ALGERIE - ENSEIGNEMENT - 1830 - 1946 - Partie IV

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962
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L'enseignement primaire des musulmans d'Algérie de 1830 à 1946

III. DE 1908 À NOS JOURS

Documents algériens- n°11 - 8 décembre 1947

Introduction.

Après 1908, le rythme du développement de la scolarisation ne s'accéléra pas autant qu'on l'avait espéré: 36.013 élèves en 1908, 38.366 en 1909, 40.718 en 1910, 42.614 en 1911, 44.779 en 1912, 46.437 en 1913, soit une moyenne annuelle d'augmentation de 2.300 élèves contre un millier au cours de la période précédente; Pendant le même temps, le nombre des écoles et des classses s'élevait graduellement de 272 écoles et 575 classes en 1907, à 468 écoles et 888 classes en 1913 (1908 : 299 écoles et 640 classes, dont 84 annexées à des écoles européennes ; 1909: 316, 667 (82) ; 1910 : 362, 727 (81) ; 1911 : 390, 766 (8o) , 1912 : 433, 825 (82) ; 1913; : 468, 889, (86), ce qui représentait 52 classes par an. On était encore loin des 82 classes, prévues par le plan d'ensemble. Au bout de la troisième année de réalisation de ce 'plan, l'Académie signalait déjà que "sur les 60 écoles auxiliaires du programme de 1909, 51 seulement fonctionnaient et qu'il restait à exécuter le programme de 1910 et celui de 1911 ", que " plusieurs communes n'avaient pas poursuivi, en temps utile, l'installation des, écoles dont elles avaient voté la création; qu'elles n'avaient pas présenté de plans de construction à l'approbation du Gouvernement général ", que "dans d'autres conmunes, les architectes avaient déclaré impossible de se maintenir dans les limites du prix fixé par les assemblées algériennes ". Force. était, d'autre part, de constater les difficultés rencontrées,. pour le recrutement des moniteurs destinés aux écoles auxiliaires " non que le nombre des candidats fut insuffisant, mais parce qu'ils ne présentaient souvent que de faibles garanties., " Le nombre de ces moniteurs ne s'en était pas moins élevé à 184 à la fin de 1913 et le Recteur se trouvait contraint de remarquer que, si la grande majorité des maîtres, quel que fut le degré d'instruction s'acquittaient consciencieusement de leurs devoirs professionnels, les bons résultats étaient sertout visibles "' là ou les écoles existaient depuis un certain nombre d'années ",c'est-à-dire, somme toute, dans les, écoles primaires du type normal, confiées à des instituteurs pourvus des titres de capacité usuels. Aussi n'est-il guère surprenant que, dès mars 1914, des instructions ministérielles aient prescrit de renonçer au recrutement des moniteurs.,


LA GUERRE DE 1914-1918

L'entrée en guerre, de -la France, -au mois d'août suivant devait, toutefois, faire_ ajourner cette mesure jusqu'au lendemain des hostilités.


