TABARQUINS – L’ODYSSEE 1541-1798

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962
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L’ILE de TABARKA - LE DECOR

L’île se trouve au nord de la Tunisie, près de la zone de petite montagne de la Kroumirie, dans le Tell septentrional. Une  quinzaine de kilomètres la sépare de l’actuelle frontière algérienne. Elle est distante de 400 mètres du rivage continental, plantée en face du port de Tabarka, ancienne échelle punique, qui dès l’époque romaine assurait les exportations du marbre de Chemtou, d’huile d’olive, de denrées agricoles provenant du nord de la riche plaine de Jendouba, d’animaux, puis plus tard du liège récolté dans les montagnes d’arrière pays couvertes de forêts de chêne-liège et giboyeuses.
Elle sert déjà de base pour le rachat d’esclaves chrétiens.


Tabarka1-1-.jpg
ÎLE DE TABARKA - LE FORT GENOIS
Source: [1]
License : CC-BY-SA-2.5.


La côte de l’île est rocheuse et assez escarpée, à l’instar de la côte continentale. La zone côtière offre un paysage de collines au relief moins accentué que celui de la Kroumirie. La côte s’avère parfois spectaculairement accidentée et révèle une beauté sauvage.
L’île a une dimension approximative de 800 mètres de long sur 500 de large, avec une circonférence d’environ 4 kilomètres. Sa superficie est d’environ 25 hectares :
Depuis 1940 elle est physiquement rattachée au continent par une bande de sable à présent bâtie, large d’environ une centaine de mètres. Il ne subsiste aucune trace immédiatement significative de son peuplement, en dehors du fort génois dont une partie demeure aujourd’hui utilisée par l’armée tunisienne.

Les habitants de l’île se sont appelés Tabarquins(Tabarchini), à ne pas confondre avec la population du port continental de Tabarka, dénommés Tabarquois .

CONTEXTE ECONOMIQUE

Le port de Tabarka, à la fin du moyen âge arabe était entré dans un relatif sommeil, voire en récession .
En revanche les fonds marins proches de l’île étaient réputés pour la richesse de leurs coraux, selon des sources littéraires arabes du Xe siècle [2].
Dés la moitié du XIIe siècle des pécheurs et commerçants pisans commercialisent puis exploitent le banc de corail. Des traités leur en concédant la pêche sont passés et renouvelés du XIIe au XIVe siècles ; quelques rares familles de pêcheurs semblent s’être établies de façon permanente sur l’île.
Le banc corallien est alors riche et aisément exploitable : la collecte des madrépores peut encore être faite à moins de 60 mètres de profondeur :
Le déclin de Pise aidant, les premiers pêcheurs sont alors remplacés par des espagnols.
On utilisait d’importantes quantités de filets lestés pour récupérer les précieuses branches de madrépores en raclant les parois rocheuse. Ce mode de pêche, dommageable pour l’environnement, est toujours pratiqué de nos jours en dépit de la casse qui l’accompagne.

« LES AIGUILLES » - Côte de Tabarka
« LES AIGUILLES » - Côte de Tabarka
CORALLIUM RUBRUM


Le poste de dépense que représentait le remplacement de ces filets et les cordages était le second en importance après le coût de la barque de pêche elle-même acquise ou louée,
L’usage était de pêcher le matin , et de faire sécher et réparer les filets dans l’après midi.
A l’instar de ce que relève P: Goudin pour le comptoir voisin de Marsacares [2][0000], la pêche devait s’inscrire, dans des cadres juridiques à « géométrie variables » selon la propriété des barques (concessionnaire, maître pêcheur, association de pêcheurs tiers) et le mode de rétribution des pêcheurs d’une même baraque (rémunéré par un salaire ou à la part, parfois par une combinaison des deux).

CONTEXTE POLITIQUE AU XVIe SIECLE: ACTEURS et RIVALITES

ACTEURS

Charles Quint

- 1500 / 1558 abdique en 1556
- Empereur du Saint Empire Germanique (Charles V)
- Roi d’Espagne (Carlos I d’Espagne)
- Roi de Sicile (Charles IV de Sicile)
- Duc de Brabant (Charles II de Brabant)
- Revendique la Bourgogne
- Et affronte François 1er sur les Pyrénées, dans les Flandres, en Lombardie ; il noue et renverse des alliances etc. …
- Héritier des rois très catholiques d’Espagne, il lutte contre l’avancée de l’Islam, contre la propagation de la réforme et combat les maures en Méditerranée

François 1er

- 1494 / 1547
- Roi de France
- Légitime détenteur de la Bourgogne
- S’oppose financièrement, diplomatiquement et militairement aux ambitions de Charles Quint, qu’elles soit territoriales, ou honorifique (comme son titre d’empereur)
- Poursuit sans succès les ambitions de conquête de ses prédécesseurs concernant les duché de Milan et le Royaume de Naples.

Familles génoises

'Genuensis, ergo mercator (Génois, donc marchand).'

