Fils de Ahmed El MOKRANI, grand chef Kabyle qui avait permis le succès de l'expédition des "portes de fer", il voit ses pouvoirs réduits : le khalifa hérité de son père est supprimé, il est nommé Bachagha et subordonné au commandant supérieur.
Bachaga de la Medjana, il trouve son fief bien réduit, même si sa superficie en reste importante, et si son influence s'exerce bien au-delà des limites administratives :
(Les féodaux algériens alliés de l’armée française, voyaient leur influence en perte de vitesse à mesure que s’appauvrissait le peuple (en particulier la grande famine de 1857, attise la rébellion). et que les prérogatives des militaires passaient aux mains des civils et que se consolidait le nouveau régime qui rognait leurs privilèges).
Un voyage à la Mecque puis à Paris où il sera invité à la cour de l'Empereur l'émerveillera. Il rentrera enchanté d'être l'allié d'un tel pays si important dans le monde.
En 1861, il reçoit la Légion d'honneur puis sera commandeur et en 1870 deviendra membre du Conseil Général de Constantine.
Mahieddine, fils de l'Émir Abd-el-Kader, se trouve en Tunisie. Il prépare la Djihad (Guerre Sainte) et aidé par l'armée turque, il va reconquérir l'Algérie.
Alerté dans son exil de Damas, l'Émir Abdel-Kader désavoue son fils et manifeste sa réprobation avec vigueur.
El Mokrani n'est pas prêt pour la Djihad, ni même pour sauter le pas.
Son orgueil est encore retenu pas ses engagements envers la France. Mais le gouvernement civil était l'effroi du bachagha ; ce qu'il voyait, ce qu'il entendait, ce qu'il lisait dans les journaux n'était pas de nature à modifier ses sentiments. Le décret du 24 octobre 1870 naturalisant les Israélites ajouta à son amertume : Je consens, disait-il, à obéir à un soldat, je n'obéirai jamais à un Juif ni à un marchand. La situation se tendait de plus en plus. On s'efforça de calmer Mokrani sans y parvenir : Les Français, disait-il, sont bien ingrats et injustes envers ma famille; ils veulent me jeter dans l'insurrection. Il renouvela sa démission. Le 14 mars, à la Medjana, un conseil de famille fut tenu dans lequel on décida une manifestation armée pour obliger le gouvernement français à compter avec les grands chefs. Le Bachagha ne voulait ni massacres ni pillages; il se proposait de bloquer et d'isoler les villes, d'où les Français ne pourraient plus sortir, afin de les contraindre à acheter par des concessions l'alliance des grandes familles : Je me bats, disait Mokrani, contre les civils, non contre la France ni pour la guerre sainte.
Mais devant la déliquescence du pouvoir, il passe le pas.
Le 15 mars 1871, toujours respectueux des formes, El Mokrani écrit au général Augeraud et au Capitaine Olivier pour leur redire qu'il n'obéira pas aux civils et les informer : Je m'apprête à vous combattre, que chacun aujourd'hui prenne son fusil. .
Il fait couper les poteaux du télégraphe, la conduite d'alimentation d'eau et déploie environ 15 000 hommes autour de Bordj-Bou-Arreridj
qui fut pillée et incendiée; la petite garnison retirée dans le fort fut délivrée par une colonne de secours.
El Mokrani se réfugie dans les montagnes et s'allie au vieux cheikh El Haddad, à la tête de 100 000 hommes qui viennent d'entrer dans la guerre sainte en une quinzaine de points entre Alger et Collo.
Il lancera les tribus dans une formidable insurrection qui durera neuf mois et s'étendra jusqu'aux portes d' Alger à l'ouest et, au sud, jusqu'au Sahara.
Malgré les changements intervenus dans la politique française où un militaire, l'Amiral de Geydon, a remplacé les civils en Algérie et que Thiers a succédé au "juif ", le Bachaga continue à se battre.
Près d'Aumale, le général Cérez a entrepris de pacifier la région - au combat de l'Oued-Soufflat, entre Dra-el-Mizan et Bouïra, auquel participèrent 8 000 Indigènes, le Bachagha fut tué d'une balle qui le frappa entre les deux yeux. La nouvelle vola de crête en crête et parvint ensuite dans la plaine. Les fusils se turent. Lorsque Cérez le sut, il demeura un instant sidéré, puis il eut ce mot : Sa mort nous a sauvés et, cependant, loin de me réjouir, elle me cause beaucoup chagrin car il fut un adversaire courageux, loyal et brave. Il fit mettre ses troupes au garde-à-vous, l’arme au pied, à l’endroit même où elles se trouvaient et rendit hommage à la mémoire de son ennemi.
Son frère Boumezrag fait enterrer le corps à la Kalaâ des Béni-Abbès à l’ombre du Djurjdura qui l’a vu naître et grandir. Enfoui sous terre au cœur de sa forteresse natale sans signe distinctif.
(Les Ouled-Mokrani , famille kabyle installée depuis le quinzième siècle, s'étaient constitués une sorte de principauté qui s'étendait de l'Oued-Sahel au Hodna).
La rébellion se poursuivra jusqu'en janvier 1872.
Féodal anachronique, El Mokrani représente la dernière grande figure d'une noblesse militaire algérienne. Sa mort marque la fin d'une conception de la vie.
N.B :Les cinq frères d'El Mokrani et son fils qui ont pris une part active à la rébellion sont condamnés par la cour d'assises au bannissement en Nouvelle-Calédonie . Ils y sont restés quelques années et furent pour beaucoup amnistiés pour avoir aidé les autorités calédoniennes à stopper la révolte de 1878. Seule exception, le fils d'El Mokrani n'est rentré en Algérie qu'en 1927
- En Algérie : Commémoration
Kalaâ NAth Abbès : commémoration de la mort de bachagha El Hadj El Mokrani
Le village de la kalaâ Nath Abbès, dépendant de la commune d’Ighil Ali, wilaya de Béjaïa (Bougie), s’apprête à commémorer le 135e anniversaire de la mort de Mokrani au champ de bataille. (2006)
- Source : Revue P.N.H.A n° 106
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