La période de quatre ans :qui s'ouvrait ne pouvait manquer, par ailleurs, d'avoir .une répercussion fâcheuse sur le développement des l'oeuvre entreprise. Dés le début, près de 200 instituteurs français ou musulmans, furent mobilisés ou s'engagèrent. Les qualités' d'énergie opiniâtre et d'intelligente initiative dont ils avaient fait preuve 'dans l'accomplissement quotidien de,.-leur tâche civile, ne pouvaient pas se dementir dans les circonstances exceptionnelles de la guerre et leuj-s citations, remplirent bientôt des pages entières du " Bulletin de l'Enseignement des Indigènes" . Mais, à leur départ, il avait fallu les remplacer, tout au moins numériquement, par des suppléants : élèves-maîtres de 2° année, étudiants des médersas ou, simplement, élèves des cours complémentaires; qui montraient certes, dans leurs nouvielles fonctions, une bonne volonté non douteuse, mais étaient,parfois. insuffisamment au courant des multiples exigences du service dont ils avaient momnentanément la charge Il est' logique, dans ces conditions, que les effectifs scolaires, aient sensiblement diminué. Les données numériques exactes sont assez rares du fait, que les statistiques ont été irrégulièrement dressées et, quand .elles existent, ont été:-établies selon des. éléments de calcul différents. Il -est possible, cependant, de connaître avec quelque certitude le nombre des élèves musulmans en 1916 et 1917 ; dans le premier cas, il était déjà tombé à 43.520 (35.674 dans les écoles indigènes :et 7846 ,dans les écoles européennes) dans le second, il n'atteignait_ plus que 42.295 (34796 d'une part et 7.499 de l'autre), soit une perte équivalente à l'effectif` de 8o à 96 classes depuis 1913. La dim inution constatée affectait, d'ailleurs, exclusivement les écoles de garçons, et plus particulièrement les écoles isolées. C'est en tribu, en effet qu'il avait été nécessaire de former quelques classes, et, dans les, classes restées ouvertes, les suppléants, inexperts et de peu ;d'autorité, n'avaient pas toujours su, ou pu' faire venir ou retenir les élèves. Lâ disparition des maîtres mobilisés avait- eu, trop souvent pour conséquence, la suppression. des cours moyen et supérieur, dont la dénomination seule avait subsisté. Et, pourtant, ceux des maîtres de carrière qui étaient demeures à leur ,poste en ,raison-de leur âge s'ingéniaient, non seulement à maintenir dans leurs écoles .le , niveau de` l'enseignement donné mais encore â dispenser cet enseignement à plus d'enfants, a doubler les effectifs partout où les dimensions des locaux le permettaient. Leur activité ne se bornait pas d'ailleurs à leur tâche professionnelle, si lourde qu'elle fût devenue. La plupart tenaient en honneur de faire participer leur ecôle aux oeuvres de guerre. Ils se faisaient, bénévolement, les intermédiaires entre les parents illettrés et les fils combattant dans la métropole. Il n'en est pas moins incontestable que, dans l'ensemble, au cours de ces années de lutte, la qualité de l'enseignement théorique avait regrettablement baissé, et, qu'en même temps, dans l'enseignement professionnel,. la rareté et la cherté des matières premières, la difficulté de renouveler les instruments de. travail avaient gêné le fonctionnement des cours d'apprentissage et des ouvroirs, dont plusieurs avaient. dû fermer ; enfin, dans l'enseignement agricole, les jardins scolaires avaient cruellement pâti des événements et que, l'étude de l'agriculture pratique s'était vue, comme les autres parties du programme, notoirement réduite.


1914-1923

Dès la fin des hostilités, on constate qu'il n'y a plus de décroissance dans l'effectif des, garçons,: mais, par contre, un certain fléchissement dans l'effectif des écoles de filles, qui s'était maintenu et même accru pendant les annees écoulees. En raison du coût de la vie, en effet, au lieu de faire donner à leurs fillettes une instruction qui ne leur servirait que plus tard, beaucoup de parents préfèrent en tirer immédiatement du profit, si minime soit-il en les employant à de petites besognes rémunérées : triage de fruits ou de primeurs par exemple; ou, encore, en les envoyant dans des ateliers privés sans attendre que leur apprentissage soit terminé. Dans tous les etablisséménts scolaires, cependant, la frequentation s'améliore - amélioration due, sans contredit, au retour du personnel normal...Les progrès. numériques n'en sont pas moins lents : 42.269 en 1920 -43.831 en 1921, et il faut attendre 1922 pour en revenir à des chiffres analogues à ceux d'avant-guerre : 48.750 élèves:


Les instituteurs n'ont du reste pas seulement à repeupler les classes, ils ont à relever graduellement la qualité des études. Cette tâche est en bonne voie dès 1920 comme le prouvent, d'une part, le nombre de candidats présentés au certificat d'études et la proportion dès candidats reçus, d'autre part, la loi du 6 octobre 1910, organisant officiellement les cours complémentaires d'enseignement -professionnel .qui s'étaient constitués, pour ainsi dire, d'eux-mêmes par le développement logique, des cours .d'apprentissage prévus par le décret de 1892, mais qui avaient subi un grave recul depuis 1914 . Malheureusement les apprentis travaillent souvent dans :des locaux de 'fortunç, l'outillage est souvent insuffisant et ce n'est guère qu'en 1927 qu' une amlioratiion réelle pourra être signalée.


