BLANDAN Fait d'armes
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BLANDAN Fait d'armes
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Onze avril 1842, six heures du matin. Comme chaque jour, un détachement de soldats quitte le camp d'Erlon à Boufarik pour porter le courrier à la redoute de Beni-Mered. Le pays n'est pas sûr, des goums de partisans guettent l'Européen. Les gens du Khalifa de l'est, Ahmed-ben-eth-Thaiyeb-ben-Salem, des cavaliers hadjouth sillonnent sans cesse la Mitidja, prêts à accomplir leur oeuvre de mort. Nous sommes encore aux temps héroïques de l'installation française en Algérie. L'on ne peut se risquer en rase campagne sans être en nombre et armé jusqu'aux dents. Aussi, le service de la correspondance entre les postes se fait-il par détachements. Et la petite troupe qui quitte Boufarik le 11 avril 1842, escorte le courrier jusqu'à Beni-Mered, redoute en terre avec blockhaus, située à huit ou neuf kilomètres de là.
Ils sont seize jeunes conscrits du 26e de ligne, ayant à peine quelques mois d'école, un brigadier, deux cavaliers du 4e chasseurs d'Afrique. Un chirurgien, le sous-aide major Ducros, rentrant de congé, s'est joint à eux pour regagner son poste à Mered. Le sergent Blandan commande ce détachement de vingt hommes. Avant le départ il a scrupuleusement examiné la plaine au télescope. Elle semble déserte et calme: pas un seul maraudeur en vue, une quiétude singulière règne sur la plaine aride. La troupe se moque des précautions prises par le chef et devise gaiement. Au bout d'une heure de marche elle atteint la Châbet-elMechdoufa à deux kilomètres de Boufarik, et s'apprête à descendre dans le lit desséché de ce ravin -aujourd'hui presque comblé quand, tout à coup, le brigadier Villars et ses deux chasseurs, qui marchent à une centaine de mètres en avant, se replient précipitamment sur le détachement, et lui signalent la présence, dans le ravin, de nombreux cavaliers ennemis, qui ont mis pied à terre, dans les lauriers roses, afin de ne pas signaler leur présence. Instant pathétique ! les fantassins de Blandan ne se font pas d'illusion sur l'inégalité du combat qui va s'engager. Ils se défendent jusqu'à la mort. Ils n'ont chacun que vingt cartouches, seuls les trois cavaliers auraient pu aisément faire demi-tour et regagner rapidement Boufarik. Villars dit alors à Blandan : «Soyez tranquille, puisqu'il y a du danger, nous le partagerons avec vous», paroles simples mais qui traduisent le sentiment élevé du devoir des pionniers de l'Empire. Déjà deux cent cinquante à trois cents cavaliers arabes, poussant leur cri de guerre, surgissent du ravin. II y a là des coureurs du Khalifa du Sebaou, Ahmed-ben-eth-Thayeb, des cavaliers de Hadjouth: Brahim-benKhouiled, Mostafa-ben-Smaïn et Djilaï-benDououad qui en est le chef, sont vêtus du burnous rouge de l'émir El-hadj-abd-el-Kader. L'un d'eux quitte ses compagnons pour s'approcher du détachement français et s'adressant à son chef, facilement reconnaissable à son galon et à ses trois chevrons, lui déclare «Rends-toi nous ne te ferons pas de mal». L'on sait ce que de tels propos signifiaient; aussi, Blandan ajuste-t-il le cavalier arabe et tire : «C'est ainsi que se rend un français», dit-il, tandis que le spahi tombe inerte entre les jambes de son cheval. L'intrépide sergent exhorte ses hommes au combat. «A présent, camarades, affirme-t-il, il ne s'agit plus que de montrer à ces gens-là comment des français savent se défendre..., surtout ne nous pressons pas et visons juste!». Mais déjà l'ennemi attaque, ses cris de guerre retentissent étrangement dans la vaste plaine. Les cavaliers arabes, dont le nombre s'accroît sans cesse, enveloppent notre détachement. Ils le criblent de balles et tournoient autour de lui comme une volée de vautours. A la première décharge ennemie, deux de nos hommes tombent, frappés à mort, cinq sont blessés, un tiers du détachement est donc hors de combat. Mais ils sont déjà vengés. II n'y a pas une de nos balles qui n'ait atteint son but. Les conscrits de Blandan tirent bien. Mais ils doivent maintenant lutter à un contre vingt. «Serrez les rangs», s'écrie le sergent, déjà frappé de deux balles. II est encore debout, superbe de courage et d'audace. Brullant ses dernières cartouches avec un sang-froid de vieux soldat. Soudain une troisième balle l'atteint à l'abdomen. Le sergent s'affaisse aux pieds de ceux de ses intrépides compagnons que le feu a épargnés. Rassemblant ce qui lui reste de force et raffermissant sa voix, le brave sergent s'écrie « Courage, mes amis Défendez-vous jusqu'à la mort ». Ce mot admirable appartient maintenant à la légende. Le combat continue, acharné. Cinq hommes, debout parmi les cadavres, luttent farouchement. Soudain le grondement du canon de Boufarik se fait entendre, dominant le bruit du combat. Une sourde rumeur se précise peu à