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Au IVème siècle avant J.C. Ikosim est fondée par les Phéniciens à l'emplacement de ce qui deviendra Alger. | |||
Dans l’antiquité on désigne par le nom de la ville, la cité elle-même mais aussi tous les territoires sous son influence. Au premier rang des zones sous contrôle de Carthage on trouve évidemment des terres d’Afrique du Nord. | Dans l’antiquité on désigne par le nom de la ville, la cité elle-même mais aussi tous les territoires sous son influence. Au premier rang des zones sous contrôle de Carthage on trouve évidemment des terres d’Afrique du Nord. | ||
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«'''Les Puniques inventèrent le commerce'''» écrit l'historien romain Pline l'Ancien. | « '''Les Puniques inventèrent le commerce''' » écrit l'historien romain Pline l'Ancien. | ||
Ce fut surtout au commerce que Carthage dut sa fortune. Elle y consacra tous ses efforts depuis ses début, et jusqu’à sa fin. Son essor et les circonstances ont fait surgir par la suite de nouveaux axes de développement économiques pour la Cité. | Ce fut surtout au commerce que Carthage dut sa fortune. Elle y consacra tous ses efforts depuis ses début, et jusqu’à sa fin. Son essor et les circonstances ont fait surgir par la suite de nouveaux axes de développement économiques pour la Cité. | ||
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Le commerce carthaginois a d’abord été principalement orienté vers le transport et le négoce de matières premières dont les cousins phéniciens avaient jeté les fondements, par exemple en ouvrant avec Chypre une route du cuivre ou en organisant l’exportation des bois de cèdre entre le Liban et l’empire égyptien. | Le commerce carthaginois a d’abord été principalement orienté vers le transport et le négoce de matières premières dont les cousins phéniciens avaient jeté les fondements, par exemple en ouvrant avec Chypre une route du cuivre ou en organisant l’exportation des bois de cèdre entre le Liban et l’empire égyptien. | ||
Carthage contrôla durablement, avec peu de partage, la route maritime de l’étain provenant de Cornouaille, et de Galice, s'adjugeant le quasi monopole du commerce dans le bassin occidental de la Méditerranée , pour ce métal | Carthage contrôla durablement, avec peu de partage, la route maritime de l’étain provenant de Cornouaille, et de Galice, s'adjugeant le quasi monopole du commerce dans le bassin occidental de la Méditerranée, pour ce métal stratégique - allié au cuivre il donne le bronze, et le bronze façonne les armes - monopole que détenaient les gaulois et les grecs grâce à une route terrestre aboutissant à Massalia (Marseille). | ||
Le contrôle exercé par les barcides sur les mines argentifères de Tartessos (Andalousie) permit à Carthage de mieux rebondir après la 1<sup>re</sup> guerre punique et à Hannibal d’autofinancer son expédition jusqu’aux Alpes (à noter le coup de génie de Scipion qui en s’emparant des ces ressources financières, alors que nul ne s’y attendait, commença à asphyxier progressivement Hannibal et Carthage) | Le contrôle exercé par les barcides sur les mines argentifères de Tartessos (Andalousie) permit à Carthage de mieux rebondir après la 1<sup>re</sup> guerre punique et à Hannibal d’autofinancer son expédition jusqu’aux Alpes (à noter le coup de génie de Scipion qui en s’emparant des ces ressources financières, alors que nul ne s’y attendait, commença à asphyxier progressivement Hannibal et Carthage) |
Dernière version du 23 décembre 2010 à 01:24
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de 814 à 146 avant J.C. environ sept siècles
La reine Elyssa (Didon pour les Romains), d’après la légende rapportée par le poète Virgile, quitte Tyr après que son frère eut assassiné son époux. Avec sa sœur, Anna, et quelques amis elle débarque en 814 av. J.-C. sur les côtes d’Afrique du Nord non sans avoir, auparavant, fait escale à Chypre où elle embarque de nombreuses « vierges ». La tradition chypriote est parfaitement visible dans les manifestations artistiques de cette nouvelle colonie.
Le roi de ce pays lui accorde le terrain que « peut couvrir une peau de buffle ». Didon découpe la peau en lanières et englobe un terrain assez étendu pour y construire une citadelle : Byrsa (qui veut dire peau).