Désorganisation du fait de l'absence de la plupart des maîtres ayant quelque expérience de l'enseignement pratique de l'agriculture, cet enseignement, lui aussi, reprend peu à peu sa marche normale, et, des 1923, on peut constater que les fellahs se remettent à imiter, dans leurs lopins de terre, ce qui est fait dans le jardin de l'école, qu'à proximité des villes ils 's'essaient à la culture ,maraîchère de la même manière que les européens, et qu'ils 's'efforcenft, encore davantage, d'améliorer leurs cultures fruitiêres.


EXTENSION DE L'ENSEIGNEMENT FEMININ

Mais c'est surtout dans les écoles de filles musulmanes que les progrès se font plus sensibles: Sans doute le nombre des élèves fréquentant ces ecole est-il ençore peu important en 1930, mais il n' en a pas moins doublé, après un temps d'arrêt et de stagnation, au cours des dix dernière., années (3.798 en 1920 - 4.222 en 1921- 5.245 en 1925 - 5.679 en 1924 - 5.869 en 1925 - 6347 en 1926 - 7.409 en 1927 - 7.351 en 1928 - 7.580 en 1929 et 8.156 en 1930). Le niveau de 1?enseignement théorique reste, il est vrai, encore assez bas, mais ce n'est pas à préparer des diplomes que visent les écoles de filles musulmanes, ce sont des écoles ménagères plus. que des écoles primaires et, à,c'e point -de' vue, il convient de noter que chacune possède son cours complémentaire d'enseignement professionnel et que le recrutement des apprenties de ces cours, malgré- l'insuffisance des installations, devient nettement plus facile (600 apprenties en 1923 contre 250 avant la guerre). En outre, -pour donner toute sa valeur à l'enseignement artisanal (broderies, dentelles, tapis), un cabinet de dessin a été créé, en 1922, et relève les modèles traditionnels dont les maquettes sont envoyées aux diverses écoles.Enfin, l'action des établissements scolaires de filles se poursuit par l'oeuvre d'assistance sociale post-scolaire, qui procure du travail aux anciennes élèves et les' aide à écouter leur production dans des conditions rémunératrices.


L'enseignement féminin a d'ailleurs trouve désormais, de chauds partisans daus la population musulmane. En 1923, "L'Association des instituteurs" d'origine indigene, formule lé voeu que des écoles de filles soient créées partout ou il existe déjà des école de garçons,


Nos camarades - écrit le Secrétairee général - sont unanimes à déplorer cette lacune regrettable, parce qué l'enseignement primaire des indigènes - déjà insuffisamment distribué aux garçons, restera à peu près sans effet tant qu'il ne sera pas donné au moins partiellement aux filles. Au point, de vue purement dogmatique,, le Coran récotnmande 1' instruction de la femme. Les mœurs indigènes ne s'opposent nullement à. l'enseignement des filles. Les rares musulmanes instruites sont au moins, aussi appréciées et aussi honorées que les autres.., Nous avons donc l'honneur de demander le développement de l'instruction, des filles la réalisation de cette œuvre de haute portée morale, tant pour l'évolution des indigènes que pour l'avenir des idées françaises en Algérie ".


Dans certaines localités on s'ingénie même à trouver des solutions de fortune, à recevoir, par exemple, les fillettes, comme à Tabarourt, dans les écoles de garçons en dehors, des heures de classe normales ou pendant les jours de congé hebdomadaire. Il est incontestable, d'autre part, qu'un changement se produit dans la Conception que beaucoup de parents musulmans se font de l'éducation de leurs filles. En diverses régions, sans cesser d'apprécier hautement l'enseignement ménager et pratique et sans dédaigner l'apprentissage d'ouvrages manuels, ils en viennent à attacher une plus grande importance à l'instruction proprement dite,particulièrement à la connaissance du français. On se préoccupe, depuis 1925, d'arrêter des programmes. pour les filles musulmanes, qui ne seront, toutefois , mis à l'essai qu'en 1934, mais qui donneront alors, un plan d'études précis pour les principales matières " d'éducation intellectuelle ".


1923 - 1939

Parallèlement, dans les écoles de garçons, le, progrès des -études incite à compléter lès programmes de 1898 par un enseignement plus poussé du français écrit et des sciences et, dorénavant, sans modifierr les programmes eux-memes, on recommande aux maîtres de, les adapter aux besoins des élèves. Par l' instruction donnée dans les écoles de français musulmans, on arrive ainsi, progressivement, à se rapprocher de celle que reçoivent les enfants français, tout au moins dans les villes. La distinction tend ainsi à se faire non plus' entre "écoles indigènes " et " écoles europeennes ", mais entre écoles urbaines et écoles rurales...


