compte de l'évaporation, pour remplir le bassin en 10 ans : 222 milliards de mètres cubes soit un débit de 704 mètres cubes par seconde, égal à 20 fois le volume de la Seine à son embouchure aux basses eaux; ce résultat pourrait être obtenu par un canal ayant une profondeur de 14 mètres et une largeur de 30 mètres au plafond. La longueur du canal serait de 480 Km. La commission a calculé : Un déblai de 576 millions de mètres cubes de terre, et de 26 millions de mètres cubes de rochers. Ce qui occasionnerait une dépense de 1,286 millions de francs. Le commandant Roudaire, de son côté, pensait ne devoir les évaluer qu'à 177 millions, et il supposait que les bénéfices des concessions couvriraient les intérêts du capital engagé.
Affaissement du terrain visible par satellite
Vue vers l’Est
Vue vers l’Ouest
Le projet donna lieu à quelques envolées lyriques. « C'est par de telles réformes, en développant l'agriculture et le commerce, en créant des voies de communication, en ouvrant des chemins pour l'exploitation des forêts, des carrières et des mines, en améliorant les ports existants ou en creusant des ports nouveaux, en éclairant le littoral, en ramenant les eaux de la Méditerranée dans les chotts, c'est par de telles entreprises, disons-nous, qu'on fera reculer la barbarie et qu'une ère nouvelle commencera pour la Tunisie, pays vierge qui semble s'être endormi depuis les Carthaginois et les Romains, mais qui ne demande qu'à sortir de son long assoupissement. La France sera la fée qui le réveillera. »
LA TUNISIE SON PASSE ET SON AVENIR
P.-H. ANTICHAN 1895
Après une étude approfondie, le projet ne reçut pas l’aval du gouvernement.
Il sera remis à l’ordre du jour une seconde fois entre 1958 et 1968 puis une troisième entre 1983 et 1985 par des experts qui reviennent vigoureusement à chaque reprise aux arguments écologiques de leurs prédécesseurs, sans toutefois réussir à donner vie et réalité à l’entreprise.
Les Algériens se souviennent certainement d’un truculent Constantinois dénommé Bencherif qui créa un parti politique, en 1989, et évoqua le projet fantasmagorique de « mer intérieure ».