Discussion:Historique El Affroun - Ville
Bertrand 14 décembre 2007 à 14:46 (CET) Quelques phrases m'ont fait bondir en lisant l'article. Bon sang mais c'est bien sur! Le père Duvollet, je l'ai déjà pris plusieurs fois la main dans le sac. Voilà la véritable source et l'article original.
Et en plus, il y a écrit en page de garde du bouquin: La reproduction partielle ou intégrale des exposés composant cette publication est autorisée sous réserve d'en mentionner la source et le nom de l'auteur.
Rendons à César...
Sources: Aspects et réalités de l'Algérie agricole - Association des Anciens Elèves de l'Institut Agricole d'Algérie - 12, boulevard Baudin, Alger - Jules Carbonnel éditeur, Alger
EL AFFROUN
par
Jean-Marcel MOREAU - Ingénieur Agricole (Alger, 1946) - Chef du Laboratoire des Associations Agricoles d'El-Affroun (Alger)
Paul POUNY - Auditeur régulier à l'Institut Agricole d'Algérie (1947) - Chef de service des Associations Agricoles d'El-Affroun (Alger)
et Marcel SURZUR - Ingénieur Agricole (Rennes, 1924) - Directeur des Associations Agricoles d'El-Affroun (Alger)
Le pays
Entre le Gué du Bou Roumi et celui de l'Oued Djer, au pied de l'Atlas Tellien, de basses collines s'avancent sur les alluvions de la plaine. Elles dominent et surveillent les routes antiques de Sufazar (Blida) à Cesarae (Cherchell) et la voie romaine de l'Oued Djer au Chéliff par Miliana et Appidium Novum (Affreville). Point de passage obligatoire au Sud des marécages du lac Halloula et de la Mitidja, ce tronçon de route a toujours été le lieu des batailles que livraient les montagnards avides, encadrés par les Turcs, aux caravanes et aux voyageurs mal gardés ainsi qu'aux laboureurs de la vallée. Telle est l'origine du nom "El-Affroun", c'est-à-dire "les combats", d'où est issue la légende du brigand Affroun, fils du démon Aa'fritt, toujours ressurgissant de la brousse, éternelle incarnation du coupeur de routes aux instincts démoniaques. Ce nom de lieu, transmis par la langue du pays, évoque les plus terribles réalités : le vol, le pillage, le viol et le rapt des femmes, la razzia des troupeaux, l'incendie des habitations, la torture et le meurtre des hommes qui défendaient leurs familles ou leurs pauvres moyens de subsistance, en un mot, l'oppression : c'est tout cela qu'a fait cesser la pacification française à partir de 1840.
La colonisation française
De 1848 à la fin du 19ème siècle, l'histoire d'El-Affroun est l'histoire douloureuse de la plupart des villages de colonisation de la Mitidja, de leurs débuts souvent tragiques, dans des territoires infestés de paludisme, avec le typhus, le choléra, la dysenterie endémiques. Les pionniers de la colonisation agricole de 1848-1849, suivis des déportés de 1850 et des colons libres des années suivantes, ont peu à peu transformé cette « terre infernale » comme on l'appelait alors. Ils n'avaient pas eu la chance de trouver réunis, sous un climat modéré, un sol facile à exploiter et de l'eau en quantité suffisante pour les hommes, les animaux et les cultures. Leurs efforts furent rudes, à la mesure de la nature hostile, et le succès vint lentement. Cette lenteur d'ailleurs n'est pas seulement imputable aux tâtonnements et aux erreurs individuelles ou collectives des colons : il serait contraire à la vérité historique d'ignorer les lenteurs de l'administration de ce temps, qui pesèrent très lourdement sur l'avenir de cette colonie agricole. Rien n'était fait de ce qu'elle avait promis : les maisons n'étaient pas construites, les rues n'étaient marquées que par des piquets fichés en - terre. Les arrivants furent entassés pêle-mêle dans des baraques où la promiscuité rendait la vie douloureuse. Les semences annoncées par l'Etat n'arrivaient pas, le matériel agricole, même l'outillage de jardin, était de qualité plus que médiocre. La viande, corrompue et immangeable, fut supprimée, puis remplacée