Famille Doria (ou D’Oria)

- Andrea Doria :1466 / 1560
- Condottiere puis Amiral de la flotte génoise
- Soutint d’abord François 1er contre Charles Quint, en le combattant avec succès en Méditerranée à la tête de la flotte française, puis passe définitivement aux côtés de l’Empereur en 1528, comme les promesses françaises tardaient à être tenues
- Il évince les français de la République de Gênes et la dote d’institutions plus démocratiques.
- Combat efficacement les turcs et les maures, en particulier l’ancien pirate Khayr Ed-Din,.
- Sous les ordres d’Andrea Doria, son neveu fait captif Dragut (cf. infra)

Famille Lomellini Di Pegli

- Famille aristocratique de Pegli, port de pêche situé près de Gênes
- Banquiers et hommes d’affaires(créanciers de Charles Quint)
- Obtient de Khayr Ed Dine le droit d’exploiter les coraux avoisinant notamment l’île de Tabarka et la propriété de l’île, (droits validés par Charles Quint ), en reconnaissance de l’intermédiation efficace des Lomellini lors la libération de Dragut, capturé par Jeannetin Doria au large de la Corse

Califes Hafsides

- 1230 / 1574
- Dynastie d’origine berbère, (succédant aux Almohades souverains du Maroc)
- règne sur l’Est algérien, la Tunisie et la Libye,
- puis s’affaiblit
- cède la place au pouvoir des turcs ottomans, tombe face à Khayr Ed Dine

PIRATES ou CORSAIRES TURCS

Dragut (alias Togurt Reis)

- 1514 / 1565
- Corsaire turc, originaire de Bodrum , protégé et au service de Khayr Ed Dine
- Capturé une première fois par un Doria, (1540) échappe de peu à Andrea Doria (1560)
- Nommé amiral par Soliman, donne la course à la flotte chrétienne et combat avec les ottomans
- Basé à Mahdia jusqu’en 1550

Khayr Ed Dine alias Barberousse

- 1466 / 1546
- issu d’une famille de marin grecs (Mytilene) pirate et corsaire
- Roi d’Alger dont il s’empare, s’allie au Sultan turc afin de mieux résister aux assauts espagnols
- Chassé d’Alger par les kabyles, reprends la course pour reconstituer ses ressources
- Conquiert divers points d’appuis nord-africains,- et finalement recouvre Alger pour y fonder le royaume d’Alger et en faire sa base d’opérations
- Nommé Grand Amiral de la flotte turque en 1533 par Soliman
- Grâce aux dissensions Hafsides, s’installe à Tunis
- éviction de Moulay Hassan , calife Hafside, -
- riposte de Charles Quint en 1535 qui, à la tête d‘une puissante flotte espagnole, réussi à le chasser de Tunis, s’empare de la ville, et l’amena à reprendre la course (razzias sur Minorque)
- Diverses razzias, la dernière instiguée en 1543 par François 1er contre Charles Quint en Calabre et à Nice

Réplique de la galére de Ferdinand d’Espagne


Réplique de la galére de Ferdinand d’Espagne
Engagée lors de la bataille de Lépante 1571- poupe
Musée de la marine Barcelone
Photo Sylvie Gandolphe 02-2008<

LES RIVALITES et DESORDRES EUROPEENS FAVORISENT LA COURSE

Tandis qu’en Europe continentale les ambitions de Charles Quint, rêvant de constituer un empire universel, se heurtent à l’opposition et au refus de François 1er, ainsi qu’aux prétentions françaises portant sur les états italiens, le royaume d’Espagne dévolu à Charles Quint veut poursuivre à la fois en Méditerranée son action de reconquête chrétienne, et aux Amériques, l’extension de son empire colonial sous couvert de diffusion du christianisme, non sans commencer à se heurter aux ambitions commerciales et coloniales des autres puissances européennes dont l’appétit s’éveille.
D’ailleurs Charles Quint après avoir donné un coup d’arrêt éphémère à la progression ottomane en évinçant Kayr Ed Dine de Tunis en 1535, va se briser sur Alger en 1541 avec l’armada qu’il a réuni, composée par l’ensemble des états chrétiens de Méditerranée (moins la France).
Par la suite la Réforme, partie d’Europe du Nord et Centrale avec Luther, va mobiliser une importante partie des forces des souverains chrétiens, notamment celles de l’Empereur poussé par la papauté à lutter contre le protestantisme et sa propagation – les premiers affrontements armés commencent en 1529, et en 1533 Calvin arrive à Genève -.
Enfin les états italiens après avoir tirés parti de l’impulsion militaire et économique des croisades (besoins financiers, demandes de logistique, ouvertures de routes de commerce) ne parviennent ni à compenser totalement par leurs talents maritimes, financiers et commerciaux, leurs faiblesses résultant de leur trop petites tailles, ni ne peuvent se permettre d’affronter seuls et à la fois, la poussée vers l’occident de l’empire ottoman, l’avidité des puissances européennes, et le harcèlement incessant de la piraterie ou de la course à qui les puissances chrétiennes trop focalisées sur leurs conflits européens ont laissé le champ pratiquement libre en méditerranée .
Les pirates et corsaires connaissent alors une prospérité sans précédent dont la pression restera soutenue jusqu'au milieu du XIXe siècle, et dont la tradition fleuri sporadiquement jusqu’à nos jours sur les anciennes routes de commerce maritimes arabes (Tunisie [3], mer Rouge, détroit de Malacca, Indonésie, mer de Chine)
Ainsi assiste-t-on parfois à des alliances conclues conte nature en apparence, mais reposant sur le pragmatisme d’intérêts circonstanciels bien compris de part et d’autre. Aussi voit-on des pirates devenir corsaires lorsqu’ils se soumettent à l’autorité d’un État, si celle-ci a suffisamment de poids pour s’imposer [4] : Certains pirates ou corsaire, démontrant en outre de telles aptitudes comme administrateurs, qu’ils parviennent même a être promus commandant en chef de la flotte d’états souverains et en élargissent les zones d’influence en administrant les conquêtes réalisées sous la bannière de telle puissance, ou appuient leurs opérations militaires.
Ces puissances non seulement en retirent de confortables bénéfices (l’empire ottoman aurait difficilement pu faire face à la charge de ses conquêtes et à l’entretien de son armée de janissaires sans le produit de la course), mais aussi détournent vers l’adversaires les nuisances que pirates et corsaires ne manquent pas d’occasionner. Aucun État n’a renoncé alors officiellement aux bénéfices de la course.

