ALGERIE GOUVERNEURS L'HISTOIRE
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PREAMBULE
Avant de citer chronologiquement les Commandants en Chefs et Gouverneurs de l'Algérie, il parait opportun de rappeler le climat politique, économique et social qui régnaient à l'époque en France et en Algérie,et de souligner les dissensions,oppositions, conflits et incidents diplomatiques tant intérieurs qu'extérieurs que durent surmonter Charles X et son Gouvernement pour parvenir à la prise d'Alger le 5 juillet 1830, prélude à la conquête progressive de l'Algérie.
A tout seigneur tout honneur commençons par l'Algérie :
Un Chef, sous le nom de DEY, gouverne la REGENCE D'ALGER, sous la suzeraineté nominale de La Porte.
Cette Régence d'Alger s'étend de la frontière de la Tunisie à la frontière du Maroc. Sur ce territoire coexistent des habitants d'origine primitive et d'autres descendant des invasions successives:
- des Berbères de la race primitive - des Arabes descendants des anciens conquérants - des Juifs, certains établis dans le pays depuis l'époque romaine, descendant des hommes d'affaires et intendants qui avaient dans l'antiquité assuré l'approvisonnement des légions romaines, d'autres descendant des juifs venus d'Espagne pour fuir l'Inquisition, d'autres de tous pays,à différentes époques, venus s'installer dans le pays pour les commodités de leurs activités de commerce et de négoce - des Maures issus du mélange des différentes populations, regroupés dans des villes, négociants ou commerçants - des Turcs enfin,population dominatrice mais minoritaire en nombre,descendant des Turcs arrivés depuis trois siècles et demi, à la suite de l'expansion ottomane et certains autres installés progressivement ou de fraîche date.
Les conditions de vie des populations soumises à la Régence d'Alger sont insupportables. Les Turcs leur font sentir et subir leur prétendu supériorité , même dans les rues où le peuple soumis doit s'effacer et laisser le passage, sous peine d'insultes et de violences physiques. Peu de révolte des populations soumises pour cause de même religion musulmane majoritaire dans le pays, et surtout par crainte des représailles cruelles des janissaires, au service des Turcs, qui font régner la terreur.
Les gens des campagnes et petits douars de l'intérieur, agriculteurs et nomades sont regroupés en tribus sous l'autorité religieuse ou guerrière de marabouts et d'Emirs et ne participent que très peu aux évènements de leur pays, si ce n'est leurs engagement épisodiques dans les luttes que se livraient occasionnellement les Emirs entre eux, pour étendre leur influence et régler des querelles d'accaparement de terres, de points d'eau, de paturâges, de troupeaux et à l'occasion opérer des razzias.
Les Algériens des côtes bien différents de ceux de l'intérieur, redoutés depuis des siècles par les armateurs et les navigateurs de la Méditerranée, se livraient habituellement à la piraterie, industrie florissante. Tyrans cruels de la mer,ils capturaient les navires marchands et de plaisance, les abordaient, accaparaient les cargaisons , réduisaient à l'esclavage les équipages et passagers, en conservaient une dizaine par capture pour rançonner les familles et les autres pour les revendre au marché aux esclaves,où encore en assassinaient certains cruellement pour impressionner et semer la terreur et montrer ainsi leur sinistre "savoir-faire" en la matière e XVI° et le XIII° siècles on évalue à trois millions le nombre d'Européens enlevés par les pirates barbaresques au cours de razzias sur les côtes européennes et au cours de batailles navales. Ces prisonniers réduits en esclavage sont dans les propriétés et les harems d'Afrique du Nord. En 183O, deux mille chrétiens sont retenus en esclavage dans la Régence d'Alger.Quand aux marchandises, elles étaient revendues selon des circuits établis aussi bien en Algérie que dans les pays limitrophes ou encore du Sud de la méditerranée.
Les remontrances et les demandes de réparations des Etats Européens restaient vaines et depuis des siècles; ils s'étaient résignés à acheter la sécurité de leur navigation contre la piraterie en payant des tributs, sorte d'assurances, sans être garantis toutefois qu'aucune course ne viendrait aborder leur bâtiments. Quand les sommes réclamées étaient par trop excessives ou les demandes accueillies avec trop d'insolence et d'insulte, on se fâchait très fort, c'est ainsi que des expéditions maritimes s'armaient et s'approchant des côtes algériennes, procédaient à des mesures d'intimidation ou punitives tels avaient été en 1682 sous le règne de Louis XIV les bombardements de Duquesne, de d'Estrées un peu plus tard et en 1816 de lord Exmouth.
Le Congrés d'Aix-la-Chapelle en 1818 avait proclamé la suppression de la course et de l'esclavage mais en réponse à la notification qui lui en avait été faite, le Dey Hussein n'avait opposé qu'un refus catégorique et méprisant.
En 1827 entre la Régence d'Alger et la France les rapports qui s'étaient progressivement détériorés depuis des siècles deviennent singulièrement âpres et tendus. Le principal sujet de querelle "l'affaire du blé" était entretenu depuis 1798 comme le "poids lourd " des plateaux de la balance dans lesquels s'entassaient la masse des conflits et des démêlés surgissant entre les deux pays. rappelons cette "Affaire du blé" : en 1798, pour les besoins de l'expédition du Général Bonaparte en Egypte, le Gouvernement du Directoire achète du blé à la Régence d'Alger. Le Blé est financé par un emprunt de la France à des familles Juives d'Alger qui demandent alors une garantie du DEY qui gouverne à l'époque la Ville.