En fait Kart hadasht, la ville nouvelle, n’est pas le premier comptoir phénicien sur les côtes de l’actuelle Tunisie. Utique l’avait précédée.
Au IVème siècle avant J.C. Ikosim est fondée par les Phéniciens à l'emplacement de ce qui deviendra Alger.
Dans l’antiquité on désigne par le nom de la ville, la cité elle-même mais aussi tous les territoires sous son influence. Au premier rang des zones sous contrôle de Carthage on trouve évidemment des terres d’Afrique du Nord.
Les Phéniciens
Terme grec générique il englobait tous les peuples qui vivaient sur les territoires du Liban et de la Syrie du nord actuels. Dans la Bible on parle plutôt des habitants du pays de Canaan.
Il s’agissait en fait de petits états maritimes indépendants parmi lesquels l’Histoire n’a retenu que les plus puissants : Tyr et Sidon.
Les langues de ces peuples étaient voisines mais très différentes des langues indo-européennes (grec, latin …) Parmi ces langues sémitiques on compte outre le phénicien, l’hébreu, l’araméen, l’arabe, l’ougaritique, le moabite, l’édomite … Le punique n’étant qu’un dialecte, celui de Carthage.
A Phéniciens on préfère, aujourd’hui, le terme de Sémites de l’ouest groupe différent des Sémites de Mésopotamie (Irak).
Ce sont les Phéniciens qui vont enseigner aux Grecs le commerce, la monnaie, les notions de capital et d’intérêt et surtout l’écriture. Ils leur ont légué leur alphabet : l'alphabet phénicien .
Les marins grecs finiront par supplanter leurs homologues phéniciens, les cités phéniciennes sont en effet aux mains des rois Mésopotamiens, Babyloniens, Perses.
Mais ils devront alors compter avec les Sémites de Carthage.
Le site
Carthage n’est pas un comptoir comme les autres. Ces derniers se contentaient en général de petites anses rocheuses propices à l'amarrage des navires et appelées cothons. Le site de la « nouvelle ville » est d’emblée choisi pour faire de Carthage une grande métropole, sans doute le relais de Tyr pour la Méditerranée occidentale, capable d’apporter aide et protection aux comptoirs de sa région. Protégé par la mer et une lagune, le site permet la construction d’une place forte et autorise l’existence de faubourgs vivriers relativement aisés à défendre.
La vision des puniques du site de leur propre ville est très parlante sur ce plan conservé au musée de la ville.
La Medjerda, fleuve puissant, ensable progressivement le golfe de Tunis. Sa plaine deltaïque occupe la place du sinus uticensis, la baie d’Utique. Les ruines de cette cité, port aux époques puniques et romaines, se trouvent, aujourd’hui à plus de 10 Km de la côte.
Des recherches récentes utilisant l’abondante littérature et l’imagerie satellitaire maintenant disponible, montrent la migration progressive du fleuve vers le Nord.
A l’époque punique, la Medjerda coulait à proximité immédiate du Djebel Ahmar, chaîne de collines qui ferme l’isthme de Carthage. L’épisode de la guerre des mercenaires, montrant Amilcar contournant la dite chaîne tenue par les révoltés en profitant du gué occasionnel créé, à l’embouchure, par les vents d’Est, en est une preuve tangible. (L’embouchure actuelle, plus au Nord, ayant une configuration comparable, ce phénomène peut être observé de nos jours)
Progressivement le lit se déplace, passe entre Utique et le promontoire de Galaat El Andalouss. La présence des ruines d’un pont romain oblige à concevoir plusieurs bras importants du fleuve, l’un d’entre eux, à l’époque romaine, passe donc près d’Utique.
A l’époque moderne, la Medjerda viendra buter sur le Djebel NADOR au nord et se jettera à proximité de Porto Farina (Mers el Melh) où son embouchure est encore très visible. Un accident dû à la crue centennale de 1973 détournera le fleuve dans un canal ramenant ainsi vers le sud son embouchure.
Cette grande plaine limitée donc par au Nord le Djebel Nador, au Sud le Djebel Ahmar et à l’Ouest le Djebel Rhoul a été comblée en deux périodes. Le Sud très tôt avant la période historique, le Nord beaucoup plus tard Utique restant un port au moins jusqu’au IIIe siècle.
