Sidi-Brahim
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Le marabout de Sidi-Brahim est situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Djemaâ Ghazaouet / Nemours, et à 18 Km à l'ouest de Nédroma.
Près de ce lieu l'émir Abd-el-Kader en personne écrasa un détachement commandé par le colonel de Montagnac et composé de 60 cavaliers du 2e Hussards et de 350 chasseurs du 8e d'Orléans, mais connut une résistance inattendue d'un petit groupe de chasseurs qui gardait le bivouac. Ils se replièrent sur la Kouba du marabout de Sidi-Brahim, et se battirent dans un tel déséquilibre de forces, et avec une telle opiniâtreté, que les bataillons de chasseurs commémorent encore aujourd'hui Sidi-Brahim comme une seconde fête nationale.
Le récit de la bataille est développé dans de nombreux sites visibles sur internet. On se contentera ici de rapporter l'hallucinant témoignage d'un survivant, et de rappeler le monument commémoratif de cette bataille qui ornait le centre de la place d'Armes à Oran (ou encore place Foch, ou place de la mairie).
Un récit des combats du 24 au 26 septembre 1845
Le lieutenant-colonel de Montagnac, qui s'était aventuré hors de de son poste de Djemaâ-Ghazaouet, subit donc un sanglant revers le 23 septembre non loin de Sidi-Brahim, de même que la colonne de renfort du commandant Froment-Coste, d'abord gardée en réserve au bivouac.
Le petit groupe resté au bivouac sous le commandement du capitaine de Géreaux se replie sur le marabout, et voici le récit du caporal Tressy, du 8e bataillon de chasseurs d'Orléans, tel que l'a rapporté le colonel (plus tard général) Paul Azan dans son ouvrage en 1905 sur Sidi-Brahim:
« Le marabout de Sidi-Brahim présentait alors un carré de 12 à 13 mètres de côté, entouré de murs bâtis en boue, de 4 pieds de haut, dominés par une coupole oblongue placée au centre. M. de Géreaux et le lieutenant de Chappedelaine organisent rapidement la défense ; les brèches sont réparées, l'entrée est fermée à l'aide des cantines, nous sommes postés vingt sur chaque face derrière les murs du marabout ; le capitaine s'établit au centre avec le chirurgien Rosaguti et l'interprète Lévy.
Vers midi environ, la colonne du commandant Froment-Coste écrasée, les Arabes, et les Kabyles, électrisés par leur double victoire, plus encore que par la présence d'Abd-el-Kader, se ruent comme un torrent déchaîné, comme les flots d'une mer en furie, contre les murs croulants du petit marabout. Ces fiers cavaliers, exécutant une fantasia superbe, arrivent comme un ouragan, abordant à la fois les quatre faces du monument. Reçus de toute part par une fusillade à bout portant, ils perdent beaucoup de monde et se retirent.
Alors l'assaut commence : c'est un feu d'enfer. Repoussés, les Arabes reviennent à la charge avec une nouvelle audace et l'assaut reprend avec une furie grandissante. La terre se couvre de leurs morts ; mais ce nouvel échec semble rallumer leur rage. Aussi loin que la vue peut s'étendre sur toute la plaine, l'œil n'apperçoit que des burnous ; et cette multitude grouillante, comme une vague immense, se rue avec une audace incroyable sur nos fragiles remparts. La lutte se poursuit aussi ardente environ cinq quarts d'heure.
Alors a lieu une scène que je n'oublierai pas de ma vie : en face de nous arrive le capitaine Dutertre ; il est très pâle ; il n'a que son pantalon ; sa chemise est en lambeaux ; il est conduit par six Arabes et s'arrête à 50 mètres du mur où je me trouve. Que va-t-il se passer ? Nous sommes dans une anxiété terrible. Que va-t-il nous proposer ?... Nous faisons le plus profond silence. Les Arabes, impatients, semblent l'inviter à parler ; le capitaine refuse ; il ne dit pas une parole. Après un moment d'attente, les Arabes tirent sur lui deux coups de pistolet à bout portant et se sauvent en emportant leur prisonnier. Nous avons tous pensé qu'Abd-el-Kader l'avait envoyé pour nous engager à nous rendre. Son silence nous dictait notre conduite et son supplice nous montrait ce que nous devions attendre de notre barbare ennemi.