En 1827 le Dey Hussein, connu pour ses humeurs querelleuses, ses fameuses colères et son âpreté aux gain, se plaint avec hauteur que "certaines sommes qui lui étaient dues par la France ne lui fussent pas remises". Ces sommes pour l'heure, à la suite d'opposition de différents créanciers se trouvent bloquées à la Caisse des Dépôts et Consignations. Le Dey Hussein feint d'ignorer cette procédure et il impute ouvertement ces retards à la mauvaise foi de la France débitrice.
Plusieurs incidents viennent aggraver les désaccords, deux bâtiments pontificaux sont capturés bien que la France ait obtenu l'affranchissement du tribut , deux navires qui assuraient de la Corse à Toulon le transport du courrier sont abordés et pillés, et la maison de notre consul à Bône est envahie et pillée.Tout se complique par l'irritation du Dey Hussein qui n'en demord pas et réclame sa créance; de plus notre Consul à Alger, bien plus affairiste que diplomate n'était pas en crédit d'estime auprès du Dey et ne manquait jamais d'essuyer ses foudres en audience. Une lettre de réclamation écrite par le Dey à notre Ministre des Affaires Etrangères ne reçoit qu'une réponse implicite et la fureur d'Hussein éclate quand la France par des dépêches répétées lui réclame des satisfactions au lieu de lui annoncer l'argent espéré.
Le Consul de France à Alger Monsieur Pierre Deval, affairiste bien plus que diplomate, par ses menées ouvertement hostiles au Dey, encoure à plusieurs reprises la défaveur du Dey à tel point que celui-ci le croit responsable de ses déboires avec la France et il le menace de le renvoyer si on ne le rappelle. Au cours d'une audience du 30 Avril 1827 le Dey Hussein véhément laisse entendre que peut-être la réponse de la France à ses demandes avait été détournée et que l'auteur de ce détournement était peut être son interlocuteur du moment, Monsieur Pierre Deval. Monsieur Pierre Deval outré et drapé dans ses fonctions dément, la discussion s'élève et le Dey Hussein va jusqu'à le frapper de trois coups de chasse-mouches. Monsieur Pierre Deval, sur le moment, ne se redresse pas immédiatement sous l'insulte et poursuit opiniatrement la discussion, ce n'est que plus tard à la réflexion qu'il se juge offensé et à travers lui la France. A Paris c'est l'indignation, le Capitaine de vaisseau Collet est envoyé avec son escadre devant Alger, avec ordre d'exiger que le Dey vienne ou envoie une députation à son bord pour présenter des excuses et que toutes les batteries des forts saluent le pavillon français. Le Dey Hussein ne se contient pas de fureur, refuse tout, estimant avec son obtination coutumière qu'il a de l'argent à recevoir de la France et non des réparations et encore moins des excuses à fournir ou à présenter.
La France réplique par des mesures coercitives, les ports de la Régence sont déclarés en état de blocus. Le Capitaine de vaisseau Collet voit immédiatement la difficulté de cette décision, l'étendue des côtes à surveiller est immense, les moyens mis en oeuvre s'avèrent couteûx et peu rentables, les algériens ne pratiquant que peu laa navigation commerciale, il estime qu'il ne s'agit que d'une démonstration de notre force navale et que la seule entreprise efficace serait de lancer une attaque par terre et par mer avec un corps important de débarquement et il envoie à PARIS un jeune Capitaine de Frégate Monsieur Dupetit-Thouars pour présenter et développer un plan de débarquement qui souleva les objections de vieux amiraux; mais la force de persuassion de ce jeune capitaine retient l'attention du Ministre de la Guerre et l'affaire est porté devant le Conseil du Roi en octobre 1827. Monsieur de Clermont-Tonnerre, Ministre de la Guerre soutient ce projet mais Monsieur de Villèle
(a suivre)
(Période 1830-1847)
Le Général Clauzel
En 1830, le Général Clauzel, (Comte Bertrand Clauzel), adversaire de la Restauration, après une longue interruption de carrière, soit quinze années de non activité, est nommé par le Gouvernement du Roi Louis-Philippe, comme successeur du Général de Bourmont en Algérie. Il arrive dans Alger le 2 septembre 1830. Nouveau commandant en Chef, il ne connaît pas les lieux et les hommes en place ; d’un caractère indépendant, résolu et prompt, avec un esprit qui le porte à voir tout en grand, il pense que l’éloignement de la France le libérera de toutes contraintes. Son tempérament résolument optimisme le pousse à forger des plans d’après les élans de son imagination et il envisage fermement de conquérir vite et totalement la terre où il vient de prendre ses nouvelles fonctions.
- Impatient et prompt à agir le Général Clauzel décide immédiatement d’éprouver ses armes contre le Bey (Turc) du Tittery qui ne cesse de braver les forces françaises depuis la Région montagneuse de Médéa au Sud-Ouest d’Alger. Une colonne forte de 8000 hommes environ formée le 17 novembre (soit 2 mois et 15 jours après l’arrivée du Général Clauzel à Alger) se met en route sous ses ordres et après quelques fusillades avec les arabes , entre sous sa conduite le 18 dans Blida, le 20 franchit la Chiffa et atteint ensuite au-delà la montagne sur la configuration de laquelle peu d’éléments sont connus.