En effet, si on en croit Tite Live rapportant l’expédition de Scipion : « d’un côté où la ville est bordé par la mer », le Sud d’Utique est déjà comblé ainsi que le passage vers le Galaat el Andalouss, faisant de ce dernier une presqu’île.
Représentation supposée du sinus uticensis à l’époque punique.
L’essor de Carthage
Comptoir phénicien, Carthage paye un tribut à Tyr, la cité tutélaire. Puis avec le déclin des Phéniciens devant les Grecs, elle acquiert progressivement son indépendance et, à son tour, crée des comptoirs vers l’ouest et le nord.
Mais sur la côte africaine de la Méditerranée de nombreux récifs et des hauts-fonds rendent la navigation très difficile. Les plus téméraires évitent de naviguer la nuit. La nécessité d’attendre le jour explique en partie la création de petits ports le long de la côte, tous les 30 à 40 Km, distance équivalent à une journée de navigation.
Ainsi furent fondés les fameux comptoirs phéniciens, qui jouèrent un rôle important dans le commerce et dans les échanges pendant l'Antiquité et au-delà. D'est en ouest, la côte algérienne abritait des comptoirs qui sont devenus : Annaba, Skikda, Collo, Jijel, Bejaïa, Dellys, Alger, Tipaza, Cherchell, Tènes, Bettioua, Ghazaouet ... comptoirs qui seront plus tard les assises des villes puniques, numides et romaines.
Carthage étend ensuite son influence sur les peuples de l’intérieur par le truchement du commerce. Des villes apparaissent, l’influence de Carthage y est incontestable.
Un siècle et demi après la fondation de la ville, les Carthaginois s'installent aux Baléares, puis, alliés aux Étrusques, dominent la Sicile, prennent pied en Sardaigne, et repoussent les Grecs de Corse.
Ville la plus riche du monde Carthage domina toute la méditerranée occidentale jusqu’au IIIème siècle avant J.-C. A l'aube de la première guerre punique, Carthage contrôlait en Afrique du nord un territoire d'environ 73 000 Km² et une population de 3 à 4 millions de personnes
Les institutions
Les émigrants de Carthage et leurs descendants se sont mariés librement avec les membres prééminents des populations indigènes.
Carthage a orienté ses institutions dans une direction tendant à une pratique démocratique, trouvant sa limite dans l’oligarchie dont l’exercice du pouvoir débordait parfois le cadre institutionnel, ainsi qu’il arrive en période de crise. Il semble que les carthaginois aient eu une réelle aversion contre toute idée de concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne. On a le sentiment que leur fameuse constitution a voulu les prémunir contre toute confiscation du pouvoir au bénéfice d’un seul. le peu de soutien recueilli par Hannibal pourrait s'expliquer ainsi. Les carthaginois ont organisé l’exercice collégial du pouvoir, instaurant des contrôles mutuels, confiant occasionnellement la tâche exécutive, aussi bien militaire que commerciale ou diplomatique, à une ‘commandite’ choisie et contrôlée par cette collégialité. La personne investie de la responsabilité d’une mission comportant un objectif aux contours bien circonscrits, agissait déjà selon un modèle de type contractuel, borné dans le temps et l’espace, disposant de moyens comptés et définis à l’avance.
Tandis que la Rome républicaine envisageait plutôt la séparation entre l’armée et la citée afin de soustraire la Ville à toute mainmise de l’armée. Rome avait ainsi imposé à ses troupes, entre autre le principe de l’interdiction de franchissement de ses mur sauf, exception notable, lors de triomphe de l’imperator. Certains auteurs modernes y voient là un élément moteur décisif de l’intervention romaine contre Carthage, puis de son expansion impériale, le chef de guerre à la recherche du triomphe devait se procurer des victoires. De plus il fallait bien conquérir de nouvelles terres afin de rétribuer les légionnaires. Lorsqu’au 1er siècle ap. J.-C. lors des guerres civiles, Marius, rompant avec cet usage, instaura le règlement direct de la solde, sous l’autorité de l’imperator, aux citoyens pauvres nouvellement enrôlés, les liens unissant le chef et sa troupe se trouvèrent fortement renforcés&bnsp: la république annonçait l’empire et la fin de la fonction purement militaire de l’imperator.
Mais Carthage n'a pas été tant vertueuse : La politique carthaginoise envers les tribus nomades, plus pauvres, était beaucoup plus brutale et régulièrement Carthage faisait face à des révoltes.