On note, d'ailleurs, depuis 1923. l'affluence sans cesse plus grande des élèves, là régularité croissante en toutes les classes existantes. L'intérêt porté à l'instruction est tel que les populations musulmanes en maintes localités demandent elles-mémés, par voie de pétitions, l'ouverture de nouvelles écoles ou l'agrandissement des écoles déjà ouvertes, au lieu de laisser comme autrefois, à l'administration l'initiative de çes créatio:ns. Il est naturel, dans ces conditions, que les effectifs grossissent rapidement :

Élèves Classes en
51.040 965 1923
54.150 992 1924
54.851 1.007 1925
57.641 1042 1926
60.683 1.068 1927
60.765 1.108 1928
62.908 1.156 1929
66.637 1.205 1930
71.758 1.280 1931
78.094 1.361 1932
85.998 1.447 1933
87.458 1.501 1934
93.433 1.535 1935
102.816 1.614 1936
106.305 1.681 1937
111.750 1.743 1938


A la veille de la- seconde guerre, mondiale, la population scolaire s'était donc accrue de 63.000 enfants et- le nombre des classes s'était augmenté de 791 depuis 1922 ce qui représente un afflux d'approximativement 4 .000 enfants de plus pour chacune des seize dernières années et une moyenne annuelle de 50 créations de classes nouvelles.


L'ENSEIGNEMENT DES ENFANTS MUSULMANS PENDANT LA 2è GUERRE MONDIALE.

Les événements internationaux, bien que-leur ampleur dut dépasser celle des événements de la période 1914-1918, n'eurent pas, cependant, une répercussion aussi profonde_ sur le développement de l'enseignement des musulmans ; tout d'abord, parce que les mobilisations partielles de 1937 et 1938 avaient fait prévoir le pire: et que l'administration académique avait pu prendre des mesures préventives pour le remplacement immediat de la plupart des, maîtres mQbi1isés ; ensuite, parce que la durée des hostilités, jusqu'à la fin tragique de la campagne de France, fut relativement courte. Aussi les quelques renseignements' statistiques recueillis ne montrent-ils aucun recul de la scolarisation et même une légère augmentation, des effectifs : 114.117 élèves en 1939, 117.155 en 1940 ; augmentation maintenue en 1941 117.586 élèves, mais de façon assez factice par la création des Centres ruraux d'éducation,


LES CENTRES RURAUX D'EDUCATION.