Le 21, la montée commence, les vivres , les munitions, les équipements et outils sont portés à dos de mulet. Quand la colonne s’engage dans le défilé et l’escarpement des pentes sans retour possible, tout à coup une fusillade éclate sur les flancs arrières et sur l’avant, les gens du Bey accourus de Médéa tentent de barrer le chemin. Le combat s’engage dans des conditions périlleuses , il faut se battre avec l’ennemi sur l’avant, sur l’arrière, et en même temps s’accrocher pour ne pas dévaler les pentes. Les adversaires sont redoutables, agiles, bons tireurs, connaissant d’une façon innée les moindres détails du terrain. Après un terrible combat de défense la colonne arrive enfin au col de Mouzaïa. Les pertes sont importantes :220 hommes hors de combat. Mais la colonne prend le dessus et le reste de l’avancée n’est plus qu’une suite d’escarmouches ; on entre dans Médéa où le Bey se rend au vainqueur. Le Général Clauzel l’éloigne et lui donne un successeur. Tout à sa victoire le Général Clauzel publie sous une forme triomphale deux ordres du jour dont l’ampleur emphatique des termes, quelle que soit la bravoure et le mérite de l’opération , peut paraître excessive par rapport à la petite cité de Médéa. Les évènements des jours suivants donnent au Commandant en Chef une mortifiante leçon quand à la sécurité qui est loin de régner dans la région et qu’il pensait avoir établie en investissant Médéa. Le 26 novembre les Kabyles assaillent la garnison laissée seule à Blida, et un petit détachement de soldats du train et d’artilleurs envoyés à Alger pour y chercher des munitions et les ramener à Médéa sont massacrés en route. Par suite, la garnison de Médéa livrée à elle-même, peu soutenue et approvisionnée est menacée d’un complet investissement par les arabes et les kabyles qui s’approchent de plus en plus de ses murailles . A la fin de l’année, soit un mois environ après sa conquête on se décide à l’évacuation, et il ne reste rien de cette entreprise , seul subsiste le regret des morts et la connaissance cruelle des combats face aux arabes.
Clauzel recourt aux armes dans le voisinage d’Alger alors qu’il essaie d’user de diplomatie à l’ Est avec le Bey de Tunis, en vue de lui confier l’administration de territoires de l’est de l’Algérie que nous n’occupons pas. A cet effet, il engage une correspondance avec notre consul général à Tunis . Il révoque par arrêté le Bey Achmet de la province de Constantine et lui substitue Sidi-Moustafa , frère du Bey de Tunis, à charge de payer une redevance annuelle d’un million ; Le général Clauzel veut appliquer ce même régime au beylicat d’Oran au profit d’un prince tunisien, à charge de tribut … Ces actes ne sont pas ratifiés par le Gouvernement et n’aboutissent pas. Au début de 1831 la crainte de complications en Europe amène le Gouvernement à décider le retour en France de plusieurs des régiments affectés à l’Algérie et l’ Armée d’Afrique n’est plus qu’une simple « division d"occupation ».
Le 22 février 1831, soit 4 mois et 20 jours après son arrivée à ALGER, le Général Clauzel rappelé s’embarque pour la France. cinq années se passent pendant lesquelles la conquête se poursuit avec des périodes d’avancées et de reculs, de tentatives et de succès militaires, face à un ennemi mouvant, mobile, apte à l’attaque et au combat, apparaissant et disparaissant soudainement, favorisé par sa connaissance du terrain, son endurance au climat, à la fatigue et aux privations et de plus aidé par des populations hostiles à l’occupant, et avec des périodes administratives plus ou moins difficiles, soumises aux fluctuations d’influences selon les personnalités en place dans les instances du Gouvernement et de la Chambre. La question de la colonisation ne fait pas l’unanimité dans l’opinion politique en France et en Europe. Pendant ce temps les commandants en chef qui se succèdent en Algérie sont pour la majorité d’entre eux des survivants de l’ Empire, pourvus certes des meilleures qualités militaires, mais bien souvent dépourvus de la souplesse, de la diplomatie et des qualités nécessaires à l’établissement d’une organisation administrative et civile.
Le Général Berthezène
Le Général Berthezène succède au Général Clauzel ; ancien soldat de l’empire, excellent militaire mais privé des moyens de commandement nécessaires, il ne dispose plus que de quinze à vingt mille hommes. Il décide de reprendre Médéa abandonnée en décembre 1831. A la fin Juin 1831 ses hommes atteignent la cité, deux jours après devant l’hostilité et les dangers il faut l’évacuer à nouveau. La retraite par le col de la Mouzaïa et la descente vers la Mitidja donne lieu à des combats meurtrier, Arabes et Kabyles armés attendent et tirent au passage sur nos soldats, plusieurs périssent. Cet échec prive le Général Berthezène de la confiance des troupes, l’ennemi prend de l’assurance, nos adversaires se répandent dans les campagnes, et s’avancent dangereusement vers les faubourgs d’Alger . Après dix mois de commandement difficile et inefficace en raison de moyens restreints en matière d’effectifs, le Général Berthezène rentre en France pour laisser la place au Duc de Rovigo survivant de l’Empire doué d’un esprit policier plutôt que militaire. Ce dernier fait preuve de trop de rigueur sans souci de justice et se montre parfois cruel. Les indigènes critiquent son action qu'ils comparent à celle de leur anciens dominants les Turcs. De graves soucis de santé accablent le Duc de Rovigo, son état de santé s’aggrave sous l’effet du climat ; tombé malade, il quitte l’Algérie en mars 1833 pour mourir peu après.
Le Général Voirol
Tout à fait temporairement le Général Voirol le remplace. Ce nouveau Commandant en Chef a une passion pour les travaux publics et s’intéresse surtout à les développer, ce qui lui attire de la part de toutes les populations qui commencent à peupler l’Algérie et des indigènes favorables à la France une symphatie sincère et légitime. Mesuré dans ses efforts militaires, le Général Voirol préfère se rendre utile et il y réussit.