ATTIBUTION, PEUPLEMENT, STATUT ET PROSPERITE DE L’ÎLE

ATTRIBUTION de L’ÎLE - Le prix d’une infamie ?

LA LEGENDE

Une légende tenace rapporte que Charles Quint au début du seizième siècle aurait contracté d’importants emprunts auprès d’un « consortium » de banquiers génois comportant entre autres les Grimaldi, les Pallavicino et en particulier les Lomellini de Pegli. À ce titre, il aurait affecté au service des ces emprunts diverses rentes provenant de ses régies, dont les redevances perçues des espagnols pour l’exploitation des coraux de Tabarka. Les Doria, précisément le neveu du grand Andrea Doria, Giannettino Doria, avaient capturé Dragut en 1540 près de la Corse, et l’avaient mis aux galéres poursuivant l’idée d’en obtenir une rançon . Ils contrevenaient ainsi au prudent usage d’élimination physique des corsaires ou pirates lors de leur capture. L’intermédiation des Lomellini entre les Doria, et Barberousse (Khayr Ed Dine), intercédant avec succès en faveur de la libération du corsaire turc Dragut , moyennant paiement de la la rançon attendue serait à l’origine de la mainmise des Lomellini sur l’île dont l’administration leur est finalement bel et bien échue, mais non à titre de récompense pour leur prétendue médiation.

LA RÉALITE – Une habile mainmise

Cette fable d’invention génoise n’a eu d’autre but que d’occulter l’origine espagnole de la souveraineté sur l’île un peu plus vite que le temps ne l’a estompée.

La dynastie hafside avait été évincée du pouvoir par Khayr Ed Dine, puis rétablie par Charles Quint en 1535, après que l’empereur eut délogé Khayr Ed Dine de Tunis capturé après son siége. Fort de ce succès, Charles Quint fait confirmer en faveur de l’Espagne son privilège de pêche et de commercialisation du corail sur la côte Nord. En outre, il confie ses intérêts dans la zone à son vice roi Fernand Gonzague, basé en Sicile non loin du souverain hafside. Les coraux avaient fait l’objet de campagnes de pêche sporadiques et clandestines organisées par des Catalans en puis par les Siciliens vers 1538/1539, suivi par une campagne financée par les Génois, Aussi Fernand Gonzague essaye d’organiser la collecte du corail dans un système centralisé comparable à celui qui fonctionne déjà à Mascares et tente d’orienter le profit vers le trésor d’Espagne. Il impose une redevance fixe annuelle et le prélèvement d’un cinquième du corail péché au profit du Trésor d’Espagne. Il réserve dans un premier temps la pêche aux Siciliens de Trapani, tandis que les Génois Francesco Lomellini et Francesco Garibaldi promptement associés prennent et achètent ferme la totalité de la campagne annuelle de pêche. Toutefois l’économie globale du système et plus favorable aux Génois car ils ont la maîtrise des réseaux commerciaux en Orient, et le profit le plus important se situe à la commercialisation du corail et non pas au niveau de l’exploitation. Le rapport de force penchant nettement en leur faveur, les Génois écartent rapidement les Siciliens et recourent à leurs concitoyens ligures en provenance notamment de Pegli, ils obtiennent ensuite l’administration de la pêche puis de l’île. Leur mainmise devient rapidement économique, administrative et judiciaire, tandis que les Hafsides et l’influence espagnole sont balayées par la poussée ottomane.

PEUPLEMENT GÉNOIS

Les Lomellini proposèrent par priorité l’immigration sur l’île de Tabarka à la population ligure les entourant à Pegli.

La première vague d’immigrant génois fut composée de 471 personnes accompagnées de leurs familles comportant notamment :

  • 272 corailleurs ;
  • 1 gouverneur ;
  • 1 chef d’entrepôt ;
  • 1 cantonnier ;
  • 80 manœuvres ;
  • 32 artisans ;
  • 70 soldats ;
  • 5 caporaux ;
  • 1 lieutenant ;
  •  etc...

La cession de l'île à Francesco Grimaldi et à Francesco Lomellini avec les droits de pêche y attenant, ainsi que divers autres droits, a été confirmée en 1547 moyennant une redevance payée au seigneur d’Alger Alah Rais.
Cette redevance sera réglée selon les alea de l’histoire parfois à Alger, plus souvent à Tunis, voire au deux autorités ottomanes.
La redevance a été progressivement révisée à la hausse [5]. Peu après, à la suite du retrait progressif espagnol de la Méditerranée, les Grimaldi ont quitté « l’association », laissant pour principaux propriétaires exploitants les Lomellini.

STATUT

Le statut juridique de l’île était passablement complexe : l’île se situe aux limites des zones d’influence d’Alger et de Tunis, occupée à la fin du moyen-âge par des espagnols qui tenaient un place de choix dans les échanges commerciaux du bassin méditerranéen occidental (l’autorité arbitrale de la Lloja, bourse de commerce de Barcelone, était largement admise par les commerçants et armateurs méditerranéens ; elle jetait ainsi les bases d’un droit maritime international).