Le système politique
Son fonctionnement réel demeure très difficile à appréhender Au voile obscur jeté par le parti pris des auteurs pro-romain, s’ajoutent les fluctuations normales de l’histoire : Carthage, après sa fondation par Elissa, aurait vécu ses débuts comme une monarchie régie par les magonides
Aristote et Polybe commentent en termes élogieux le portrait rapporté de la constitution carthaginoise. Carthage est vite devenue une république dont les institutions semblent marquées par une pratique démocratique et répétée, (certains auteurs y voient l’incapacité du pouvoir de Carthage à dégager un ligne de conduite décisive et cohérente lors de conflits armés).
Les Suffètes, les membres du conseil et du sénat ainsi que les généraux sont élus par l'ensemble des citoyens.
Les deux Suffètes ne prenaient pas part aux affaires militaires, ils étaient chargés d'exécuter les décisions du conseil des trente formant un sous-comité du sénat qui comprenait 300 personnes. Dans les faits, le gouvernement est accaparé en quasi permanence par les principales familles de marchands. C'est une oligarchie comme plus tard Venise ou Florence Les oligarques s’arrogèrent parfois des pouvoirs normalement dévolus aux assemblées du peuple.
L'autorité judiciaire était assurée par un conseil de 104 juges choisis parmi les membres du sénat. Les juges surveillaient les personnes en charge des affaires publiques et tentaient de prévenir toute tentative de tyrannie de la part des suffètes.
Néanmoins il semble bien que le cantonnement à un domaine précis des compétences de chacune des entités politiques, ait parfois débouché sur une authentique attitude démocratique.
Si l’incessant débat démocratique peut être considéré parfois comme une entrave probable à l’action en période de conflit, l’esprit démocratique semble bien avoir en revanche marqué et épaulé la diplomatie réputée active et efficace de Carthage, (Hannibal promettant aux gaulois cisalpin la fin du tribut versé à Rome s’est fait autant d’alliés qui l’ont appuyé en Italie, et autant d’ennemis de moins à combattre).
A l'origine, les carthaginois servaient dans l'armée, mais au troisième siècle, ils en furent exemptés afin de préserver et servir les intérêts commerciaux et industriels vitaux de la cité.
L’économie
« Les Puniques inventèrent le commerce » écrit l'historien romain Pline l'Ancien.
Ce fut surtout au commerce que Carthage dut sa fortune. Elle y consacra tous ses efforts depuis ses début, et jusqu’à sa fin. Son essor et les circonstances ont fait surgir par la suite de nouveaux axes de développement économiques pour la Cité.
Le commerce carthaginois a d’abord été principalement orienté vers le transport et le négoce de matières premières dont les cousins phéniciens avaient jeté les fondements, par exemple en ouvrant avec Chypre une route du cuivre ou en organisant l’exportation des bois de cèdre entre le Liban et l’empire égyptien.
Carthage contrôla durablement, avec peu de partage, la route maritime de l’étain provenant de Cornouaille, et de Galice, s'adjugeant le quasi monopole du commerce dans le bassin occidental de la Méditerranée, pour ce métal stratégique - allié au cuivre il donne le bronze, et le bronze façonne les armes - monopole que détenaient les gaulois et les grecs grâce à une route terrestre aboutissant à Massalia (Marseille).
Le contrôle exercé par les barcides sur les mines argentifères de Tartessos (Andalousie) permit à Carthage de mieux rebondir après la 1re guerre punique et à Hannibal d’autofinancer son expédition jusqu’aux Alpes (à noter le coup de génie de Scipion qui en s’emparant des ces ressources financières, alors que nul ne s’y attendait, commença à asphyxier progressivement Hannibal et Carthage)
L'Histoire garde le souvenir du prodigieux voyage du suffète Hannon, qui longea les côtes africaines avec une flotte de nombreux navires et un total de 30 000 hommes. Il atteignit le golfe de Guinée avant de regagner la mère patrie. Ces missions d’exploration ouvraient de nouveaux comptoirs destinés à appuyer les approvisionnements et élargir les échanges. Le commerce de Carthage avec les contrées lointaines lui permettait de jouer un rôle clef dans le trafic de matières précieuses telles l’ivoire ou l’or.