Le Général Drouet d'Erlon
La question de l’organisation de l’ Administration civile de l’Algérie, qu’il conviendrait de libérer de toute influence militaire, préoccupe sérieusement le Gouvernement et la Chambre ; enfin après débats et concertations,une Ordonnance Royale du 28 Juillet 1834 décide qu’un Gouverneur Général serait nommé, à qui seraient confiée l'administration des possessions françaises de l'Afrique du Nord ».
C’est un premier pas de grande importance qui vient d’être franchi mais il n’est suivi que d’un pas d’importance mineure quand au choix des Gouverneurs de l’Algérie, puisque c’est encore dans les rangs de l’ Armée qu’ils seront choisis.
Ainsi, le Général Drouet d’Erlon, survivant de l’empire, âgé de soixante-neuf ans est nommé Gouverneur Général de l’Algérie. L’administration de ce premier Gouverneur ne répond pas aux attentes des milieux politiques et il quitte l’Algérie où arrive pour le remplacer, Clauzel , devenu Maréchal de France, toujours doué à plus de soixante ans de l’éclat de son tempérament optimiste, fougueux et impulsif, prompt aux initiatives soudaines et décisions personnelles, mais toujours excellent militaire habile à commander les troupes.
Le Maréchal Clauzel ( le retour)
Nouveau Gouverneur de l’Algérie, le Maréchal Clauzel n’a de cesse de venger son échec de 1831 et veut reprendre Médéa . Mais il estime d’abord urgent pour asseoir son prestige, de battre ou au moins d’affaiblir les positions de l'Emir Abd-el-Kader.
Sans plus tarder, Le Maréchal Clauzel forme près d’Oran un corps de 10 000 hommes environ , entre en campagne avec ardeur, bat aux bord du Sig et ensuite de l’Habra les contingents de l’Emir, puis à travers les monts et montagnes qu’il franchit rapidement et avec enthousiasme à la tête de son escorte, devançant le gros de l’armée, il investit et s’empare de Mascara le 6 décembre avec un certain panache. Toujours très actif et impatient d’agir, il rentre à Oran le 18 décembre avec l’intention d’investir Tlemcen à l’ouest, met son projet à exécution et le 10 janvier 1836 pénétre avec ses troupes dans la citadelle de Méchouar ; ses soldats dressent leurs campements dans les campagnes, jardins et vergers alentours et sous les magnifiques oliviers qui entourent la ville. Le Maréchal Clauzel se sent prêt pour reconquérir Médéa, il regagne Oran, puis Alger, sa volonté le pousse à vouloir reprendre par le col de la Mouzaïa la petite cité de Médéa située à sa descente, déjà occupée en 1830 et évacuée par lui-même, reconquise et perdue ensuite par le Général Berthezène son successeur. Au printemps de 1836 il part en expédition pour réaliser son projet, le col est franchi de nouveau avec effusion de sang de part et d’autre, il pénètre dans Médéa et n’y reste que le temps d’installer un chef indigène .
Toutes les victoires du Maréchal Clauzel auront un sort éphémère : après avoir occupé Mascara il s’en lasse, décide de l’évacuer quelques jours après, non sans avoir tenter de l’incendier, mais une pluie providentielle protège la ville ; à Tlemcen il frappe la ville de contributions contestées par la population indocile et violente prête à s’attaquer aux collecteurs qui se trouvent ainsi en péril, et enfin il laisse la garde de cette citadelle au Capitaine Cavaignac lequel malgré sa vaillance sera bientôt encerclé et enfermé la-bas. A Médéa le Chef indigène qu’il installe n’est pas accepté par la population indigène et est renversé quelques jours plus tard.
Mais rien n’arrête le Maréchal Clauzel dans ses projets et décisions qui pourtant demanderaient à être mûris et soigneusement préparés. C’est un homme d’action immédiate, confiant en sa chance ; il n’est jamais à court d’imaginations et d’ambitions. Il veut maintenant destituer le Bey turc Achmet qui domine la ville de Constantine, encore presque inconnue de nos forces de conquête, tant militaires que civiles.
Ce n’est pas une mince entreprise qu’il envisage là et qu’il entend entreprendre le plus rapidement possible avec son optimisme et sa fougue coutumière. Cependant, il lui faut au préalable obtenir du Ministère et de la Chambre , les hommes, le financement et les ressources indispensables à la préparation, la mise en oeuvre et la réalisation de ce projet, et son enthousiasme se teinte quelque peu d’inquiétude : par le vote du contingent et du Budget, la Chambre peut tout permettre ou tout bloquer. L’avenir de la colonie à ce titre dépend d’elle pour une partie non négligeable. Au Palais-Bourbon les députés ignorent presque tout de l’Algérie, leur vision de ce pays est essentiellement peuplée des informations que les quelques curieux d’entre eux ont reçues des chefs militaires. D’autres députés sont contre toute expansion coloniale coûteuse en capitaux et en hommes. Les avis sont partagés. Le Ministre de la Guerre reçoit toutes les informations et les rapports mais ne divulguent pas ceux qui peuvent provoquer des polémiques politiques et déstabiliser le Gouvernement.
La conquête de l’Algérie se poursuit sur un compromis , un consensus précaire et fragile, souvent remis en cause, à tel point que le Duc de Broglie, ministre des Affaires Étrangères avait du déclarer le 19 février 1833 au Palais-Bourbon : « On a paru craindre qu'il n'y eut , à l'égard de l"Algérie , quelque convention secrète qui empêchât le gouvernement de prendre tel ou tel parti que bon lui semblerait. Je dois rassurer la Chambre. Il n'existe aucun engagement quelconque … La France est parfaitement libre de faire à Alger tout ce qui paraîtra conforme à son honneur et à ses intérêts .... » A la suite de cette déclaration ambiguë, des commissaires désignés en septembre 1833 furent chargés de visiter minutieusement l’Algérie. A leur retour ils se regroupèrent dans une commission, la « Commission d"Afrique », pour examiner entre-eux les résultats de leurs investigations et observations avant de publier leur conclusion . D’après eux : « il y avait lieu de conserver l"Algérie, mais en se bornant provisoirement, et sauf extensions ultérieures, à une solide occupation des côtes ».