En terme de souveraineté l’île relevait logiquement de la couronne d’Espagne du fait de l’occupation espagnole lors de l’accès au pouvoir de Charles Quint en sa qualité de roi d’Espagne.
Les Lomellini en étaient propriétaire à titre « privé » et détenaient surtout, aux côtés de leurs associées, les droits de pêche sur les bancs coralliens alentour.
La famille Lomellini exerça de fait quasiment tout le pouvoir sur la population de l’île .
Elle nommait le gouverneur qui, outre ses fonction d’administrateur, de pourvoyeur en approvisionnement, exerçait les fonctions de police et de justice.
Les décisions de « justice » du gouverneur étaient soumises aux Lomellini qui choisissaient de transmettre ou non la décision du gouverneur à l’appareil judiciaire, lequel in fine confirmait ou réformait la décision d’origine [6].
Les question de droit privé relevaient des tribunaux de Milan, Castiglia (Sardaigne) et Naples .

Cependant le gouverneur de l’île devait prêter serment de fidélité au roi d’Espagne devant son ambassadeur à Gênes. Cet usage traduisait bien toute l’ambiguïté du statut de l’île.
Le gouverneur accordait aux habitants les autorisations de mariage sur l’île , dont l’exiguïté n’autorisait qu’un peuplement maîtrisé.
Le versant Est de l’île était protégé par une tour octogonale placée en son centre tandis que les entrepôts et magasins bénéficiaient de la protection d’une batterie et de deux fortins.
La paroisse de l’île a été directement rattachée à l’Archevêque de Gènes jusqu’en 1756 (en dépit du saccage de 1742).

L’assimilation de Tabarka à une zone franche informelle [7] semble particulièrement pertinente. Le comptoir, était éloigné des pôles de pouvoir turc nord-africains (Alger et Tunis) : Cet établissement était normalement régi,  pour les questions de droit public, par l’Espagne du fait de son occupation sporadique d’origine, tandis qu’en terme de doit privé les Génois, chez qui la confusion entre affaires publiques et commerciales était communément admise, en assuraient l’administration, l’exploitation et le peuplement permanent,
De fait on verra les Lomellini payer des redevances d’exploitations simultanément à Alger et à Tunis.

En définitive ce sera le droit du plus fort qui prévaudra jusqu’à la fin de la colonie génoise, donc celui des affaires, tant que celles-ci donneront satisfactions à toutes les parties. La stabilité de Tabarka n’a reposé pendant plus de deux siècles que sur le partage des bénéfices retirés de son exploitation.

PROSPERITE DE L’ÎLE ET DES LOMELLINI

Les Lomellini retirait de substantiels revenus non seulement de l’exploitation corallienne très profitable, mais encore du négoce des produits provenant de l’arrière pays tunisien : En effet les Génois de Tabarka étaient de bons marins et pêcheurs, mais aussi ajoutaient-ils à leur courage les compétences de bons commerçants. Ils firent en même temps que leur prospérité, la fortune des Lomellini.
Une branche de cette famille changea son nom de Lomellini di Pegli en Lomelini di Tarbarca, traduisant ainsi la bonne fortune dégagée de l’île.
Une partie de cette richesse fut consacrée à des embellissement de la ville fondatrice, Pegli qu’ils dotèrent de nombreux palais (certains demeurent encore debout)

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PEGLI- Villa Rostan Lomellini
Imagine da E. Perazzo
http://www.pegli.com/car_rostan.php


Lorsque le rendement du banc corallien s’amenuisa par suite de son épuisement progressif et de la dégradation des conditions d’exploitations, les Lomellini cherchèrent en vain, en 1718 à céder leur droits aux Espagnols, puis l’année suivante sous-louèrent l’île pour 10 ans à Giacomo Filippo Durazzo et Giambattista Cambiaso. Le contrat ne fut pas renouvelé à son terme compte tenu de sa rentabilité insuffisante.
Par la suite Giacomo Lomellini exploita l’Île 8 années durant puis elle fut affermée moyennant une rente annuelle de 200 000 lires au génois Giovanni Antonio Giano [7]  jusqu’à l’intervention du Bey de Tunis .

LES INGÉRENCES

L’INGERENCE FRANÇAISE

De longue date la France avait manifesté son intérêt pour cette zone et ce type d’activité car dès 1561 elle avait créé un comptoir concurrent dédié à la pêche du corail : Bastion de France, situé à peu de distance de La Calle (El Qala), autre établissement de pêche et de commerce fondé sur l’actuel territoire d’Algérie, non loin de Bône (Annaba) .
Le comptoir de Bastion de France était régi par une famille Corse-Marseillaise , ayant obtenu du Dey d’Alger la concession de la pêche du corail moyennant une redevance, et placée sous la protection de la monarchie française.
Ainsi s’y établit la Compagnie Royale d’Afrique. Longtemps profitable, elle fusionna plus tard avec la célèbre Compagnie des Indes .
Ce comptoir épousait l’hostilité de la France envers Gênes à la suite de la défection de la République vis-à-vis de François 1er et du retournement de l’alliance de Gênes en faveur de l’Espagne,
Les français avaient donc connaissance, non sans la jalouser, de la bonne fortune des Tabarquins rivaux et adversaires, et souhaitaient s’approprier leurs sources de revenus.
Une première tentative d’investir Tabarka par la force fut éventée en 1633. La surdité du roi de France aux protestations élevées par les Lomellini reste compréhensible et les incidents se multiplièrent au cours des années suivantes.