Le 24, au lever du soleil, l'émir vient lui-même à la tête de ses réguliers, cavalerie et infanterie, et le branle-bas recommence. Reçue par une grêle de mitraille au travers des créneaux, toute la cavalerie a beau donner, elle n'arrive qu'à nous exténuer ; elle perd beaucoup de monde. A 10 heures, le combat reprend encore plus furieux, mais aucun Arabe ne peut franchir le retranchement.
Nous sommes presque constamment en lutte jusqu'au lendemain, à deux heures de l'après-midi. La nuit, les Arabes se rapprochent, nous jettent des pierres et, joignant la dérision à l'insulte, nous demandent si nous voulons boire de l'eau fraîche et manger des galettes chaudes.
Nous jugeant épuisés par une lutte acharnée de trois jours, nous sachant sans munitions et sans vivres, et nous croyant incapables de sortir de notre enceinte, Abd-el-Kader fait sonner la retraite, part avec ses troupes, laissant seulement 450 hommes pour nous observer ; comptant sur la famine plus puissante que ses armes pour achever son œuvre.
Il ne se trompait pas, hélas ! La faim nous torturait les entrailles ; mais à la suite de trois journées de lutte ardente et sans repos, sous les ardeurs implacables du soleil d'Afrique, la soif nous était un supplice plus épouvantable encore. On en était arrivé jusqu'à boire sa propre urine ; certains recueillaient celle des trois chevaux et la portaient avidement à leurs lèvres brûlantes, espérant ainsi éteindre le feu qui les dévorait. C'était véritablement horrible.
....Il ne nous restait donc plus d'espoir. Le départ fut décidé. Le 26, journée de toutes la plus terrible, à 7 heures, nous franchissons l'enceinte et tombons comme un ouragan sur un poste d'observation de 150 hommes placé à 100 mètres au nord du marabout. Surpris par la rapidité de l'attaque, les Arabes se dispersent dans toutes les directions et en toute hâte reviennent au marabout piller nos bagages. Pendant ce temps, la petite colonne, le capitaine de Géreaux en tête, soutenu par deux hommes, dirige sa marche, sans être poursuivie de trop près, du côté de Djemaâ.
Nous fîmes ainsi environ 3 lieues sans être sérieusement attaqués ; néanmoins trois des nôtres, tombés, les jambes fracassées, nous supplient avec des larmes et des cris lamentables de les achever ; c'était à fendre l'âme. Il fallait marcher ; la troupe des Kabyles, sur nos derrières, grossissait sans cesse ; on apercevait les Bédouins, prévenus de notre approche, descendre de tous les douars, courir en avant de la colonne pour lui barrer le chemin. Cependant nous avons traversé le grand plateau ; 2 kilomètres au plus nous séparent de la redoute. Une hauteur de 50 mètres à descendre, des jardins arabes semés d'arbres et de broussailles, tout à fait au fond un ravin ; et par delà le salut. L'espérance renaît dans nos âmes ; mais à l'extrémité du plateau, grand Dieu ! quel spectacle !... devant nous, à nos pieds, une multitude , une cohue immense armée de fusils et de sabres, d'armes de toutes sortes, est là, sur une profondeur de plus de 200 mètres ; des milliers d'Arabes vocifèrent, gesticulent, attendant une proie qui ne peut leur échapper... Il n'y a pourtant pas à hésiter, 2 000 Kabyles arrivent sur nous ; il faut passer sur le corps de cette fourmilière humaine, entrer dans cet enfer, y faire sa trouée ou mourir. Baïonnettes en avant, nous roulons sur la pente, fusillés par les arabes, et la danse commence, danse infernale et terrible. Ce n'est pas un combat, c'est de la folie, de la rage, un massacre, une boucherie impossible à décrire. Nos chefs sont toujours à notre tête ; le lieutenant de Chappedelaine est atteint de deux balles, le docteur Rosaguti succombe dans la mêlée sanglante. A six pas devant moi, je vois tomber le capitaine de Géreaux.
Dès lors, chacun pour soi, et en avant dans la masse profonde des arabes qui nous poussent de toutes parts. La baïonnette décrit toutes les arabesques de l'escrime, un moulinet continuel. Devant nous, à nos côtés, derrière, on ne voit qu'yeux flamboyants de colère, dents de fauves se disputant une proie, faces de démons incarnant la haine, bras tendus, mains crispées, armes de toutes sortes, cherchant par tous les moyens à nous atteindre et à nous donner la mort. On n'entendait que vociférations et hurlements ; c'était un vacarme effrayant, une mêlée terrible.