En 1834 au cours d’un débat mouvementé à la Chambre, Monsieur de Sade déclare : « L'Algérie est la plus folle des entreprises, un gouffre où viendront s"engloutir toutes les richesses du pays » et Monsieur Hyppolyte PASSY, Rapporteur du Budget de la Guerre, sans prononcer le mot d’un retrait, renchérit et se montre hostile à cette entreprise : « Je donnerais, dit-il, l’Algérie pour une bicoque du Rhin ».
Le Maréchal Clauzel , Gouverneur Général de l’Algérie, n’ignore pas en 1836 toutes les différentes appréciations et dissensions qui ont existé et qui subsistent encore à la Chambre, au Ministère et dans l’opinion française sur la question Algérienne. Il reste encore de grands territoires et des villes à conquérir. Certaines villes comme Bône par exemple n’a pu être conquise qu’après plusieurs occupations, abandons et reprises qui ont donné lieu à des massacres des conquérants et des combats incessants. D’autres villes et petites cités ont connu le même sort. Certes, notre situation en Algérie s’affirme au fil des années mais est encore bien loin d’être sûre et consolidée et les intentions du Gouvernement ne sont pas nettement déterminées. Le Maréchal Clauzel est impatient. Le projet de Constantine lui paraît indispensable pour soutenir le prestige de la France.
Le 14 Avril 1836 il part pour la France en vue d’obtenir du Ministère et de la Chambre tous les moyens en ressources et en hommes nécessaires à la prise de Constantine.
La situation politique ne plaide pas en sa faveur : dans le conseil des Ministres Monsieur Hyppolite PASSY est un ennemi acharné de la colonisation algérienne et ne cache pas son désaccord sinon son désaveu; la commission du Budget quand à elle préconise l’économie plutôt que les dépenses. Pour compléter le tout, des nouvelles alarmantes arrivent d’Alger, rapportant que le 25 Avril l’Emir Abd-el-Kader a infligé un sévère échec au général d’Arlanges au cours d’un affrontement près du marabout de Sidi-Yacoub.
Tenace, volontaire au-delà de toute prudence, risquant sa carrière façe à ces politiques qui gouvernent et peuvent tout, le Maréchal Clauzel continue à plaider sa cause, ne désarme pas , ne se laisse pas décourager, et par chance il trouve en son ami Monsieur Thiers, Chef du Cabinet, un appui efficace. En 1830 Monsieur Thiers comme tous les journalistes de l’opposition avait désavoué la conquête de l’Algérie. Mais au fil du temps son esprit souple l’a conduit à réviser sa position et il est maintenant en 1836 un ardent partisan de la colonisation. Il soutient et encourage Clauzel ; de bonnes nouvelles viennent conforter les espoirs du Maréchal Clauzel : Bugeaud, simple Maréchal de camp est nommé Commandant de la province d’Oran et l’on apprend qu’il vient de venger , par un valeureuse victoire au bord de la Sikkak, l’échec de Sidi-Yacoub. La situation semble évoluer en faveur du projet d’expédition de Clauzel. Des dispositions sont prises en ce sens.
Clauzel confiant rentre à Alger pour apprendre une mauvaise nouvelle : la chute de son ami Thiers. Tout peut être remis en cause .. Sous la présidence du comte Molé, le nouveau cabinet est formé. Ce cabinet veut une occupation restreinte, on tente de réduire les crédits précédemment promis ; Clauzel menace de se démettre, on envoie pour l’intimider un possible successeur, le Général de Damrémont, rien n’y fait. Mais avant la chute du précédent Gouvernement, l’expédition de Constantine avait déjà été annoncée, déjà des ordres avaient été donnés pour les troupes, il n’était plus possible d’encourir le discrédit d’un subit abandon de l’expédition projetée. Clauzel impétueux envoie dépêches sur dépêches à Paris et son aide de camp afin d’obtenir comme promis auparavant des renforts et des ordres officiels.
Le nouveau Ministre de la Guerre refuse les renforts et les ordres officiels. Le Gouvernement très peu favorable à l’occupation totale, et craignant un échec, se fixe dans une attitude équivoque et n’osant pas toutefois arrêter l’expédition, il ne donne pas d’ordre officiel mais une simple autorisation.
Le 28 Octobre 1836 nonobstant ces aides atténuées, Clauzel se décide à l’action, quitte Alger pour arriver à Bône le 31 Octobre où s’achève la formation du Corps expéditionnaire rassemblé pour soumettre Constantine et sa Région dominée par le Bey Achmet. Ce corps expéditionnaire, fort de 8700 hommes environ, dont parmi eux 1.300 indigènes ralliés, est composé d’hommes provenant des Corps de troupes d’Alger, d’Oran,de Bougie,venus par mer, certains d’entre eux affaiblis par la fièvre ne pourront entrer en campagne ; la question d’armement et de matériel pose problème, une grosse artillerie fait défaut et il manque aussi un nombre impressionnant de bêtes de somme.
Ces défaillances tenant au Corps expéditionnaire se complètent par les difficultés de l’entreprise : Une route de plus de quarante lieux à parcourir à travers une région inconnue et hostile, et une absence presque totale de renseignements sur les forces, moyens de défense et positions de l’ennemi. Ces insuffisances n’atteignent pas le moral de Clauzel qui reste toujours persuadé de la force du Corps expéditionnaire et de la supériorité stratégique des officiers français.