Sous une appellation nouvelle ces centres ne sont guère autre chose que les écoles auxiliaires de1908, et l'expérience quon tente pour la seconde fois est, dès le principe, vouée a l'échec. Les considérations dont elle s'inspire tiennent sans doute le plus grand compte, de faits patents : il est impossible' de ne pas reconnaître que, si, 100.000 enfants musulmans environ fréquentent l'école, 900.000 autres restent à scolariser ; que l'augmentation du recrutement par la création de quelques classes nouvelles correspond tout juste à l'accroissement normal' de la population ; que nombreux sont les douars qui ne possèdent même pas une école: Il est également exact que la diffusion de l'enseignement pose deux problèmes distincts : un problème urbain et un problème rural ,; que, pour les petits citadins, l'école peut, et même doit, être conçue sur Je modèle métropolitain, afin de préparer les enfants, des diverses origines ethniques à une compréhension et une collaboration qui s'imposeront aux uns et aux autres au cours de la vie ultérieure mais que, pour les enfants des campagnes, mélés de bonne heure aux travaux de la ,famille, ce dont ils ont besoin c'est d'une éducation pratique susceptible d'améliorer leur genre de vie coutumier sans les séparer de leur milieu,, Envisager la création simultanée d'écoles urbaines et de centrés ruraux d'éducation est donc, à priori, une idée séduisante mais encore faut-il que l'on ne commence pas par poser en principe que le centre rural sera une institution volontairement modeste, sommairement installée dans un local du type hangar, avec des nattes en lieu et place de tables-bancs ; que la durée de la scolarité sera réduite a trois ans, que l'enseignement sera réduit aux rudiments des connaissances les plus usuelles et qu'il `sera 'confié à des moniteurs non fonctionnaires simplement pourvus, au besoin, du certificat d'études. Ce n'en est pas moins cette formule qui est adoptée lorsque les centres ruraux d'éducation sont créés officiellement par l'arrêté gubernatorial du 18 septembre 1941: " Dans les localités, douars, et tribus, en dehors des écoles primaires élémentaires dont le régime est défini par le décret du 18 octobre 1892, il pourra être créé des centres d'éducation ruraux... Leur programme comprendra des notions très sommaires d'enseignement général et, d'autre part, un enseignement professionnel pratique adapté aux diverses régions. L'enseignenient sera confié, dans chaque centre, à un moniteur auxiliaire. Un contrôle effectif et immédiat sera exercé par le directeur de l'école régionale voisine. " Une circulaire rectorale précisé, du reste, ce qu'on entend exactement par " école régionale " et comment on conçoit le rôle de son directeur : " Il n'est plus possible, aux inspecteurs primaires dé visiter aussi souvent qu'il le faudrait les écoles éloignées, celles oû 1' on envoie d'ordinaire les maitres debutants qui ont le plus besoin de conseils. L'école primaire située au coeur d'une région bien scolarisée sera un centre d'activité pédagegique et de vie administrative. Le directeur, qui devra en avoir la charge, fera évidemment l'objet d'un choix très attentif il aura à remplir une mission délicate, mais pleine d'intérêt, qui s'étendra du contrôle pédagogique des maîtres de la région à la diffusion et à l'application rationnelle et régulière des instructions données de l'inspection et de la commune.. "- C'est, somme toute, le rétablissement du régime de la surveillance des écoles auxiliaires par les directeurs d'écoles- principales qui avait été, instauré sans résultats appréciables, quelque 32 ans antérieurement., il était, peut-êtrë,' exagéré de présenter I'grga nisation soi-disant nouvelle comme un effort original pour " sortir de l'ornière" pour " s'évader résolument du plan classique " et des solutions habituelles.


Cette seconde tentative d'enseignement réduit ne pouvait manquer de heurter les sentiments profonds de, la population musulmane et de rencontrer des résistances locales qui limiterent a environ 40, en un an, les créations de centres, alors que-le programme, prévu en escomptait 300 par année, , pour aboutir, en quarante ans, à la scolarisation totale des enfants des tribus sedentaires dont le nombre était; évalué à 600.000 sur les 900.000 garçons et filles encore non scolarisés


La malencontreuse expérience des centres d'éducation ruraux se voit d'ailleurs arrêtée par un événement devant lequel s'effacent, pour un temps; -toutes les préoccupations pédagogiques : le- debarquement des troupes alliées 'en Afrique du Nord et la rentrée de la' France dans la guerre. --------L'appel sous les drapeaux` des classes mobilisables, l'engagement volontaire de nombreux maîtres entraînent un certain fléchissement de l'effectif scolaire, qui s.'abaisse à :116.257 à la fin de: 1942, 'à 108.805 en 1943 Mais le mouvement ascensionnel reprend dès l'année suivante avec un total de 110.686 enfants, dont 77.963 dans les 2.073 classes, réservées aux musulmans et 32.723 dans les écoles européennes.


LES REFORMES ET L'ENSEIGNEMENT MUSULMAN.

L'année 1944 est d'ailleurs marquée par l'établissement d'un programme général de réformes d'un intérêt primordial pour l'Algérie.' En vertu d'une,' décision du Comité Français de la Libération, en date du11 décembre 1943, stipulant que la politique de la, France à l'égard des français musulmans d'Algérie, devait tendre de façon continue et progressive à élever leurs- conditions politique, sociale. et econornique, " une commission a été constituée pour présenter des propositions concrètes en vue de la solution des problèmes les plus importants, parmi lesquels la diffusion de l'instruction publique dans les populations musulmanes urbaines et rurales ". Cette commission siège de décdmbre'1943 jusqu'en juillet 1944 et, dès janvier, ses préoccupations se portent sur les questions d'enseignement. Les conclusions auxquelles elle aboutit, et qu'elle exprime par la voix de son rapporteur, sont les suivantes


" A l'effort politique actuellement entrepris doit correspondre, dans l'esprit de la décision du Comité Français de la Libération Nationale, un développement intense de l'instruction publique au profit de la population d'origine algérienne.. Le développement de la vie sociale en commun . C'est évidemment sur le plan de l'instruction quel se fera le plus facilement cet effort. Il ne serait pas concevable qu'au titre de citoyen français ne corresponde pas, à la base, une culture française... Le problème qui se pose est de faire passer le nombre des enfants indigènes qui reçoivent une instruction, de 100.000 environ à 1.200.000 chiffre, qui n'a d'ailleurs rien de fixe, car il s'élève tous les ans par suite de l'augmentation de la population musulmane.,".


