Discussion:Oued Mellah - fleuve

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L'approche de terrain

En octobre 1963, je me suis vu confier un poste de professeur de Sciences Naturelles au Lycée Moulay Abdallah, à Casablanca et l'étude de la végétation ligneuse de la vallée de l'oued Mellah. Puis, en octobre 1965, j'ai été muté, à ma demande, au Collège de Kénitra (es Port-lyautey). Deux ans de parcours intensif de la vallée de cet oued m'avaient apporté suffisamment de données pour commencer à rédiger mon travail et me rendre régulièrement à Rabat à l'Institut Scientifique Chérifien et à l'INRA pour faire mettre à jour mes cartes de terrain par des dessinateurs professionnels.

En octobre 1964, à un détour de la route Tit-Mellil à Sidi-Larbi, je suis tombé sur deux de mes élèves de 5e du Lycée Moulay-Aballah. Stupeur, ces garçons dont j'ai perdu la trace et oublié le nom habitaient tout près et connaissaient la vallée comme leur poche. Jamais je n'ai eu meilleur guide ni meilleurs ambassadeurs dans les villages que nous avons visité ensemble, où toutes les portes se sont ouvertes : la fierté de m'aider mais aussi l'absolue discrétion au lycée où ma dernière année a vu des élèves attentifs et fiers de leur prof. J'ai pu camper en toute sécurité près des villages.

Ces garçons faisaient plus de 20 km en vélo pour aller au lycée, habitaient comme ils pouvaient à Casablance en semaine et étaient fidèles au rendez-vous du samedi après-midi ou du dimanche matin. Quand j'étais empêché de changer les papiers de mes enregistreurs à la station du barrage et de mesure la hauteur d'eau du bac Colorado, ils le faisaient pour moi.

Je me suis marié le 5 avril 1965 à Casablanca. Or, des évênements sanglants avaient au lieu; Je cite:

Le 21 mars, les lycéens défilent dans les rues de Casablanca, brisant les vitrines, brûlant des voitures et des bus. Le 22 mars, au second jour des affrontements, les élèves se mettent en grève. Les ouvriers et les jeunes chômeurs prennent le relais des lycéens. Les bureaux sont pillés et détruits. Fès et Rabat imitent Casablanca.
Tout cela n’est rien à côté de ce qui va se produire le lendemain. Le renvoi des lycéens de 17 ans et leur orientation obligatoire vers l’enseignement technique fait sauter la soupape de la colère. Le mardi 23 mars, c’est tout le peuple casablancais qui déferle.
Les lycéens descendent dans la rue. Ils défilent d’abord en bon ordre, criant des slogans tels que "on ne veut pas que les pauvres s’instruisent !". Des vitrines de magasins de luxe volent en éclats. La police intervient et la manifestation tourne à l’émeute. En fin d’après-midi, le peuple des bidonvilles rejoint les lycéens. Casablanca est sens dessus-dessous. Des barricades sont dressées. Les parents sont sortis dans la rue demander la libération de leurs fils incarcérés, les chômeurs pour réclamer du travail, les étudiants des bourses et d’autres crient simplement leur colère. Des combats de rues opposent manifestants et forces de l’ordre. L’événement se transforme en séisme quand la contagion gagne Settat, Khouribga, Meknès et Kénitra.
L’enseignant chercheur, Mohammed El Ayadi, alors lycéen, est descendu manifester dans l’ancienne médina de Rabat avec déjà une conscience politique aiguë : "Pour moi comme pour la majorité de mes semblables, écrit-il, il s’agissait essentiellement du premier pas vers la voie de la socialisation politique qui s’était faite d’abord dans la rue de manière très spontanée avant de prendre des formes plus conscientes et organisées en particulier à l’université en 1968". Casablanca en état de siège
(Par Abdeslam Kadiri, Casablanca 1965

La fin de l'année scolaire a éloigné bien des élèves du lycée, certains ont disparu. Je n'ai plus revu mes deux garçons et me suis éloigné de la vallée de l'Oued Mellah.