Entre-temps en France l’opinion de certains hommes politiques et du Gouvernement a évolué , sans encourager ouvertement l'expédition on souhaite qu’elle réussisse, ne serait-ce que pour justifier aux yeux des politiques opposantes et de l’opinion publique les moyens consentis et l’autorisation accordée, à défaut d’ordres officiels.
C’est ainsi que se trouve aux côté du Maréchal Clauzel, un Prince fils du Roi Louis-Philippe, Louis Charles Philippe d’Orléans, Duc de Nemours, qui s’était distingué en 1832 lors du siège d’ Anvers.
Le départ est bien ressentit, on se réjouit de quitter la ville de Bône ou règne à l’époque un climat insalubre et où les troupes avaient été entassées, inconfortablement en l'absence de structures d’accueil adaptées.
Mais dès le départ des épreuves surviennent pendant la progression des troupes et commencent à tarir leur gaieté. Des pluies torrentielles se déversent , détrempent le sol qui s’enfonce sous les sabots des chevaux et des roues des voitures, les petites rivières et ruisseaux se transforment en torrents , débordent et inondent les routes, il en résulte la perte ou l’abandon forcé par les circonstances de matériel et de bétail. Toujours confiant en sa chance et en lui-même et toujours doué d’un optimisme de fer , le Maréchal Clauzel espère qu’il entrera facilement dans Constantine sans combat, comme jadis à Mascara et Tlemcen. Cet espoir, aux abords de la ville, s’avère incertain sinon impossible. L’antique Cirta établie sur un immense massif rocheux, domine fièrement le site, entourée de deux côtés par les gorges du Rhumel qui serpente dans un ravin profond, et d’un troisième côté protégée par des escarpements rocheux inaccessibles ; un seul point de communication au Sud la rattache à la terre et peut la rendre vulnérable. C’est par ce point que les troupes tentent une reconnaissance difficile des lieux et s’avançent pour commencer le siège de la ville qui parait silencieuse.
Subitement au sommet de la Kasbah un drapeau rouge se déploie en même temps qu’un coup de canon retentit suivi de plusieurs autres, l’ennemi sugit de tous côtés , prend position dans tous les postes de défenses et dehors la cavalerie rassemblée sous le Bey Turc Achmet attend les premiers signes favorables pour fondre sur l’envahisseur du sol, combattu en tant que tel, mais encore plus en tant que chrétien . Tous ces combattants sont animés d’une force morale de résistance, doublé de la connaissance des lieux, de la commodité des replis, et sont sûrs de la confiance et de l’aide que leur accordent les habitants de Constantine.
Le Maréchal Clauzel sûr de la vaillance des Officiers qui sont à ses côtés, de la valeur et du courage des hommes qui sont sous leur commandement, garde confiance. Parmi les Officiers trois se trouvent distingués entre autres connus mais moins célèbres, il s’agit du Lieutenant-colonel Duvivier, combattant des premières heures de la conquête, connu pour sa sévérité ombrageuse mais qu’une exceptionnelle intelligence fait respecter de tous, du chef de Bataillon Changarnier apprécié de Clauzel , Commandant du 2e léger qui a déjà prouvé avec son valeureux bataillon son courage et son ardeur au combat , et du Général Trézel affaibli de corps, ce qui n’affecte en rien bien au contraire sa vaillance et son adresse au combat.
Trois jours de siège et de combats préparent et précèdent l’action, l’ennemi résiste, et à l’arrière de nos troupes des cavaliers arabes auxquels se sont joints des pillards guettent le moment propice pour opérer une razzia sur le convoi de vivres resté bloqué sur une route envahie de boues,dans une véritable fondrière infranchissable pour le moment, convoi de vivres que certains hommes d’ escortes indisciplinés commencent déjà à piller. Soudain les cavaliers arabes et leurs complices fondent sur le convoi et enlèvent toutes les vivres en une véritable razzia sanglante qui laisse plus de cent hommes massacrés sur le terrain.
Cette douloureuse catastrophe qui prive les troupes de vivres se double de l’épuisement des munitions par trois jours de siège et l’on ne peut plus différer l’attaque. Dans la nuit du 23 au 24 novembre , le Général Trézel tente de s’avancer sur la ville par le l’est et le Général Duvivier par le sud, mais la lune dans une nuit d’un ciel sans nuages éclaire et dévoile notre marche à l’ennemi qui redouble de tirs, Trézel tombe gravement blessé ; malgré ses efforts et son sang-froid Duvivier ne peut continuer et prend le parti de la retraite. Celle-ci commence à s’opérer dans la hâte et la confusion, les cavaliers arabes et les pillards sont toujours à l’affût pour tenter une nouvelle razzia, et les ennemis tiennent prêts leur cavalerie pour se lancer contre nos troupes à l’aube. Changarnier avec ardeur se charge de couvrir la retraite inévitable avec son bataillon du 2° léger, fort de 350 hommes seulement. Avec une vigilance extrême et une conscience de soldat exemplaire, il rassemble avec ses soldats, les cartouches des blessés et des éclopés pour les donner aux combattants, et au passage il ramasse ce qu’il faut pour les nourrir, vivres, riz, eau-de-vie, sans oublier de recueillir les soldats blessés qui n’ont pu rallier leurs corps et enfin il enlève aux ennemis arabes tout ce qu’il peut, vivres et munitions. Mais les cavaliers arabes ennemis féroces et menaçants s’approchent de plus en plus de la colonne au risque de l’enserrer, avec sang froid Changarnier fait former le carré et ses hommes disciplinés savent qu’ils ne doivent tirer qu’à son commandement , c’est l’instant crucial et décisif où les combattants, le regard à l’aguet et le coeur battant savent que la bataille peut décider du sort de la victoire, selon leur adresse et leur promptitude à obéir au commandement d’un chef infaillible. Les cavaliers arabes rendus un peu trop présomptueux ou courageux par l’apparence de notre retraite qu’ils confondent avec une défaite s’avançent à bonne portée, « VIVE LE ROI ! » commande d’une voix forte aussitôt Changarnier, c’est le noble et fier signal de l’ouverture du feu, les armes françaises crépitent furieusement, les cavaliers arabes visés et atteints de plein fouet tombent, les survivants font rapidement demi-tour, tourbillonnent et disparaissent dans des hurlements de douleur ou de désespoir , laissant le sol jonché de leurs blessés et de leurs morts.