Cependant, les forces maritimes génoises s’affaiblissaient. Le sort de la colonie de Tabarka devint de plus en plus fragile et moins attractif. Tandis que les redevances exigées tant par le dey d’Alger que le bey de Tunis ne cessèrent d’être révisées à la hausses. Toutes ces raisons incitèrent les Lomellini à vouloir se défaire de leur concession entre les mains espagnoles au début du XVIIIe siècle.

L’INTERVENTION BEYLICALE - 1742

L’Échec des premières tractations menées avec les espagnols laissait le champ libre à l’intérêt pour le comptoir génois manifesté par les français de la Compagnie Royale d’Afrique Ils souhaitaient élargir leur domaine d’activité. Des pourparlers secrets furent donc entamés dans la première moitié du XVIIIe siècle.

Le bey de Tunis Ali Pacha eu connaissance de ces tractations secrètes, proches de leurs conclusion en 1741 et en prit d’autant plus ombrage que Tunis envisageait de reprendre à son compte l’exploitation directe des coraux de Tabarka et ne considérait pas favorablement la venue des Français.
Sous le couvert de régler des questions de détails laissées en suspens, il dépêcha en 1 742 huit goélettes vers l’île, conduites par son neveu Younes Bey. Les principaux défenseurs de Tabarka invités à bord tombèrent dans un piège et furent jetés immédiatement aux fers. Ainsi les troupes d’Ali Pacha n’eurent aucune peine à investir l’île et à capturer hommes, femmes et enfants. Ces captifs au nombre de 900, furent transportés à Tunis et réduits en esclavage ou rançonnés, tandis que tout fut saccagé ou détruit sur l’île : fortifications, habitations , chapelle des capucins (établis sur l’île depuis 1636).

Cependant l’attrait du comptoir ne s’était pas éteint : on note encore des mariages et naissances de Génois-Tabarquins après les destructions de 1742 indiquant la persistance d’une petite communauté génoise qui finit par disparaître de l’île au profit de celle s’étant entre temps constituée à Tunis.
En 1781 la « Compagnie d’Afrique » put s’installer.sur Tabarka.

L’Éclatement DES TABARQUINS APRES L’ASSAUT DE 1742

Tandis que ces captifs de Younes Bey étaient conduits en esclavage vers les bagnes de Tunis, quelques fuyards purent, dans un premier temps, atteindre La Calle grâce à leurs barques de pêche et se réfugièrent temporairement chez les Français. Enfin quelques Tabarquins ont pu rester sur place après le saccage.

Le sort des Tabarquins de Tunis - Bagne ou rançon

Les huit cent quarante-deux captifs [8] furent entassés dans les bagnes de Tunis déjà surpeuplés, Ils furent secourus, non sans peine, par les représentants religieux des Capucins dont l’action était communément admise dans les bagnes : les archives conservent la trace des arrérages du prêt sur gage alors consenti aux Capucins par le consul des Pays-Bas à Tunis, emprunt contracté afin de secourir le soudain afflux d’esclaves.

« …(le) Père Antonin de Novellara, vit arriver ces pauvres captifs presque nus pour la plupart, sans argent, sans provisions, et les bagnes étaient déjà tout remplis.
Touché de pitié, le bon Préfet mit en gage l'argenterie, les ornements, les chandeliers de l'église, et jusqu'à la relique de la vraie croix, renfermée dans un reliquaire de cristal orné d'argent. Afin de pouvoir alimenter, vêtir et abriter tant de malheureux, il compromit encore les dépôts d'argent que les esclaves lui avaient confiés. » [8]

Les bagnes de Tunis, dont le nombre et la capacité ont varié dans le temps [9], n’avaient rien de comparable ni avec celui de Cayenne, ni avec ceux du Club Méd. : chaque bagne comportait sa chapelle desservie par quelques prêtres, d’un ordre caritatif quelconque, chargés de secours moraux et physiques.
On peut s’étonner de cette tolérance vis-à-vis de missionnaires chrétiens développée au sein d’un monde où l’islam était bien ancré. Cependant le Coran enjoint expressément de prendre soin des esclaves [10], de plus il vaut mieux détenir un esclave en ordre de marche et négociable, qu’un esclave improductif, voire pas du tout d’esclave.

Les bagnes servaient plutôt de prison de nuit, et les esclaves avaient la possibilité de détenir des biens propres (accumulés avec l’espoir de pouvoir un jour s’acquitter de sa rançon).
Chacun des bagnes également doté de taverne - rares endroits où le vin était vendu dans ce monde islamisé - était souvent assimilé à un lieu de débauche. Leur insalubrité notoire réduisait considérablement les espérances de vie.
Dans la Médina de Tunis, ces bagnes jouxtaient souvent des fondouks, ensembles architecturaux fermés sur l’extérieur qui abritèrent des consulats, des négociants européens et leurs famille, et des entrepôts pour les marchandises. Ainsi il n’était pas rare à Tunis qu’Européens libres côtoyérent Européens en servitude.

LA DIASPORA

La libération des esclaves était subordonnée au paiement d’une lourde rançon.
Il est probable que de rares esclaves capturés lors de l’assaut de 1742 aient pu tôt recouvrer la liberté et se soient joints au gros des fuyards estimés selon les sources à un nombre se situant entre 370 et 500 personnes [11] : ils avaient pris la fuite aux moyen des barques des corailleurs, en se dirigeant vers La Calle distante d’une trentaine de kilomètres.
Cependant la fuite vers le comptoir français et son satellite Bastion de France, ne pouvait être qu’une étape car chacun des comptoir était tenu par des Français ne souhaitant qu’évincer et supplanter les Tabarquins, quand bien même l’agression de l’île de Tarbarka désignait clairement l’ennemi commun. Ce ne pouvait donc être qu’une étape. On retrouve quelque noms tabarquins-ligures dans le peuplement de ces comptoirs français. Toutefois la présence de ces patronymes peut aussi bien s’expliquer par l’exiguïté et par la proximité de l’île de Tabarka incitant certains de ses habitants à changer de localisation. Le besoin de main d’œuvre a pu justifier une certaine osmose.