peu. L'Arabe, inquiet, guette l'horizon. Certains partisans s'enfuient. Tout à coup, une troupe nombreuse de cavaliers français s'avance dans un nuage de poussière et de sable .Ce sont les hommes du lieutenant de Jouslard, alertés par un guetteur du camp d'Erlon. Puis surviennent des chasseurs d'Afrique, conduits par le sous-lieutenant de Breteuil. A leur arrivée, les Arabes s'enfuient; cinq de nos hommes ont échappé miraculeusement à la mort: les fusiliers Bire, Girard, Estal, Marchand, le chasseur Lemercier; neuf sont blessés: le sous-aide major Ducros, le brigadier de chasseurs Villars, les fusiliers Leclair, Beald, Zauher, Kamachar, père, Laurent, Michel ; sept sont tués ou blessés mortellement, les fusiliers Giraud, Elie, Leconte, Bourrier, Lharicon, le chasseur Ducasse et le sergent Blandan. Ce dernier respire difficilement. II est emmené avec ses camarades de combat à l'hôpital de Boufarik. Le lieutenant-colonel Morris, commandant supérieur de la place, vient au chevet des blessés. II félicite Blandan et ses compagnons et leur prodigue des paroles de réconfort. Pourtant Blandan s'affaiblit d'heure en heure. Tous les soins qui lui sont prodigués n'arrivent point à le ranimer. II expire le 12 avril, à deux heures du matin. II est inhumé le lendemain, 13 avril, avec six de ses camarades au cimetière du camp d'Erlon. Toute la population de Boufarik assiste à cette cérémonie d'une simplicité impressionnante. Sur la tombe ouverte, le lieutenant-colonel Morris, vieux soldat nord-africain, s'écriait avec émotion : « J'envie ton sort, Blandan, car je ne sais point de plus noble et de plus désirable mort que celle du champ d'honneur ! ». L'acte héroïque de Blandan et de ses compagnons n'a pas été oublié. Et si, trop souvent, le héros obscur est délaissé par la postérité, le petit sergent français a été l'objet d'un véritable culte de la part de la population de Boufarik, « verte émeraude de la Mitidja ». Le courage de Blandan fut cité en exemple par le général Bugeaud dans des ordres du jour à l'armée d'Afrique, demeurés célèbres. (Ordres généraux du 14 avri11842,du 17avril 1842, du 6 juillet 1842). L'illustre pionnier de notre Empire africain déclarait: «L'armée et les citoyens conserveront longtemps le souvenir de l'action héroïque des vingt braves commandés par le sergent Blandan qui, le 11 avril dernier, entre Mered et Boufarik, préférèrent mourir que capituler devant une multitude d'Arabes. L'enthousiasme que produisit cette grande action est encore dans toute sa force et bien loin d'être éteint. Je ne veux pas chercher à le raviver davantage, mais il ne suffit pas de l'admiration des contemporains, il faut encore la faire partager aux générations futures : elle multipliera les exemples des hommes qui préfèrent une mort glorieuse à l'humiliation du drapeau de la France». Et Bugeaud proposait d'ériger un monument à la mémoire des héros de l'affaire d'El-Mechdoufa. Ce projet ne fut pas immédiatement réalisé. C'est seulement en 1886 qu'un vieux colonial, le colonel Trumelet, proposa au Conseil municipal de Boufarik de mettre au concours le projet du monument. L'idée rencontra dans tous les milieux une approbation active. Sur cette terre désormais française, il n'était indigène ni colon qui put demeurer indifférent au souvenir d'un combattant légendaire, d'un des ouvriers qui au prix de leur sang firent la merveilleuse Algérie d'aujourd'hui. Blandan, c'est le citoyen-soldat, l'ouvrier anonyme que les circonstances élèvent au-dessus de lui-même et égalent aux plus grands. Lorsqu'en 1886 l'on ouvrit une souscription pour son monument, chaque soldat de France apporta son obole. « II faut, écrivait La France militaire - dans ce style de l'époque dont l'emphase bourgeoise ne doit pas nous faire oublier la permanence des grandes ambitions chez les dirigeants de la France et des plus vigoureuses vertus populaires rendre le bronze accessible à tous les degrés de la hiérarchie militaire ». À Lyon, où notre héros naquit, 13, rue de la Cage (aujourd'hui rue Constantine), un monument a été élevé. Le 26e régiment d'infanterie célébrait autrefois chaque année sa mémoire avec solennité, le 12 avril. L'ordre du jour du général Bugeaud était transcrit sur le livre du régiment. Le colonel au cours d'une revue faisait l'appel de l'ancienne compagnie de Blandan. Lorsque son nom était prononcé, le capitaine répondait: « Mort au champ d'honneur ». Ainsi, à côté des grands qui ont consacré leur vie ou versé leur sang pour la cause africaine à côté des princes d'Orléans, des Bugeaud, des Clauzel, des Rovigo, des Changarnier, des Canrobert, des Mac-Mahon, il y a aussi le Français obscur qui n'en a pas moins fait son devoir et enrichi le patrimoine de gloire qui reste un des titres impérissables de la France au respect et à la sympathie du monde. Publications du Centre d'Etudes de l'Agence Inter-France - 1942 |