Antiquité - Afrique du Nord et empire romain
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De 146 avant J.C. à 439 : environ six siècles
L’Afrique romaine de l’océan Atlantique jusqu’à l’aplomb de la Sicile englobait, au IIIe siècle, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine (la Libye privée de la Cyrénaïque). Elle s’est construite irradiant à partir du site de Carthage.
L’organisation territoriale
Vers 150 avant J. C. Mare Nostrum : les soldats romains, à peine établis, sèment le blé et, de possession militaire, elle devient bientôt le grenier de l’empire romain.
On peut dire que ce ne sont pas les Arabes qui ont unifié l’Afrique du Nord, mais bien la voie romaine allant de Tripoli à Tanger par Tunis, Alger et la côte …
Carthage détruite (-146), les Romains occupent le terrain seulement, semble-t-il, pour éviter qu’un autre peuple ne s’installe sur un site hautement stratégique. L’emplacement de la ville est laissé en friche, Rome occupe le tiers Nord-est de l’actuelle Tunisie, qui devient la province d’Africa, et ne fait preuve d’aucune velléité de conquêtes. Pendant un siècle, le dernier de la République romaine, les choses en resteront là.
Avec César la politique romaine jusqu’alors protectionniste – les conquêtes servaient de remparts à la péninsule – devient impérialiste. Les nouvelles contrées accroissent les richesses de Rome, et peuvent accéder à la romanité.
Sous Auguste, une colonie est fondée à Carthage dont le territoire était resté maudit jusque là.
Dès 40 après J.-C. après l’assassinat de Ptolémée, dernier roi de Mauritanie, sur ordre de Caligula, toute l’Afrique du nord est romaine. Elle le restera jusqu’au Ve siècle.
Si les limites extérieures restent stables, le nombre et les noms des provinces évolueront fortement au cours du temps.
Au début de la conquête, un profond brassage entre la population indigène et les immigrants d’Italie, donne à l’Afrique romaine son caractère si particulier et sa grande richesse. Cependant la colonisation romaine est géographiquement très inégale, si elle s’enfonce profondément vers le Sud aux confins du désert, elle s’estompe en gagnant l’occident.
La Tripolitaine et surtout la Tunisie sont complètement « romanisées », l’Algérie orientale également à l’exception des massifs montagneux, enfin seules les plaines fertiles de l’Algérie occidentale et du Maroc sont mises en valeur. Dans le reste du territoire les Berbères restent pratiquement indépendants.
L’Administration
Les provinces
Il n’existe pas une Afrique du Nord Romaine mais des provinces romaines en Afrique du Nord. Carthage, la plus peuplée des villes, ne constituera, au mieux, qu’une capitale morale. Elle n’était dans les faits, que le chef lieu de l’une des provinces.
Le régime romain se fonde sur le partage (théorique et de plus en plus fictif) des pouvoirs entre l’Empereur et le peuple représenté par le Sénat : S.P.Q.R. senatus populusque romanus (le Sénat et le Peuple romain). Il existe donc deux sortes de provinces :
- Les provinces sénatoriales gouvernées par les proconsuls nommés par le Sénat. Leurs revenus sont versés au trésor public
- Les provinces impériales gouvernées par les propréteurs désignés par l’Empereur. Les recettes vont au « fiscus », la caisse de l’Empereur.
D’autre part, l’Empereur se réserve la disposition de la force militaire. Les provinces sénatoriales sont donc pacifiées et ne nécessitent pas la présence de troupes. La province proconsulaire d’Afrique du Nord est, par conséquent, celle dont la population est la plus nombreuse, la plus prospère et la plus « romanisée ». Elle couvre la Tunisie, la Tripolitaine et la partie la plus orientale de l’Algérie.
Les autres sont impériales :
- La Numidie, dont le nom variera souvent, le chef-lieu fut successivement Ammaedara, Tébessa et Lambèse.
- La Maurétanie césarienne du nom de son chef-lieu Cæsarea (Cherchel).
- La Maurétanie tinginate du chef-lieu Tingis (Tanger)
La citoyenneté
Rome n’a jamais cherché à imposer une administration rigide, au contraire elle propose au Africains (du Nord) toute une série d’étapes les amenant progressivement à une situation juridique et sociale plus haute, avantageuse, respectée. Grâce à cette ascension Rome dispose, à terme, pour renouveler son personnel, du fond indigène. Cette gradation se décompose en :
- Pérégrins : administrés par un chef de tribu ou suivant des institutions héritées de Carthage ;
- Citoyens de droit latin qui accèdent au droit romain après avoir été élus à des fonctions municipales ;
- Citoyens de droit romain ;
- Chevaliers ;
- Sénateurs.