Le besoin de multiplier, de contrôler les échanges, ou encore la nécessité de créer de nouvelles richesses afin de couvrir l’étendue des charges induites par l’effort militaire (entretien permanent d’une marine de guerre), l’obligation de s’acquitter des lourds tributs imposés à Carthage lors de chacune de ses défaites, voire le service d’emprunts contractés auprès de Pharaon, amenèrent en partie par force le développent et la diversification d’un industrieux artisanat, ainsi que l’émergence d’une nouvelle vocation agricole.
La production de céramiques puniques pris de l’importance au point de faire reculer celle des ateliers attiques, bien que cette dernière fut souvent plus fine et de meilleure qualité. Quant aux produits des verreries, ils inondaient Alexandrie ; les colliers aux perles de pâte de verre irisées et chamarrées servaient déjà de moyen de troc avec les populations moins avancées d’Afrique. Enfin les travaux d’orfèvrerie révèlent une parfaite maîtrise des techniques au travers de pièces d’excellente facture.
Le matériel funéraire extrait des tombes, témoignage le plus parlant, atteste du savoir faire artisanal très avancé de Carthage : il faut d’ailleurs imaginer entre la zone portuaire de Salammbô et le pied de la citadelle Byrsa tout un monde d’échoppes artisanales bourdonnantes, dédiées à ces activités, retentissantes de rumeurs variées, au son de langues multiples originaires des divers horizons de l’empire maritime de Carthage, un peu comme un souk ou un bazar, plus tard et ailleurs.
L’entretien d’une flotte militaire et marchande, nécessaires l’une et l’autre à l’expansion harmonieuse du commerce, ont provoqué un appel d’air faisant surgir à Carthage des ateliers de construction navale aux compétences élevées et ayant acquis dans le monde antique une renommée durable.
Par la suite, les pertes de comptoirs commerciaux occasionnées par chacune des défaites infligées à Carthage, lors de la 1re guerre punique, et encore plus, après la 2e guerre, l’ont orientée vers la valorisation agricole du territoire africain jusqu’alors dédaigné.
L'agriculture savante et l'arboriculture se hissent au rang des principales ressources de Carthage. Le plus jeune frère d’Hannibal, Magon Barca, est l’auteur d’un fameux traité d’agriculture resté longtemps une référence. Quant aux figues fraîchement cueillies à Carthage qu’exhibait Caton à Rome devant le Sénat romain, elles illustraient outre la proximité d’une rivale persistante, ses atouts convoités, et amenaient la funeste conclusion : « Delenda est … »
Carthage dominait la Méditerranée occidentale, elle a détenu le monopole du commerce et de la navigation. L'accès, sans compétition, aux métaux, aux hommes et à l'agriculture de régions entières, ainsi que la réussite agricole en Afrique du nord expliquent son immense richesse et ses rebonds répétés après chaque conflit.
La chora, c'est-à-dire la cité proprement dite, assure son autosuffisance alimentaire, notamment en produits d'arboriculture (olives, raisins, figues, amandes) et en viande. La Megara, quartier périphérique au nord de Carthage, abrite une agriculture intensive avec des potagers et des jardins séparés par des clôtures en pierres sèches, des haies vives d'arbustes épineux, de canaux, nombreux et profonds.
Les rendements céréaliers sont modestes, les meilleures terres étant consacrées à la vigne et à l'olivette. Le territoire agricole ne se limite plus à une étroite bande côtière, de surcroît menacée par les Libyens, qui exigent un tribut, mais couvre la majeure partie de la Tunisie
La religion
Les Carthaginois adorent la déesse Tanit (Astarté chez les Phéniciens) et surtout Ba'al Hammon.
À ce dieu, selon une coutume originaire de Tyr, ils offrent en sacrifice des enfants au cours d'une cérémonie appelée «molek» (ou Moloch). Ils sont jetés vivants dans une fournaise, leurs cendres sont ensuite conservées dans un endroit appelé «tophet ».
Cette idée largement propagée par Rome, qui avait tout intérêt à montrer la grande barbarie d'un peuple qu'elle voulait détruire, relayée par Gustave Flaubert dans son roman « Salammbô » est, aujourd'hui, très controversée.
Le tophet a, quant à lui, été découvert et fouillé par les archéologues. On y noterait une très forte tendance à la substitution, des animaux remplaçant les enfants du moins en période de prospérité.