A une heure du matin le bataillon héroïque et son Commandant Changarnier rejoignent le gros de l’armée où une longue ovation acclame celui qui vient de sauver l'honneur des troupes et d’assurer leur salut. Le recul de la retraite, couvert par Changarnier et son bataillon s’opère grâce à eux sans aucune déroute en dépit de quelques jours de privations, de fatigues et pour certains d’amertume et de déception, face à la mauvaise fortune qui ne leur a pas permis d’investir Constantine. Enfin on arrive à Guelma, on trouve des vivres, des médicaments, des lieux et abris et on peut soigner les blessés et les malades. Le 30 novembre le corps expéditionnaire rejoint Bône.
L’expédition selon un bilan établit dans les jours qui suivent ce retour, fait ressortir 700 morts, soit au combat, soit par maladie ; on dénombre de très nombreux blessés dont certains ne survivront pas et des malades dans les hôpitaux. Début décembre, l’armée ne compte plus que 3000 hommes environ valides dont certains périront dans l’épidémie de typhus qui ravage Bône et sa région,et comme un malheur ne survient jamais seul, une catastrophe, l’explosion d’une poudrière, vient affaiblir les troupes dont une centaine d’hommes disparaissent sans compter deux cent blessés.
Clauzel instigateur et initiateur impatient de cette expédition, n’avait pas eu la prudence d’attendre le temps nécessaire pour obtenir des responsables du Gouvernement et de la Chambre, tous les moyens en ressources, en armements et en hommes nécessaires avant d’ entreprendre cette entreprise de grande envergure, Clauzel qui rappelons-le n’avait pu obtenir du Gouvernement que des moyens atténués et insuffisants et une simple autorisation du Gouvernement au lieu d’ordres officiels, aurait dû s’il avait été assez sage pour celà reporter cette expédition. Il ne le fit pas. Emporté par son désir de gloire et de grandeur militaire et de plus persuadé de la nécessité de mettre à exécution son projet dans l’intérêt de la poursuite de la conquête, par l’établissement de notre force et de notre présence dans ces régions rebelles, il avait de plus sous-estimé les moyens et la capacité de résistance des ennemis, et négligé d’envisager les incidents de parcours qui pouvaient survenir en cours de route, non seulement les intempéries pourtant habituelles en cette saison mais encore les risques de razzia des cavaliers arabes et des pillards,et en conséquence Clauzel supportait seul vis-vis du Gouvernement et de la Chambre tout le poids sinon d’une défaite mais de l’échec de cette tentative expéditionnaire. Son échec venait malencontreusement accréditer les tenants de la circonspection en matière d’expédition et les opposants de première heure de la colonisation. Son maintien en Algérie devint insoutenable aux yeux du Gouvernement et de la Chambre, il fût rappelé en France et remplacé par le Général Damrémont.
Le Général Damrémont
Réputé par sa prudence, son pouvoir de réflexion et de contrôle, sa crainte des risques inutiles, sa discipline envers l’autorité du Gouvernement, son absence d’initiative personnelle face aux instructions reçues, le comportement du Général Damrémont est tout à l’opposé de celui du Maréchal Clauzel composé, comme nous l’avons vu de panache, d’optimisme, de noble brillance,de grandeur,de fougue, d’impatience, comportement qui ne manque pas de porter atteinte à sa valeur militaire pourtant reconnue comme supérieure à celle de son successeur.
Le Général Damrémont n’a pour ambition que de suivre les instructions reçues de Paris, de s’y conformer strictement avec une fidèle obéissance, et celà lui coûte d’autant moins qu’il partage les idées de la majorité du Gouvernement et de la Chambre, non par opportunisme mais par conviction personnelle.
Son programme développé à l’un des ministres est simple et empreint d’une timide sagesse qui trahit le peu de confiance qu’il a à entreprendre par lui-même : « La sagesse, écrit-il dans une lettre adressée à ce ministre, est d'occuper quelques points biens choisis sur la côte ou à l'intérieur et de les ouvrir à la colonisation … »
Il pense qu’il faut ne s’étendre que peu à peu, progressivement, avec prudence en ne s’avançant que sur des positions pacifiées pour n’être jamais contraints d’abandonner, ce qui risquerait de porter atteinte au prestige français.
La prudence Gouvernementale, celle de la Chambre, celle de Damrémont s’accordent sur une occupation progressive, mais les Généraux soucieux de l’honneur militaire souhaitent venger le récent échec de Clauzel, et s’ils prônent le pacifisme pour l’avenir il y a pour eux dans l’immédiat une dette de guerre à régler . L’armée est assez forte pour influencer les politiques et faire valoir son point de vue pour relever l’honneur de la France en Algérie aux yeux des population en cours de colonisation.