Les poussières de la constellation tabarquine

En Tunisie – à Tabarka et à Tunis

Comme l’attestent les naissances et la persistance de la paroisse (maintenue jusqu’en 1756) quelques Tabarquins demeurèrent ou revinrent sur place, peut être après avoir été protégés par la population tunisienne établie sur la côte avec laquelle de bonnes relations de voisinage auraient pu être nouées auparavant et au fil du temps pour les besoins d’approvisionnements des Tabarquins.
Leurs expertise - connaissances commerciale et de l’exploitation du corail - a sans doute justifié de les épargner et de les maintenir sur place afin d’assurer la poursuite des activités. Dans tous les cas ces Tabarquins demeuraient captifs de l’île, pratiquement comme par le passé, sauf à changer de maîtres, mais peut être pas dans de pires conditions.
Les premiers prisonniers disposant d’assez de ressources pour régler sans tarder le prix de leur rançon se trouvèrent sans doute parmi ces survivants qui surent rapidement tirer parti de leurs talents en s’engouffrant par la porte de sortie laissée ouverte par les musulmans. Ils y parvinrent peut être aussi avec l’aide des Capucins, mais ces gens de condition modeste pour la plupart ne suscitèrent que peu de compassion et de secours de la part des puissances européennes.
Certains demeurèrent à Tunis et La Goulette en nombre suffisant pour constituer une petite communauté où leurs coutumes survécurent un certain temps. Leur plurilinguisme, leurs traditions commerciales, leurs aptitudes spécifiques furent certainement leurs meilleures sauvegardes.
Cette communauté a pu accueillir en son sein les rares esclaves parvenant à se libérer des bagnes.
En tout état de cause la durée de captivité a rarement dû excéder plus d’une dizaine d’années du fait de l’insalubrité des bagnes et de conditions de vie très difficiles.

En Corse

Bien, qu’elle fut encore possession génoise, la Corse n’est pas apparue aux rescapés comme une terre d’accueil très séduisante. Depuis 1729 l’île de Beauté était entrée en insurrection permanente contre l’autorité génoise jusqu’en 1769, année où la République de Gènes épuisée par ces conflit sans intérêts céda l’île à la France.
Néanmoins, Bonifacio, jouissant de remarquables défenses naturelles, ainsi que d’une large autonomie, aurait recueilli quelques familles de Tabarquins. Cette place forte, d’abord libre puis dépendance génoise comportant déjà une importante colonie génoise depuis le XIIIe siècle, pouvait apparaître à juste titre comme un havre bien défendu.


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BONIFACIO – Source : WIKIPEDIA COMMONS

En Espagne [12]

Le roi d’Espagne Carlos III versa au bey de Tunis une rançon qui permit la libération de quelques Tabarquins dont il peupla à ses frais un village fortifié situé sur une île à quelques milles au large d’Alicante.
L’un des objectifs recherché par Carlos III était de dissuader les barbaresques algériens d’utiliser désormais cette île comme il le faisaient jusqu’alors en tant que base arrière pour leur coup de main sur la péninsule ibérique. Les Tabarquins s’y établirent, renommant l’île Nueva Tabarca : Ils furent progressivement assimilés aux valenciens les entourant, perdant leurs traditions et oubliant leur identité première. Aujourd’hui l’île est simplement appelée Tabarca.  Elle est devenue un centre touristique, balnéaire et un but d’excursion.


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NUEVA TABARCA – Provincia de Valencia
Source : WIKIPEDIA,.ES COMMONS

En Sardaigne

Le gros des rescapés qui avait pu fuir dans un premier temps sur La Calle trouva ensuite refuge dans la petite île de San Pietro située à quelques encablures de la Sardaigne au Sud-ouest.
Celle-ci était rattachée depuis peu (1720) à la maison de Savoie. Carlo Emmanuelle III, roi de Sardaigne avait déjà dans l’idée de favoriser le repeuplement des zones côtières de Sardaigne largement désertées à la suite des razzias incessantes opérées par les Barbaresques.
Il attribua donc l’île aux Tabarquins, considérant que ces gens habitués à se frotter aux « Sarrasins » sauraient être un bon rempart contre leurs razzias. En outre ce geste asseyait une image de magnanimité pour le nouveau souverain.

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Carloforte aujourd’hui
Source : Wikipedia - Auteur : Yoruno


Par ailleurs, de longue date l’île de San Pietro était connues des Tabarquins comme étape la plus poche de Tabarka sur la route la reliant à Gènes L’acte de cession de l’île fut passé en 1737. Au début de l’année suivante 82 Tabarquins furent dépêchés sur l’île de San Pietro pour entreprendre les premières constructions essentielles au nécessaire, et au milieu du printemps de la même année 390 Tabarquins accompagnés de 80 ligures vinrent s’établir dans l’embryon d’une une petite ville : Il lui donnèrent le nom de Carloforte en hommage à Carlo Emmanuelle III. Les premiers Tabarquins se convertirent pour beaucoup à l’agriculture, d’autres demeurèrent pêcheurs.
Les pionniers furent suivis d’autres rescapés.
L’îlot de San’ Antioco , voisin de l’île de San Pietro fut également attribué par l’ordre de Saint Maurice et Lazare aux Tabarquins dont ils obtinrent la libération. Ces rescapés y fondèrent la petite ville de Calasetta. Un petit nombre des captifs libérés des bagnes vint grossir au fil du temps les effectifs des groupes sardes.