Les forces armées
L'armée et la marine carthaginoise étaient composées de mercenaires et de peuples assujettis. Elles étaient dirigées par un corps d'officier provenant de l'élite de Carthage exemplaire malgré les risques et le peu de récompenses. Un général qui avait perdu une bataille était souvent crucifié et le vainqueur recevait rarement des renforts pour qu’il ne puisse prendre le pouvoir.
Il faut noter une importante différence par rapport a l’armée romaine, ou l’infanterie restait « la reine des batailles », les forces montées représentaient, au combat, un élément essentiel des armées puniques.
- La cavalerie lourde intervenait dans les batailles pour provoquer un effet de choc, souvent de concert avec les éléphants montés par un cornac et un soldat portant casque, cuirasse et javelot. Elle était composée de Carthaginois (casque et cuirasse,épée et lance) et de Gaulois. Ils harcelaient l’ennemi.
- La cavalerie légère venait de la péninsule ibérique et de Numidie et utilisait parme et javelot.
De même, existaient une infanterie lourde et une infanterie légère. La première était surtout armée par des contingents libyens.
La culture
Au cours du 4e et 3e siècle, les carthaginois adoptent en les adaptant les motifs de l'architecture et de l'art égyptien et grec sans pour autant abandonner leurs coutumes religieuses et sociales.
Déjà terre de rencontre, La vie culturelle de cet empire était un mélange des influences indigènes, phéniciennes, grecques et égyptiennes. La littérature carthaginoise n'a pas survécu à l'exception d'un important traité d'agriculture qui influença fortement les romains.
L'empire
L’Histoire conserve le souvenir de deux expéditions confiées l'une à Hannon et l'autre à Himilk. Il s'agissait d'explorer des terres inconnues, d'étudier leurs populations, leurs besoins et surtout les richesses dont elles regorgeaient. Chemin faisant, Hannon fonda de nouvelles colonies au-delà des Colonnes d'Héraclès, au-delà de Gadir et de Lixus. C'est ainsi qu'il fonda le mur Carien, Gutté, Acra, Melitta, Arambys et Cerné, sur la côte du Maroc atlantique. Il n’a pas encore été possible d’identifier ces lieux.
Les Carthaginois laissèrent aux collectivités le soin de régir leurs affaires internes. Les cités étaient dotées d'institutions municipales, sans doute semblables à celles de Carthage : des assemblées, des suffètes, etc. sont attestés dans de nombreuses agglomérations urbaines d'Afrique, de Sicile, de Sardaigne, de Malte.
Quant aux territoires peuplés d'autochtones, qu'il s'agisse d'Africains, de Sardes, d'Ibères ou d'autres, Carthage leur laissait la possibilité de s'administrer selon leurs propres coutumes, tout en créant des provinces confiées chacune à un gouverneur qui, à la tête d'une armée, veillait à la paix, la sécurité et la perception des impôts.
Pour la protection de ces territoires, elle consentit des efforts considérables, devant faire face à des révoltes internes, notamment en Afrique et en Sardaigne ; elle dut se défendre contre les ambitions et les jalousies des Grecs qui n'hésitaient pas à recourir aux armes dans l'espoir de la supplanter en Sicile, en Espagne et même en Afrique.
Les guerres contre les Grecs
Entre 750 et 600 av. J.-C., les Grecs, occupant un territoire exigu et pauvre, se lancent à la conquête de la Méditerranée, tels « des grenouilles autour d'une mare », selon Aristophane. Ils fondent des colonies en Italie méridionale (Tarente, Crotone, Naples), en Sicile (Agrigente, Syracuse), en corse et Nice, Marseille, Agde en Gaule. Ils convoitent la Sardaigne et l’Espagne.
Battue à Himère en 480 av. J.-C., Carthage réussit cependant à sauvegarder les territoires convoités, dont le golfe de Gabès, mais elle doit payer une lourde indemnité de 2 000 talents et elle doit évacuer la Sicile à l’exception de Motye. Les Grecs poursuivent leur progression en Méditerranée et remportent des victoires durant les guerres médiques contre les Perses et leurs alliés phéniciens et contre les Étrusques d'Italie. Dès lors, l'arrière-plan africain prend de l'importance dans la politique de relance économique engagée par Carthage. Le redressement de Carthage est tel que, à la fin du siècle, elle reprend les hostilités, profitant des dissensions grecques. Et en 409 av. J.-C. Hannibal (le fils de Giscon et le petit fils d'Hamilcar) met à sac Sélinonte, Himère, Gela, et occupe les territoires à l'ouest du fleuve Halycus. Jamais l'Empire punique n'a été aussi étendu. Durant le siège d'Agrigente, une épidémie ravagea l'armée carthaginoise et tua Hannibal.
