LA VIGNE
C’est surtout la vigne qui a tout envahi. Le Maghreb se prête admirablement à la culture de cette plante essentiellement méditerranéenne, la vigne.
Mais la culture de l’Islam ne s’y prête pas du tout.
En 1830, l’Algérie turque avait quelques ceps de vigne. Les raisins se consommaient comme fruits. Dans quelques familles juives, en cachette, pour la consommation familiale, on faisait avec le raisin quelques litres de boisson fermentée.
Cette situation s’est modifiée lentement. Aux environs de 1870 il n’y avait en Algérie que 10 à12 000 hectares de vigne ; il y avait un problème à résoudre.
Si le climat du Maghreb convient admirablement à la vigne, il modifie toutes les règles, usuelles chez nous, de la fermentation. On a cru longtemps que la fabrication industrielle du vin était impossible sous le soleil Maugrebin. C’est lentement, par tâtonnements, par approximations successives, après d’immenses efforts, qu’on a établi les règles de la viticulture africaine.
A partir de 1870, elle prend un essor énorme. En 1889, la superficie du vignoble était de 91 000 hectares. Aujourd’hui (entre 1916 et 1923) elle oscille entre 170 000 et 180 000 hectares. La production annuelle oscille entre 6 millions et 10 millions d’hectolitres.
Cela a été une magnifique création et une création douloureuse, pleine de péripéties.
1880, a été une grande date parce que les ravages du phylloxera en France ont provoqué l’exode en Algérie de viticulteurs ruinés ; en même temps qu’ils ouvraient un large marché et qu’ils amenaient la hausse sur le prix du vin.
Plus tard, le phylloxera a passé la Méditerranée ; il est vrai que pour lutter contre lui le viticulteur algérien a pu utiliser l’expérience du viticulteur français.
Puis est venu, à la fin du siècle, après la reconstitution du vignoble métropolitain, la crise de la mévente provoquée par les habitudes de fraude (vin de sucre), que le phylloxera avait fait naître, et qui lui avaient survécu. Ce fut une crise terrible, en Algérie comme en France. Elle secoua la Société dans ses profondeurs avec, en France, les émeutes de Montpellier et de l’Aude : grandeur et décadence de Marcelin Albert, et en Algérie avec les émeutes anti-juives.
Le résultat final a été triomphal puisque la viticulture algérienne s’est retrouvée en pleine prospérité.
A la violence des secousses qu’ont provoquées les crises viticoles, on mesure l’importance de la viticulture dans la société algérienne. L’Algérie est devenue, au même titre que le Midi français, un pays essentiellement viticulteur. Aucune autre culture n’a donné au colon de bénéfices comparables. C’est la vigne qui a fait la prospérité de l’Algérie, exalté la joie de vivre et le goût d’entreprendre. A proprement parler, la vigne a fait l’Algérie.
Naturellement, la viticulture algérienne a pour client principal le consommateur français.
L’Algérie exporte en France la plus grande partie de sa production, environ 5 millions d’hectos. La reproduction française est de 45 millions.
La concurrence que la viticulture algérienne fait à la française n’est pas aussi grande que ces chiffres indiqueraient, parce que les vins algériens pour la plupart sont très chargés en alcool. Ce sont des vins de coupage. Ils font plutôt concurrence aux vins espagnols que le marchand de vin français a toujours importés.
Les départements du Midi cependant surveillent de très près la viticulture algérienne.
La France a élevé des barrières douanières pour interdire le marché français aux vins marocains, ce qui ne peut pas manquer de restreindre l’expansion de la viticulture sur le territoire du protectorat où elle eût trouvé, sans cette circonstance, un terrain aussi favorable qu’en Algérie.
Poussée au point où elle l’est, la viticulture en Algérie peut être presque appelée monoculture. Elle n’est donc pas sans présenter des dangers.