Il convient, en conséquence, de prévoir la création et la construction de classes à un rythme minimum annuel de 400 ; de recruter en France et en Algérie des maîtres possédant, si possible, le brevet supérieur ou le baccalauréat, mais en-cas de nécessité, le simple brevet élémentaire, premier titre de capacité prévu par la loi de 1881 de recourir, enfin, pendant la période difficile du début, à toutes mesures transitoires utiles dédoublement des classes existantes par instauration de cours successifs dans les mêmes salles aménagement de tous les bâtiments non occupés, rappel au service actif des instituteurs retraités.


PLAN DE SCOLARISATION ADOPTE.

Saisi de ces propositions, - le Gouvernement Provisoire de- la République Française les adopte le 8 octobre; sans y presque rien changer. La modification la plus importante porte sur le nombre des créations annuelles : le Gouvernement estime, en effet que, pour aboutir à une scolarisation plus rapide et plus complète, il convient de " menager une progressivité dans l'etécution du programme " et que,, si l'effort peut être relativement lent pendant les premières années, il peut graduellement devenir plus intense, passer peu à peu de 400 ouvertures de classes à 2.500 par exercice budgétaire. Un décret du 27 novembre 1944 `définit les principes généraux de ce plan de scolarisation. D'autres textes de la même date instituent l'obligation scolaire en Algérie, applicable au fur et à mesure de. la réalisation du programme créent un cadré spécial. d'instituteurs dans lequel peuvent être admis : les candidats pourvus du brevet élémentaire, de la première partie du' baccalauréat ou du diplôme d'études des médersas algériennes confient au Recteur de l'Académie les fonctions de directeur général de l'Education nationale en Algérie et lui adjoignent un vice-recteur spécialement chargé de diriger l'exécution du plan de scolarisation totale de la jeunesse algérienne. -


... ET LE RESULTAT DE SON APPLICATION.

Ce plan entre en vigueur immédiatement et il est, depuis deux ans, en cours d'application. Or, tandis que le Commissariat à l'Education nationale estimait qu'il serait vraisemblablement malaisé d'atteindre dès l'origine le chiffre de 400 créations prévues, qu'il fallait s'attendre à des débuts plus modestes, mais qu'il convenait de maintenir 'le chiffre symbolique de 400 classes pour premières réalisations' annuelles. ", lé nombre des classes nouvelles effectivement ouvertes à la fin de 1946 s'élève à 931, soit un depassement de 131 unités sur les prévisions. Le département d'Alger compte 232 classes de plus qu'en 1944 ; , celui de Constantine 327 ; le département d'Oran 278. L'effectif des élèves est passé de 110.686 à 157.601 ce qui représente une augmentation de 46.915 élèves, et un pourcentage d'accroissement de 43% en deux ans.


RÉALISATIONS DU PLAN DE SCOLARISATION DE 1945 À 1947

voir tableau ci-dessous

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LES DIFFICULTES RENCONTREES

Les promesses faites ont donc été largement tenues, niais, pour ouvrir les classes nouvelles, il a été -évidemment nécessaire pendant, une période. où le manque de matériaux de construction se faisait cruellement sentir d' utiliser les moyens de fortune auxquels la Commission des réformes avait été la première a songer: location des rares immeubles disponibles ; installation de classes dans les gares ou les entrepôts désaffectés, agrandissement ou surélévation d'écoles existantes ; utilisation des mêmes locaux par roulement pour lé fonctionnement alternatif `de deux cours parallèles durant les six jours ouvrables de la semaine.


Toutes les ressources immédiates ou presque ont été désormais utilirées, et l'exécution du- programme de scolarisation serait voué à un regrettable ralentissement si les constructions indispensables étaient plus longtemps différées.


La mise en chantier et l'édification rapide d'écoles neuves est un problème grave; niais c'est, après tout un problème matériel que la bonne volonté: doit pouvoir résoudre. Mais d'autres problèmes aussi sérieux se posent sur le plan pédagogique.