En dépit de ces belles intentions «d’occupation progressive » le projet d’une nouvelle expédition sur Constantine se précise. Il convient auparavant de consolider notre présence dans la province d’Oran ou commande le Général Bugeaud lieutenant-général , à l’époque brillant « apprenti » de la Guerre d’Afrique.
En ces mêmes lieux, en face de lui , sévit de nouveau comme notre ennemi l’Emir Abd-El-Kader en rupture d’un précédent traité. Bugeaud sollicite l’autorisation de négocier avec lui un nouveau traité, et l’obtient, sous condition qu’il exige de l’Emir le paiement d’ un tribut et que son occupation se limite à la rive gauche du Chélif.
Bugeaud ne dépend pas dans ses décisions de Damrémont, mais d’un caractère tout aussi indépendant que Clauzel bien que plus adroit et réfléchi, s’affranchit à cette occasion des directives du Gouvernement et négocie et signe lui-même avec l’Emir un traité dont l’analyse peut surprendre tant il accorde de droit à cet adversaire redoutable. Aux termes de ce traité l’Emir n’est tenu qu’à une simple reconnaissance de notre possession algérienne, accepte de n’acheter ses armes et ses munitions qu’en France, en contrepartie nous gardons à l’Ouest, Oran, Mostaganem, Arzew et leurs territoires et dans la province d’Alger, la Ville d’Alger, le Sahel, les villages et la plaine de la Mitidja, Blida et Koléa.
Contre toute attente cette convention qui s’éloigne des directives reçues, est ratifiée sans discussion à Paris, peut-être dans un souci d’apaisement. Cette convention a le mérite de tranquilliser temporairement sur les risques de l’Ouest, au moins pendant le temps nécessaire à une prochaine opération sur Constantine qui se profile comme inévitable pour relever l’honneur militaire de la France. Abd-El-Khader de son côté espèrel’affaiblissement du Bey turc Achmet , les français connaissent son espérance et en tirent la conclusion que l’Emir ne rompra pas ces nouveaux accords au moins jusqu’à la soumission de Constantine et la destitution du Bey.
Le programme d’occupation restreinte ou progressive préconisé par Damrémont en accord avec le Gouvernement n’est momentanément plus à l’ordre du jour ….
Les erreurs de la précédentes expédition permettent de préparer au mieux cette nouvelle entreprise. Il n’est plus question comme en 1936 d’espérer une reddition rapide, on sait par expérience que l’ennemi est doué d’une forte capacité de résistance et qu’il faudra disposer de tous les moyens pour gagner le combat. L’artillerie est renforcée et on se pourvoit d’un important matériel de Siège. On adjoint au Général Damrémont, l’un des généraux le plus réputé parmi les artilleurs, le Général Valée et l’on décide de fixer le départ en début Octobre 1837 au lieu du début Novembre, afin d’éviter les rigueurs d’une éventuelle fin d’automne pluvieux et avec l’espoir d’en avoir terminé bien avant la fin du mois d’octobre. Le lieu de rassemblement du Corps expéditionnaire mieux situé géographiquement que Bône est fixé au camp de Mjez-Ahmar, à quelques kilomètres de la Seybouse.
Le Corps expéditionnaire se met en route le 1er Octobre, peu d'incident, mais à la dernière étape un orage violent se déchaîne et une escarmouche vite étouffée se dessine dans la cavalerie. Le 5 Octobre 1837 Constantine au loin apparaît à travers les mamelons des hautes collines et tous se pressent pour la voir. À 9 heures du matin, le 6 Octobre l'avant garde débouche sur le plateau de Mansourah, la ville de Constantine n'est plus qu'à deux kilomètres.
Sur les hauteurs nord de Constantine dominent les vastes bâtiments de la Kasba, à l'est et à l'ouest de la ville, Bab-el-Raïbas et Bab-El-Kantara et tout en bas des immenses gorges escarpées, un grand ravin au fond duquel roulent les eaux du Rummel.
Achmet-bey se tient dans la campagne avec ses cavaliers et c'est le farouche et brave au combat Ben-Aïssa qui commande et défend la ville avec une très grande force de résistance. Des insultes et clameurs de malédictions s'élèvent à l'approche de nos combattants et se répercutent jusqu'aux avant-postes. D'immenses drapeaux rouges flottent sur tous les édifices et appellent au combat et déjà quelques kabyles tentent vainement d'arriver jusqu'à nos lignes.Le Général Damrémont commande l'armée mais pour cette opération le rôle principal appartient au Général Valée, Chef de l'Artillerie. D'aprés son examen des lieux il décide que le point d'attaque doit être le Coudiat-Aty, hauteur située sur la rive gauche du Rummel au sud-ouest de Constantine, seul côté qui rend la place accessible et pour combattre l'artillerie ennemie en position à la Kasbah, il fait établir trois batteries sur le plateau de la Mansourah.Le Quartier général s'installe à Sidi-Mabrouck mais en même temps l'exécution commence. Dans l'après midi le Rummel est franchi par la 3° et la 4° brigade sous le feu opiniâtre des assiègés mais nos valeureux soldats parviennent à s'établir parviennent en arrière du Coudiat-Aty, alors que nos troupes continuent à renforcer l'installation des batteries sur le Mansourah. Les intempéries, la disposition des lieux, la défense des ennemis, nous oblige à des efforts intenses pour défendre nos positions et notre progression. Constantine construite sur son monumental massif rocheux, entourée au nord, à l'est et à l'ouest de vertigineux escarpements qui rendent la ville quasiment imprenable s'offre fièrement et de haut à la contemplation. On pressent qu'autour d'elle les terrains ravinés rendront difficiles les mouvements de troupes et les transports de matériels autant que le tir de l'ennemi.
(à suivre)