Comme ailleurs dans l'empire, Rome procède par la fondation (colonia en latin) de cités.
Le nom de la nouvelle cité ou de la cité reconstruite porte alors souvent le nom de Colonia suivi du nom de son fondateur et d'un adjectif. Colonia Augusta Agrippinensis, Cologne ; Colonia Augusta Nemausus , Nîmes, par exemple.
Ce sont des colonies de peuplement offrant des terres aux vétérans démobilisés. Il en existe de deux sortes:
- la colonie romaine (colonia civium romanorum), peuplée de citoyens de droit romain.
- la colonie latine (colonia juris latini) avec une population mélangeant des citoyens romains et des citoyens latins.
Dans les deux cas le jus soli (droit du sol s'impose). Les générations suivantes nées dans une colonie romaine sont de droit romain, celles nées dans une colonie latine sont de droit latin même si elles sont d'origine romaine.
L’armée
Les forces militaires comprennent la légion et les corps auxiliaires.
Dans la légion, seuls servent les citoyens romains soit de naissance soit accédant à cette qualité, le jour de leur entrée en service, par décision de l’empereur. L’auxiliaire reçoit le droit de cité romaine à sa libération après vingt-cinq années de « romanisation ». Les forces (27 000 hommes) se répartissent de la façon suivante :
- Pas de forces, nous l’avons vu, en Afrique proconsulaire à l’exception d’une cohorte de la légion (environ 500 hommes) escorte et force publique du proconsul ;
- En Numidie, La IIIe légion « Augusta » (environ 5 500 hommes), des auxiliaires montés et à pieds (effectifs globalement équivalents à ceux de la légion) ;
- Dans les deux Maurétanie les auxiliaires seuls (environ 15 000 hommes globalement).
Par le jeu de l’accession à la citoyenneté par le service dans les armées, force est de constater que la paix romaine est imposée par des Berbères romanisés à des Berbères non (encore) romanisés.
L’économie
L’activité économique
Sous la domination des Carthaginois deux activités prédominent, le commerce et l’agriculture
Avec Rome, il n’existe plus désormais qu'une seule destination commerciale, Rome elle-même.
En revanche l’agriculture sera très développée, jusqu’à la fin du premier siècle essentiellement tournée ver la production de blé. Les terres propices à ce type de culture, l’irrigation font de l’Africa le grenier de Rome qui, pour des besoins de politique intérieure (panem et circenses : du pain et des jeux), a une impérieuse nécessité de blé bon marché.
L’appauvrissement des sols, une demande moins forte, vont rationaliser les cultures à partir du IIe siècle. Les trois cultures du monde antique, le blé, la vigne et l’olivier sont alors en équilibre.
Si l’on peut citer quelques productions minières (fer, plomb, argent et cuivre), l’essentiel de « l’ingénierie » est tournée vers l’irrigation. Puits, citernes, aqueducs de cette époque sont visibles encore aujourd’hui.
Les acteurs
Deux types de propriétés agricoles coexistent :
- la petite propriété ; les propriétaires indigènes ont conservé leurs terres moyennant le paiement de l’impôt foncier ; une part du domaine public est également distribué aux colons (militaires démobilisés) ;
- dans le reste du domaine public, l’aristocratie romaine se taille de larges exploitations. Enfin l’empereur possède toutes les autres terres publiques.
Schématiquement, se partagent l’agriculture :
- quelques gros propriétaires non résidents. Le plus gros est l’empereur ;
- des petits propriétaires exploitants indigènes ou vétérans dont le nombre décroît (les petites exploitations sont absorbées par les plus grosses) ;
- de nombreux colons exploitants versant une part de la récolte à un fermier ou directement au procurateur impérial ;
- des journaliers sans résidence fixe.
Ce type d’organisation très inégalitaire permet une certaine prospérité pour tous à la seule condition que l’impôt n’exige pas de trop fortes contributions.
La civilisation
Une civilisation urbaine
Il s’agit là d’une caractéristique essentielle des provinces africaines, le nombre et l’opulence des cités. Qu’il s’agisse d’anciennes urbanisations « modernisées » ( Dougga en Tunisie) ou de créations nouvelles (Djemila ou Timgad en Algérie), les vestiges parvenus jusqu’à nous ne manquent pas.
Ce qui caractérise le Berbère citoyen semble être la recherche du confort : les rues pavées, le tout à l’égout, les latrines, les bains, les portiques protégeant et du soleil et de la pluie…
Mais également l’appartenance aux collèges : groupements professionnels, confréries religieuses, société de secours mutuels. Ces sociétés humaines regroupent les citoyens dans un sentiment d’entraide.