Tout d'abord, il importe de. poursuivre le relèvement du niveau des études qui s'était forcément abaissé de 1939 a 1945, pour tes mêmes raisons que pendant la période de guerre de 19i4 à 1918, c'est-à-dire parce que trop de classes avaient dû être confiées, en l'absence des maitres mobilisés, à des remplaçants ,occasionnels, mais aussi parce que trop d'enfants s'étaient trouves sous-alimentes; mal vêtus, affaiblis et,par conséquent; inattentifs parce qu'enfin, les plus âgés,avaient déserté les classes supérieures pour rechercher -des profits illicites, mais immédiats, dans les tractations louches dit, " marché noir"" . Ces temps. difficiles semblent heureusement révolus, et, dès la fin de l'année scolaire 1945-1946 la répartition des élèves entre les différents cours des écoles primaires tendait -à redevenir normale, comme permettait de le constater le nombre des-,candidats qui se presentaient et étaient admis au certificat d'études - sanction et preuve d'une. scolarité complète.


ORIENTATION DE L'ENSEIGNEMENT FEMININ

La question du développenment de- 'enseignement feminin n 'est pas aussi facile à trancher. Il est vrai que, de 1939 à 1946, le nombre des fillettes musulmanes qui reçoivent une instruction elémentaire est passé de 21.679 à 38.879; qu'au cours des années 1945 et 1946, 330 classes nouvelles leur ont été ouvertes ; mais la disproportion n'en reste pas moins grande entre élèves-filles et elcveg garçon-s 39.000 environ d'une part contre 119.000 de l'autre. Or, nous avons vu graduellement s'affirmer, tant dans la population muiulmane que dans la population française, la conviction "qu'une dissociation socialement dangereuse était en train de s'opérer entre le jeune algérien et sa future compagne" : et ,qu'il Importait de prendre plus rapidement possible les mesures propres à l'éviter. L'évolution musulmane ayant créé le désir nouveau d'amener les enfants des deux sexes a un niveau de culture sensiblement égal, il est devenu essentiel de multiplier les créations d'écoles de filles et d'en aménager les programmes de maniéré à donner aux jeunes arabes ou kabyles - en même temps qu'une experience réelle des choses du Ménage : couture, cuisine, puériculture -assez de connaissances générales pour ne pas en faire les associées inégales de leurs maris, Déjà l'horaire dés cours- a été rationnellement partagé entre' l'eziseigndment théorique, d'enseignemient ménager et familial, et l'enseignement technique (travaux de l'aiguille, repassage, raccommodage, etc: .. )-Par contre, une place beaucoup moins importante est laissée aux' travaux artisanaux et, en fait, les sections spécialisées- ne sont conservées - que , dans les-centres ou une tradition locale intéressante - tissage ou,.broderie'- mérite d'être maintenue et encouragée. -Aucun obstacle sérieux ne restera à surmonter- après la mise en service d'écoles neuves.