RAZZIA SUR CARLOFORTE - 1798

Younes Bey avait reçu de son oncle Ali Pacha la mission de s’emparer de l’île de Tabarka, mais aussi l’ordre de piller et détruire le tout proche comptoir français du Cap Négro. Ce qui fut fait dans la même élan.
La riposte française organisée peu de temps après, dirigée contre Tabarka, fut un cuisant échec où les Français perdirent plus d’une centaine d’hommes tués ou jetés en esclavage.
Cet épisode marqua le terme de tout établissement civil d’importance sur l’île de Tabarka.
Cependant la prise de l’île, la mise en esclavage et le massacre d’un bonne partie de sa population en 1742 ne marquèrent malheureusement la fin en Méditerranée ni de la course ni de la piraterie, pas plus que les malheurs causés par les corsaires et pirates musulmans aux Tabarquins n’étaient terminés.

Les désordres internes européens , la révolution française notamment, et les guerres qui s’ensuivirent, s’ajoutaient à l’affaiblissement des forces navales chrétiennes de Méditerranée , laissant de nouveau le champs libre aux razzias des pirates.
Ainsi en septembre 1798, Mohamed Rumali débarqua, avec la flotte de 12 bâtiments qu’il commandait, sur l’île sarde de San Pietro .
En dépit du combat acharné des ses habitants les défenses tombèrent rapidement faute de munitions ouvrant la voie au saccage et au pillage de Carloforte. Prés de 830 personnes furent saisies et transférées comme esclaves vers les bagnes de Tunis. La commémoration de cet événement continue d’en être célébrée dans l’île chaque 18 novembre.

Cet incident eu grand retentissement en Europe [13]: Bonaparte nommé premier consul à vie intervint auprès du bey de Tunis Mustafa Pacha, exigeant le respect des pavillons français et Cisalpin (Ex République de Gênes annexée à la France par Bonaparte), la restitution des navires capturés, la libération immédiate des esclaves y compris ceux capturés en Sardaigne notamment à Carloforte.

Il demeurait alors 750 Tabarquins captifs dans les bagnes de Tunis : Le bey traîna des pieds quant à la libération de ces derniers tirant argument du fait qu’en tant que sujets sardes leur libération était subordonnée au paiement d’une rançon à laquelle le roi de Sardaigne s’était engagé.
Le calcul du bey était de faire durer la situation en faisant monter les enchères comme le roi de Piémont-Sardaigne, ayant fuit le Piémont occupé par l’armée révolutionnaire française, s’était réfugié en Sardaigne : Le roi Vittorio Amedeo III de Savoie se trouvait donc difficilement capable d’honorer ses engagements.
Face à la détresse des captifs et l’immobilisme de la maison de Savoie, le comte Pollini, de Cagliari, pris les choses en main et réussit à lever 70 000 piastres grâce à une collecte : Début 1803 il pris contact avec Jacques Devoize, consul général de France et chargé d’affaires auprès de bey de Tunis, afin d’obtenir une libération générale des Tabarquins en contrepartie de cette rançon.
Devoize, fort de son autorité bien établie, obtint au terme d’âpres tractations, un accord global pour un montant de 95 000 piastres.

Entre temps 95 naissances et 117 morts étaient intervenues parmi ces Tabarquins en cinq années de servitudes. Ces chiffres donnent à penser que si les conditions de détentions dans les bagnes étaient certes loin d’être idéales, elles devaient néanmoins comporter des différences enviables par rapport aux conditions prévalant en Europe.

ÉPILOGUE

Par la suite la chute de l’Empire français donna temporairement quelque audace aux corsaires d’Afrique du Nord. Leurs tentatives successives de coup de main de 1812 et 1815 contre Calasetta échouèrent ou furent repoussées. Les Tarbarquins y perdirent leurs derniers hommes et femmes (160 personnes faites captives) .
Toutefois l’apaisement des conflits en Europe, l’intervention française en Algérie dés 1830, les actions coordonnées de la « Royale » et de la « Navy », surent contenir puis éradiquer piraterie et course en Méditerranée. Depuis, hors le tourisme et les dégradations environnementales, aucun fléau permanent ne semble plus faire de menace.

Les Tabarquins de Caloforte et de Calasetta ayant vécu sur leurs îles en quasi autarcie, ont pu préserver leur singularité culturelle et conserver une partie de leurs traditions. On notera dans le domaine culinaire des recettes acquises au contact de l’Afrique du Nord , comme par exemple un remarquable couscous accompagné de légumes seuls. De même ils ont su garder presque intact leur parler génois entremêlé de Lingua franca [14]. Ce particularisme linguistique est en passe d’être reconnu dans une Italie plus volontiers ouverte aux individualités régionales qu’aux démons du centralisme.