Les arts
Dans les domaines de l’architecture et des arts plastiques, l’historien prête peu de génie à l’Africain. La mosaïque extrêmement développée excelle plus par son niveau technique que par son côté artistique.
En revanche la littérature tant profane que chrétienne doit beaucoup à l’Africa. Les premiers pères de l’église sont africains leurs écrits font encore référence.
Les religions
La politique romaine favorisait l’intégration. Plutôt que d’imposer ses dieux, Rome accueille dans son panthéon les divinités locales, quelque fois, pour les plus importants, en les « naturalisant ».
Ainsi Baal le dieu punique au culte extrêmement répandu en ville comme dans les campagnes, devient Saturne, Tanit, sa messagère, Caelestis. Les dieux traditionnels lybiques (Berbères), les eaux, les montagnes, les arbres, continuent d’être honorés dans les campagnes.
Le culte de Baal, dieu jaloux, peu favorable à l’existence d’autres divinités a, sans doute, participé à l’explosion d’une religion monothéiste, venue d’orient et enseignée, à ses débuts, dans le secret des synagogues : le christianisme.
Véritable phénomène de société, touchant l’esclave et le maître (par exemple Ste Perpétue et Ste Félicité, mises à mort dans l'amphithéâtre de Carthage), cette religion fut durement réprimé et généra de très nombreux martyrs.
Photographie aérienne de l'amphitéâtre de Carthage au début du XXe. © Collection Bertrand Bouret.
La persécution de Dèce (249 – 260) fut la plus pernicieuse car elle visait à faire des apostats. Elle engendra le donatisme après que le Pape Corneille (251-253) eût décidé de réadmettre les lapsi (ceux qui avaient cédés).
L’Afrique est une des régions de l’empire romain où les évêchés sont les plus nombreux : il y en aura plus de 600 au VIe siècle.
Les langues
Le latin est la langue indispensable pour « réussir » dans la vie politique, l’administration de sa cité, ou dans les affaires. Les classes inférieures de la société, les paysans parlent lybique (cette langue, le berbère, est parvenue jusqu’à nous) ou punique.
Le punique était utilisé, non seulement dans les territoires autrefois sous la domination de Carthage, mais comme langue de civilisation partout en Afrique du nord. Le lybique, depuis fort longtemps, possède son propre alphabet cependant l’écriture n’est que peu utilisée, pratiquement exclusivement dans les ex-votos. Les Touaregs qui utilisent cette forme d’écriture encore aujourd’hui (tifinagh) ne s’en servent d’ailleurs qu’à des fins symboliques ou ludiques.
On rapporte que Saint Augustin, cinq siècles après la destruction de Carthage, cherchait des prêtres parlant punique pour que la population d’un district des environs de Bône puisse comprendre les sermons.
De la même façon, qu’aujourd’hui, un grand patron parle anglais (le pauvre) à ses clients voire à ses collaborateurs et français à sa famille, il y a fort à parier que le latin n’était utilisé que dans les échanges officiels et que chez soi, l’Africain, même fortuné, revenait soit au lybique soit au phénicien.
La chute
Les causes qui font s’effondrer l’empire sont générales et non spécifiques à l’Afrique. Cependant, il faut chercher les raisons qui font que ces provinces parfaitement romanisées aient oubliés complètement, langue, civilisation et religion.
La langue des ancêtres (cf. supra) n’a jamais été oubliée, certes. La religion musulmane imposée par l’envahisseur arabe n’accepte pas le partage. Cependant on connaît des communautés chrétiennes dans des pays musulmans du proche orient.
Pourquoi cette rupture avec la latinité ?
Pour des raisons économiques. La crise économique est, elle aussi, générale à l’empire. Les révolutions de palais, la prise de pouvoir des empereurs par le soulèvement des armées, ces crises armées le plus souvent favorisent le désordre, détourne les militaires de leurs devoirs de protection constante des frontières.
Pire, l’empereur, divise, morcelle les territoires et les forces pour mieux les contrôler. Les légions auparavant de 5 à 6 000 hommes, ne comptent plus qu’un millier d’hommes. Si globalement les effectifs restent constants, l’unité de commandement s’en ressent.
Du point de vue administratif, des 4 provinces originales en naissent 8 (voir la carte plus haut). La multiplication des provinces s’accompagne de la multiplication des tracasseries administratives, des droits de douane des pots de vin…
Cet accroissement des charges ne peut être supporté par les plus pauvres et en particulier les saisonniers. La révolte des circoncellions est à cet égard significative. Circum cellas, aller de ferme en ferme, non plus pour louer ses bras mais pour piller et tuer. Cette jacquerie mystique s’appuie sur le schisme donastique.