En -368, les hostilités reprennent en Sicile et Hannon est nommé commandant en chef des armées. Il contraint Denys de Syracuse à se retirer de devant Lilybée et capture une division navale grecque stationnée devant Éryx. Denis de Syracuse meurt en 367 av. J.-C., ce qui met fin aux hostilités. Carthage incite ses alliés étrusques à conserver la neutralité pendant les guerres samnites ; elle finira par sacrifier l’alliance tyrrhénienne à l’alliance romaine. En -346 Carthage conclut un deuxième traité avec Rome, dans lequel Rome confirme le monopole de Carthage pour le commerce dans le Méditerranée occidentale à l'exception de la Sicile et Carthage, pour lesquelles Rome a toutes libertés de commerce. La paix avec les grecs est conclue. Avec cette paix, Carthage connaît un rebond de son commerce et de sa richesse.
Les Siciliens supportent mal que la moitié de leur île soit occupée par les Carthaginois. Agathocle, tyran de Syracuse, décide de débarquer en Afrique et d’aller investir les villes carthaginoises avec une armée puissante, renforcée par des mercenaires mamertins. Il soumet toutes les villes du littoral punique, mais il ne peut pas profiter de sa victoire : il manque d’alliés ; la suprématie de Carthage sur toute la Méditerranée lui interdit toute occupation prolongée du territoire punique.
Le port de Syracuse bloqué par la flotte carthaginoise doit son salut à l'aide des étrusques dont la flotte libère Syracuse en 307 av. J.-C.. Cette alliance entre les étrusques et Syracuse pousse Carthage à s'allier avec Rome en 306 av. J.-C.. Les nouveaux alliés décident de se partager les territoires de leur ennemi. Rome prendrait les possessions italiennes et Carthage, les siciliennes les rendant ainsi maîtres des colonies grecques d'Italie et de Sicile.
Les Tarentins font alors appel à Pyrrhus, le roi d'Epire, un petit pays partagé entre la Grèce et l'Albanie. L'épisode de Pyrrhus met en évidence la fragilité de l'alliance entre Rome et Carthage. Aucun des deux camps n'était allé au secours de l'autre.
Les guerres contre Rome
Les auteurs latins ont restitué l’image avaricieuse d’une Carthage prés de ses sous, répugnant à soutenir financièrement ses troupes (composées la plus part du temps de mercenaires). Il y a un fond de vérité très ténu : Carthage ne pouvait pas allouer la majeure partie de ses moyens à la fois financiers et matériels à un effort de guerre d’une ampleur toute nouvelle imposée par Rome, sans compromettre à court terme la poursuite de ses actions militaires ou commerciales très peu dissociables.
D’ailleurs l’économie carthaginoise, demeurée tardivement fondée sur le troc, n’est venue qu’à partir du IVe siècle, en Sicile, aux premiers monnayages, et principalement pour les besoins des opérations militaires.
En revanche Rome a su consentir un effort financier sans précédent (Marchetti P., Histoire économique et monétaire de la deuxième guerre punique) afin de se doter des flottes de combat ou de transport nécessaires à son action militaire, en s’appuyant en particulier lors des seconde et troisième guerres puniques sur le « parti campanien » très impliqué dans le commerce maritime, et surtout sur les patriciens de l’Urbs très conscients des bénéfices potentiels à en retirer à terme.
Le but de la guerre n'est plus l'expansion territoriale ou la prise de butin, mais la suprématie politique et commerciale de la cité. Les guerres puniques sont non seulement l'équivalent de nos guerres mondiales modernes, mais préfigurent aussi le concept de guerre totale.
Le conflit embrasa tout le monde antique, les peuples alliés changeront plusieurs fois de camp.
Pour la première fois dans l'histoire nous assistons à la rencontre et au choc de deux impérialismes.
Première guerre punique
264 à 241 av. J.-C.
Les mamertins confrontés à Messine (Sicile) aux alliés Grecs et Carthaginois, appellent Rome au secours.