L’Épopée des Tabarquins, se déroulant de la fin du moyen-âge jusqu’aux portes de l’ère industrielle, est certainement un élément qui a pesé lors de la transformations des rapports en Méditerranéenne.
Le terme mis aux guerres napoléoniennes par le Congrès de Vienne en 1814, et le climat des relations européennes évoluant vers l’Entente Cordiale conclue entre France et Angleterre en 1843, ont abouti à un consensus de partage des zones d’influence en Méditerranée. Ainsi l’Afrique du nord a été dévolue à la tutelle française, tandis que l’Italie en voie de formation était politiquement disqualifiée au grand dam de sa bourgeoisie industrielle naissante.
Les relations harmonieusement entretenues avec l’Angleterre ont permis plus sûrement que par des entreprises militaires, grâce à des offensives diplomatiques appuyées par les forces navales, à l’éradication de la piraterie, l’abolition de l’esclavage, la pacification et la mise en valeur de l’Afrique du Nord ainsi que la réalisation de ses premières infrastructures modernes servant de base à son développement .
Il reste à l’ensemble de l’Afrique du Nord contemporaine de démontrer que sa capacité d’accueil ne se limite pas aux devises des touristes, que les amitiés nouées d’une rive à l’autre ne se réduisent pas à des mots ou à la bonne volonté de quelques personnes de qualité, que la stabilité intérieure du Maghreb ne relève pas de réponses militaire ou policière, et que les mêmes aspirations démocratiques peuvent fleurir de part et d’autre de ses rives… mais ceci est une nouvelle culture qui ne se décrète pas et reste à inventer. Des relations mieux équilibrées et plus équitables, tant à l’intérieur qu'à l’extérieur, pourraient y contribuer.

Aujourd’hui Carloforte et Calasetta comptent respectivement plus de 7 000 et de 2 500 habitants qui font avec leur singularité autant d’Européens témoignant d’une certaine unité méditerranéenne. Puissent-ils connaître durablement la PAX EUROPEANA, et puisse celle ci toujours s’imposer sans armes à la différence des époques de Charles Quint ou de Bonaparte.

NOTES ET LIENS

Quaderni padani N°28 Mars - Avril 2000 « I Tabarchini, una comunità padana molto speciale » Article bien documenté de Giberto Oneto , dont les analyses sont toutefois fortement orientées par le courant padaniste.


[1] Ibn Hauqal , citant Al Içt Akri, dans « Configuration de la Terre » - traduction de Slane – Journal Asiatitique -1842

[2] Gourdin Philippe « Émigrer au XVe siècle. La communauté ligure des pêcheurs de corail de Marsacares. II. Vie quotidienne, pouvoirs, relations avec la population locale » - Mélanges de l’école française de Rome - 1990 - Vol. 102. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_1990_num_102_1_3086

[3] Sur le renouveau de la piraterie tunisienne de nos jours [2] ou [3]

[4] Le corsaire, à la différence du pirate, reste soumis à une puissance. A ce titre il a la même obligation du respect du pavillon incombant à sa puissance tutélaire, conformément aux traités qu’elle a conclu. Il lui reverse une partie du butin. En contrepartie cette puissance lui accorde appui et protection.

[5] Cf . Francesco Podestà, « L’isola di Tabarca e le pescherie di corallo nel mare circostante », dans « Atti della Società Ligure di Storia patria, » Vol. XIII, 1884.

[6] Federico Donaver, Storia della Repubblica di Genova Gènes - Mondani, 1975 - vol. III

[7] Luisa Piccinno dans « I rapporti commerciali tra Genova e il Nord Africa in età moderna: il caso di Tabarca » - Università dell'Insubria- Facoltà di economia – publié dans « Quaderni Padani » - N° 15 – 2003 

[8] 842 captifs, selon une lettre du Père Charles-Félix d'Affori, dans « Mission des Capucins dans la Régence de Tunis 1624-1865 » -1889-. Le Père Charles-Félix d'Affori est le successeur à Tunis du Père Antonin de Novellara qui accueillit à Tunis comme il put ces captifs. Pour mémoire, l’islam et la valeur économique des esclaves imposaient à leur maîtres de leur réserver un bien meilleur sort que celui que les chrétiens consentaient généralement aux captifs musulmans. Malheureusement la pratique musulmane a souvent divergé d’avec l’esprit du principe, pour se confondre avec les usages iniques des européens, voir en particulier le sort des femmes et enfants jetés en esclavage dans le monde ottoman.

[9] « Les Européens à Tunis aux XVIIe et XVIIIe siècles » par Ahmed Saadaoui , Université de la Manouba, dans : Cahiers de la Méditerranée, vol 67

[10] Sourate An-Nisaa , 4.24, 4.25, et surtout 4.36 : « Adorez Allah et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les esclaves en votre possession, car Allah n'aime pas, en vérité, le présomptueux, l'arrogant , »

[11] L’île disposait de 34 barques de pêche capables d’embarquer chacune jusqu'à huit hommes en temps normal. En conséquence 272 à 500 hommes ont pu échapper à l’attaque (Alphonse Rousseau , dans : Annales algériennes - Alger: Bastide Librairie-Éditeur, 1864)

[12] La Nueva Tabarca : Ile espagnole fortifiée et peuplée au XVIIe siècle –Maria Gazhaki, dans : Les Cahiers de la Méditerranéenne – vol. 73-2006 - bodyftn1

[13] Le temps de la Non-Révolte 1827-1832  ; par Mahmoud Bouali , STD éditeur extrait : [ttp://coloniale.blogspot.com/2006/12/commando-n-contre-lle-saint.html]

[14] Langue vernaculaire usée principalement dans les ports méditerranéens, largement construite à partit des langues latines comportant des emprunts aux langues arabe, grecque et turque. Sabir développé au départ dans les bagnes entre esclaves de provenance géographiques diverses, par la suite largement utilisée pour le commerce, voire très occasionnellement comme langue diplomatique.