par de la morue... Cependant — les documents historiques en témoignent — les colons de 1848 n'ont pas plus mal réussi que ceux établis par l'Etat, en Algérie, à d'autres époques. S'il y eut des défaillants, ils furent remplacés au fur et à mesure. Quand ils eurent surmonté les mille inconvénients provenant d'un changement de climat et du bouleversement de leur vie, de leur métier, de leurs habitudes, ils se montrèrent aussi tenaces, aussi travailleurs, aussi économes que leurs devanciers ; ils ajoutèrent à ces qualités un esprit d'initiative et d'entreprise qui les conduisit au succès. Les épreuves ne leur avaient pas été épargnées : les terribles épidémies causaient l'encombrement des cimetières, les tremblements de terre qui laissaient toutes les maisons en ruines et des dizaines de cadavres sous les décombres, les nuages de sauterelles qui ravageaient les récoltes apportant avec elles la famine et le typhus ; toutes les angoisses et toutes les souffrances, les pionniers les ont endurées de 1848 à 1870 avec une ténacité et un courage indomptables.
Quand l'industrie du crin végétal, de création récente dans le Sahel, fut transportée, en 1869, à El-Affroun, le bien-être entra partout ; les salaires et les profits améliorèrent la condition générale. Jusqu'à la grande époque de la viticulture, on peut dire que les colons de ce pays ont vécu et prospéré de la production du crin végétal. Mais le destin d'El-Affroun fut définitivement fixé quand vinrent la vigne et le tabac, cultures riches et sociales.
L'esprit de collaboration,de mutualité et de coopération tut la torce vive et le levier qui donna tout son essor à cette belle région. Comme dans toutes les autres régions agricoles de l'Algérie, cet esprit se manifesta par d'importantes réalisations et créations parmi lesquelles les associations agricoles méritent la première place.
Les associations agricoles d'El-Affroun
Les associations agricoles d'El-Affroun se sont attachées à réaliser une oeuvre double : créer des institutions tendant à l'accroissement de la richesse générale, c'est-à-dire une amélioration de la production agricole, en utilisant comme moyen d'action la coopération. L'ensemble de ces institutions forme ce que l'on peut appeler l'oeuvre économique ; créer d'autre part des institutions tendant à faire profiter la population entière de la prospérité ainsi accrue, en contribuant au mieux-être de tous : c'est là l'oeuvre sociale.
I. Institutions économiques.
LA CAISSE RÉGIONALE D'EL-AFFROUN.
La Caisse Régionale s'est fixée pour but essentiel de faciliter, par le crédit, la tâche combien difficile des colons et des fellahs. En 1955, les prêts consentis se sont élevés à plus d'un milliard et demi de francs dont furent bénéficiaires 200 sociétaires européens et 450 sociétaires musulmans. Par ailleurs, administrée de façon très souple, elle est devenue familière à la majeure partie de la population de la région qui lui confie toutes ses opérations bancaires et d'importants dépôts de fonds. Elle a vraiment été, et reste encore, la base solide sur laquelle repose tout ce qui existe dans la zone d'El-Affroun en fait d'oeuvres mutualistes et sociales, dont la création eût été impossible sans elle.
LE SYNDICAT AGRICOLE D'EL-AFFROUN. Son rôle est de grouper les commandes de ses adhérents, afin d'obtenir des conditions de prix intéressantes, en même temps que des produits d'une qualité indiscutable.
LA TABACOOP DE LA MITIDJA. C'est certainement l'une des créations dont le succès a été le plus complet. La Tabacoop joue un rôle de premier plan dans la culture du tabac de la région, en défendant le producteur et en s'efforçant d'améliorer la culture. Ello groupe actuellement 849 sociétaires dont 643 Musulmans, et 2.028 usagers dont 1.837 Musulmans. En 1955, les apports se sont élevés à près de 40.000 quintaux, représentant environ 600 millions de francs.