Rome puissance terrestre possède une excellente infanterie, Carthage une marine redoutable.
L’armée romaine est composée de citoyens patriotes. Les villes carthaginoises combattent mollement, les Africains haïssent Carthage. L’armée punique, enfin, est composée de mercenaires à la fidélité douteuse.
Aisément maître du terrain en Sicile, Rome débarque en Afrique du nord, mais sa flotte est détruite par celle de Carthage.
Rome se dote alors d’une marine d’abord copiée sur celle de son ennemie. Elle abandonne vite la technique de l’éperonnage au profit du « corbeau » d’abordage. Pont agrippant le navire adverse et permettant de reproduire en mer le combat d’infanterie.
Amilcar Barca auquel le Sénat refuse des renforts, paralysé par la défaite de la flotte carthaginoise, perd la Sicile. Rome est vainqueur mais très affaiblie. La Sicile devient la première province du jeune empire romain.
Guerre des mercenaires
241 à 238 av. J.-C.
« C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. » C’est ainsi que débute Salammbô le roman de Gustave Flaubert relatant cet épisode de la révolte des mercenaires. Carthage exsangue après cette guerre ne paie plus son armée qui se révolte. Avec l’aide de Rome, elle en viendra à bout en 3 ans. 40 000 mercenaires périront dans le défilé de la hache, dont le site n’est toujours pas identifié.
Rome fait payer cher son aide, elle se fait céder la Corse et la Sardaigne.
Seconde guerre punique
219 à 202 av. J.-C.
Hannibal, fils d’Amilcar, Général de 27 ans part pour l’Italie à partir de l’Espagne, à la tête de 80 000 hommes.
Rome peut opposer immédiatement 220 000 hommes et pourrait aller jusqu’à 400 000. Sur mer Carthage dispose de 50 quinquérèmes contre 220 pour Rome.
Cette guerre apparaît comme le duel de Rome et d’un homme, Hannibal, qui, comme tous les généraux carthaginois avant lui, ne recevra jamais de renforts de la part du Sénat.
Au bout de 5 mois et après avoir franchi les Alpes avec ses éléphants, Hannibal vole de victoire en victoire. Scipion est battu sur le Tessin (218), Tibérius Sempronius également sur les bords de la Trébie (218). Mais surtout, lourde défaite des Romains au lac Trasimène (217) 15 000 morts et à Cannes (215) 45 000 morts, 20 000 prisonniers.
Mal équipé pour une guerre de siège, Hannibal prend ses quartiers d’hiver à Capoue. Il y attendra en vain des renforts. Son frère Hasdrubal est vaincu avant d’avoir pu faire jonction. Rome annexe l’Espagne, conquiert Syracuse (Sicile) où meurt le plus génial de ses défenseurs, Archimède.
Scipion est autorisé à débarquer en Afrique du nord, dès lors on l’appellera « l’Africain ». Hannibal rappelé par Carthage lui livrera bataille près de Zama, capitale des Numides alliés pour l’occasion aux Romains. Scipion l’Africain est vainqueur (202).
L’empire romain annexe de nouvelles provinces, l’Espagne et l’Afrique (du nord).
Carthage n’est plus qu’une ville commerçante vassale de Rome. Elle perd le droit de faire la guerre.
Troisième guerre punique
149 à 146 av. J.-C.
Carthage ne supporte plus les grignotages incessants de son territoire par Massinissa le roi Numide allié de Rome. Elle lui déclare la guerre.
Saisissant le prétexte de la violation du traité de 201, les Romains jaloux et inquiets du redressement économique de leur ancienne rivale se laissent convaincre par Caton : « Carthago delenda est » (Carthage doit être détruite).
Ils dictent leurs conditions : Les Carthaginois doivent quitter leur ville et se retirer à plus de 14 Km de la mer. Pour un peuple commerçant c’est inacceptable. Carthage se battra donc 3 ans.
Sa population exterminée, la ville fut incendiée (elle brûla 17 jours), la terre labourée fut parsemée de sel pour la rendre à jamais infertile.
Cette même année (146) Rome s’empare de Corinthe, la Grèce, elle aussi, devient une province ordinaire.
Carthage en 1900. Les ports puniques vus de Byrsa. © Collection Bertrand Bouret.
La même désolation, semble-t-il qu'en -146.