Cependant, la baïonnette fait joliment son ouvrage ; mais plus elle tue, plus la foule fanatisée augmente. Percé de part en part, en pleine poitrine, un de ces forcenés saisit ma baïonnette de ses deux mains et, dans les crispations de la mort, la maintient comme dans un étau d'acier; une seconde ... et c'en est fait de moi. Un effort désespéré la dégage, elle continue son oeuvre.
Nous allions de conserve, dans cette mêlée furieuse, avec un colosse allemand qui faisait lui aussi un carnage épouvantable et se battait comme un lion. Enfin, nous apercevons, comme un rayon d'espérance, une issue à notre enfer. Encore quelques efforts et la trouée est faite, nous atteignons la zone de la redoute (environ 300 mètres à découvert) où les Arabes n'osent plus s'aventurer à nous suivre. Mais il sera dit qu'en cette journée terrible, nous rencontrerons le plus grand péril où nous attendions le salut.
Sur la lisière des arbres et des broussailles, toute une longue ligne de tireurs arabes est là, à l'affût, attendant les malheureux Français échappés au carnage et sortant de la mêlée sanglante, pour les tirer comme on tire un gibier débusqué d'un fourré par une meute ardente.
Prêt à franchir cette ligne, j'eus un moment de stupeur ; il me fallait passer sur les cadavres de quinze à vingt compagnons d'armes tombés là, criblés de balles. J'eus un moment d'hésitation, le temps de voir le danger, et je partis comme un trait vers la redoute. A 200 mètres, épuisé, je regarde en arrière: l'Allemand ne me suivait plus. J'arrive enfin, la porte s'ouvre, j'entre, je n'avais plus mon fusil. Le lendemain, on le trouva avec ceux de Langevin et de Laparra, à quelques mètres de la redoute. Seul, Lavayssière, caporal de la 3e compagnie, rentra avec son arme. »
Le 23/12/1847 au marabout de Sidi-Brahim : la reddition d'Abd-el-Kader
Le 23 décembre 1847, c'est au lieu même du marabout de Sidi-Brahim qu'Abd-el-Kader, escorté d'une cinquantaine de ses cavaliers, fit sa soumission à la France, en la personne du colonel Cousin de Montauban envoyé à sa recherche par le général de Lamoricière .
Lamoricière avait promis l'aman (demander grâce, faire sa soumission, obtenir la grâce) demandé la nuit même par Abd-el-Kader. La soumission plus officielle eut lieu un peu plus tard à Nemours, où il rencontra le duc d'Aumale.
Le monument de Sidi Brahim par Dalou
Le monument de 1898 à Oran
La municipalité d'Oran eut l'idée en 1893 de commémorer le cinquantième anniversaire de Sidi-Brahim par l'érection d'un monument. Une souscription fut lancée, et après renseignement, on choisit le sclupteur Aimé-Jules Dalou pour le réaliser.
On passera sur les péripéties, les querelles avec Dalou ou avec la famille du Colonel de Montagnac, les hésitations sur l'emplacement définitif...
Les manifestations pour l'inauguration eurent lieu les 17,18 et 19 décembre 1898. On y invita chacun des survivants de Sidi-Brahim : Gabriel Léger, Guillaume Rolland, le célèbre clairon, et Pegre. Les deux derniers y furent présents.
Le monument, élevé au centre de la place d'Armes, qui est aussi celle de l'Hôtel de Ville, se composait d'un obélisque de 8 mètres de haut, surmonté d'une gloire ailée présentant une couronne de palmes, et plaquée contre une de ses faces, une statue de femme tenant un drapeau, symbolisant la France, qui écrivait sur l'obélisque les mots du capitaine Dutertre : « Camarades, défendez vous jusqu'à la mort ».
Le monument, à Périssac, et à Oran.
La statue de la France fut démontée et expédiée en France en 1962.
On voit au milieu des vignes, près du village de Périssac, en Gironde, patrie du capitaine Oscar de Géreaux, deux voiles courbes et concentriques en béton. La statue de la France par Dalou écrit toujours, sur l'une des deux voiles, « Camarades, défendez vous jusqu'à la mort ». Ce monument fut inauguré le 10 juillet 1966.
A Oran subsistent l'obélisque et la gloire ailée : c'est le buste en bas-relief d'Abd-el-Kader, plaqué sur l'obélisque, qu'elle semble aujourd'hui couronner.
La gloire est changeante, mais hier comme aujourd'hui, à Oran, elle couronne les vaincus de Sidi-Brahim.