LA CAVE COOPÉRATIVE D'EL-AFFROUN. Comme toutes les autres Caves Coopératives, si répandues en Algérie, elle rend de très gros services aux petits propriétaires qui ne peuvent pas posséder une cave personnelle. Elle pratique tous les genres d'assurancesagricoles selon la forme mutualiste. Ses clients sont au nombre de 253, parmi lesquels on compte 106 Musulmans. Ce rapide exposé, forcément incomplet, suffit à montrer que, grâce au fervent esprit mutualiste des colons de la région d'El-Affroun, à l'origine seuls artisans de la coopération, les conditions de la production agricole ont pu être notablement améliorées.
II. Institutions sociales. Les associations agricoles d'El-Affroun auraient jugé qu'elles avaient incomplètement rempli leur rôle si elles n'avaient pas prolongé leur oeuvre économique par un ensemble de réalisations sociales de même envergure. Ici comme là, l'idée directrice a été d'étendre à tous des bienfaits réservés à une minorité de privilégiés. En particulier, les associations agricoles ont fait porter leur effort sur la population indigène, cherchant à la faire profiter de leur activité économique et à l'associer à leur oeuvre. LA VITICOOP D'EL-AFFROUN Elle a pour but la distillation des v i n s, des lies, des marcs et 1 a rectification d e s alcools ainsi produits. Elle groupe 89 adhérents en grande major i t é d'origine européenne.
LE SYNDICAT D'ELEVAGE Ce syndicat permet aux agriculteurs d'améliorer leur cheptel dans de bonnes conditions.
El-AFFROUN-ASSURANCES SOCIALES Cet organisme créé en 1949, assure le service de la Sécurité Sociale agricole de la région. Cette caisse perçoit les cotisations patronales et ouvrières, constitue les dossiers éventuels de ses assujettis et paye les prestations correspondant aux maladies. Elle assure un pécule à la naissance et un capital aux ayants-droits de l'assuré social décédé. El-Affroun-Assurances Sociales groupe actuellement 2.800 assujettis, correspondant au personnel des 190 propriétés de sa circonscription.
L'ECOLE PROFESSIONNELLE Elle forme, depuis 1933, des ouvriers spécialistes de la motoculture. Elle a permis à de nombreux Musulmans d'acquérir une instruction technique faisant d'eux des ouvriers qualifiés.
LA SOUPE SCOLAIRE ET POPULAIRE Celle-ci fonctionne, depuis 1927, sous l'autorité de la directrice de l'école de filles, et distribue des repas chauds aux élèves nécessiteux et aux indigents de la commune.
L'OEUVRE DES ENFANTS D'EL-AFFROUN A LA MONTAGNE Cette oeuvre assure un séjour dans la station d'altitude de Chréa aux enfants dont les parents ne peuvent consentir de tels frais.
Un aspect caractéristique de l'action menée tant par les associations agricoles d'El-Affroun que par toutes les associations agricoles d'Algérie réside dans la part de plus en plus importante faite aux populations indigènes et aux problèmes qui sont les leurs : éducation de l'élément autochtone, amélioration de son niveau de vie, accélération de son évolution. Une personnalité métropolitaine éminente a déclaré, à la suite d'une visite en nos murs : « ... Nous pensions, en venant en Algérie, vous aider des conseils de notre vieille expérience dans la voie de la mutualité et de la coopération, mais nous devons reconnaître en toute sincérité que, si nous n'avons rien à vous apprendre en cette matière, nous avons en revanche de riches enseignements à tirer de vos réalisations sociales et humanitaires. »
Ainsi, jusqu'au 1er novembre 1954, date à partir de laquelle le terrorisme tente de détruire les bienfaits de 114 ans de présence française, on a pu dire qu'El-Affroun était une heureuse bourgade où chacun pouvait accéder à une vie libre de plus en plus large et aisée, avec la possibilité pour le paysan musulman, comme pour le colon français, de vivre paisiblement de son travail et d'élever une famille dans la sécurité du lendemain.