ORIENTATION DE L'ENSEIGNEMENT MASCULIN

Les difficultés ne paraissent pas non plus devoir être plus gfaves en ce qui concerne i,'orientation à, donner, dans l'avenir, à l' enseignenient des garçons. Sans doute, a-t-on parfois mené grand bruit autourr de ce qu'on nomme " l'indispensable fusion de l'enseignement européen et de l'enseignement indigène" .Mais le probléme, sous, cette :formé; est- mal posé.. La fusion. que l'on présente comme une innovation,' est, "en effet, depuis plus d'un quart de siècle, en voie de réalisation progressive. Les écoles dites "europeennes " ont, en premier lieu, -toujours été pratiquement ouvertes aux enfants musulmans et des 1880 elles recevaient 2.000 de ces enfants. Les décrets de 1883, de 1888 et de 1892 ont affirmé et: réaffirmé tour à tour que tous les.-éléments de la population étaient- admis dans ces écoles. Les musulmans y tiennent d'ailleurs une place importante, qui, chaque année, va s'agrandissant, Ils constituaient en 1926 11,4% de l'effectif( 13.125 éleves sur 114.701), 18,6% en 1936 (31.390 sur 166.301); 25,5% en 1946 (41.976 sur 164.106).Mais si, dans les agglomérations urbaines, bon nombre d'entre eux peuvent entrer de _plain-pied dans les classes européennes, en raison de la culture françaisee qu'ont déjà acquise leurs parents et de leur connaissance préalable de notre vocabulaire, il en est d'antres pour qui notre langue est, totalement inconnue avant leur séjour à l'école du fait de la scolarisation insuffisante des générations antérieures. Pour ceux-ci, il faut provisoirement maintenir les classes, dites d'initiation, les exercices spéciaux de langage. Ce stade de début franchi, les programmes sont, toutefois, des'aujdurd'hui identiques pour tous les jeunes citadins dans tous les établissements primaires et, la sanction des études est devenue la même depuis la suppression,en 1942, du certificat d'études spécial aux indigènes. De plus... par la force des choses, si le plan de scolarisation est réalisé dans le délai de vingt ans prévu par le législateur, les élèves qui fréquenteront lés écoles à la fin de la seconde moitié: du siècle; seront les fils des musulmans déjà instruits dans nos, classes et ils auront suffisamment entendu parler notre langue dans leur milieu familial pour se trouver à même de commencer leur scolarisation exactement dans les mêmes'conditiorns que les: jeunes français. La " fusion " aura' alors un sens réel corrolaire logique de l'obligation scolaire - elle_ sera devenue générale en- même temps ,qu'effective. Les derniers vestiges de la dualité d'enseignement, auront graduellement disparu, partout du moins où cette dualité peut disparaître, c'est-à-dire dans: les villes ou le droit à une education égale et_ commune découle du devoir de coopération des divers éléments ethniques.


Il serait par contre, prématuré, regrettable et nuisible à l'intérêt même des élèves de renoncer, dans les douars, à des méthodes pédagogiques essentiellement distinctes qui se sont' révélées' à tous points de vue efficaces. Toutes les, différences autrefois établies entre, 'ecoles principales, écoles primaires ordinaires, écoles préparatoires, se sont graduellefnent effacées ; mais une discrimination beaucoup plus legitime, s'est faite entre les écoles urbaines ou se coudoient les enfants de toutes les races, et les écoles rurales, dont, les jeunes musulmans forment à peu près seuls, -la clientèle scolaire Dans' leur cas, parce qu'ils n'ont de rapport dans la vie courante, qu'en classe avec leur maître ou avec de rares colons installés dans les fermes voisines, il est nécessaire que l'enseignement du français soit analogue à l'enseignement de toute langue étrangère et qu'on y emploie' les -: procédés actifs et-sensoriels en usage dans nos établissements scolaires métropolitains quan d 'il s'agit de l'italien, de l'espagnol et de l anglais. D'autre' part, le mode d'existence traditionnel dü milieu s'est' assez peu modifié en `quelque cent :ans, la population reste attachée à la culture et à l'élevage ; elle témoigne de son désir, de, revoir, dans les classes primaires, une initiation 'aussi complète que possible aux travaux agricoles et ,aux travaux manuels qui s'y rattachent : elle- recherche enfin, les. moyens de cotnpléter ces connaissances pratiques après la scolarité noiifiale, et ceci explique le succes croissant des cours complémentaires d'enseignément professionnel dont le nombre se multiplie chaque année. Les programmes de' l`éducation rurale doivent donc résolument rester différents des- programmes des écoles des centres urbains, et les instituteurs des agglomerations reculées devront longtemps encore jouer ce rôle de Maître-Jacques, dans lequel ils ont si souvent excellé.

Instituteurs du bled ou instituteurs des villes ils le sont d'ailleurs successivement, à différents moments de leur carrière et, en quelque point que ce soit la tâche qu'ils remplissent n'en est pas moins efficace,-aussi efficace qu'elle est patiente et obstinée. Ils sont bien les dignes successeurs des maitres qui ont créé les premières écoles en pays arabe ou kabyle et qui ont consacré leur vie entière à l'enseignement des nusulmans d'Algérie. Aussi serait-il injuste de terminer l'historique sommaire de cet enseignement sans rendre hommage à l'oeuvre souvent obscure, toujours utile, qu'ils accomplissent; et sans affirmer que leur dévouement et leur conscience professionnelle sont encore les meilleurs et les plus sûrs garants du succès du programme de scolarisation totale.

M.- CHEFFAUD, Vice-Recteur l'Université d'Alger.

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