TABARQUINS – L’ODYSSEE 1541-1798

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962

TABARQUINS – L’ODYSSEE 1541-1798

  • L’ILE de TABARKA - LE DECOR

L’île se trouve au nord de la Tunisie, près de la zone de petite montagne de la Kroumirie, dans le Tell septentrional. Une de quinzaine de kilomètres la sépare de l’actuelle frontière avec algérienne. Elle est distante de 400 mètres du rivage continental, plantée en face du port de Tabarka, ancienne échelle punique, qui dès l’époque romaine assurait les exportations du marbre de Chemtou, d’huile d’olive, de denrées agricoles provenant du nord de la riche plaine de Jendouba, d’animaux, puis plus tard du liége récolté dans les montagnes d’arrière pays couvertes de forêts de chêne-liége et giboyeuses.
Elle sert déjà de base pour le rachat d’esclaves chrétiens.


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ÎLE DE TABARKA - LE FORT GENOIS
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License : CC-BY-SA-2.5.


La côte de l’île est rocheuse et assez escarpée, à l’instar de la côte continentale.La zone côtière offre un paysage de collines au relief moins accentué que celui de la Kroumirie. La côte s’avère parfois spectaculairement accidentée et révèle une beauté sauvage.
L’île a une dimension approximative de 800 mètres de long sur 500 de large, avec une circonférence d’environ 4 kilomètres. Sa superficie est d’environ 25 hectares :
Depuis 1940 elle est physiquement rattachée au continent par une bande de sable à présent bâtie, large d’environ une centaine de mètres. Il ne subsiste aucune trace immédiatement significative de son peuplement, en dehors du fort génois dont une partie demeure aujourd’hui utilisée par l’armée tunisienne.

Les habitants de l’île se sont appelés tabarquins(tabarchini), à ne pas confondre avec la population du port continental de Tabarka, dénommés tabarquois .


  • CONTEXTE ECONOMIQUE

Le port de Tabarka, à la fin du moyen âge arabe était entré dans un relatif sommeil, voire en récession .
En revanche les fonds marins proches de l’île étaient réputés pour la richesse de ses coraux, selon des sources littéraires arabes du Xème siècle [000] .
Dés la moitié du XIIème siècle des pécheurs et commerçants pisans commercialisent puis exploitent le banc de coraiL, Des traités leur en concédant la pêche sont passés et renouvelés du XIIème au XIVème siècles; quelques rares familles de pêcheurs semblent s’être établies de façon permanente sur l’île.
Le banc corallien est alors riche et aisément exploitable : la collecte des madrépores peut encore être faite à moins de 60 mètres de profondeur :
Le déclin de Pise aidant, les premiers pêcheurs sont alors remplacés par des espagnols.
On utilisait d’importantes quantités de filets lestés pour récupérer les précieuses branches de madrépores en raclant les parois rocheuse. Ce mode de pêche, dommageable pour l’environnement, est toujours pratiqué de nos jours en dépit de la casse qui l’accompagne.


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«LES AIGUILLES » - Côte de Tabarka                                                     CORALLIUM RUBRUM
Cliché : Wikipedia.fr, auteur : Asram                              Famille : cœlentéré – classe : Madrépores

Licence : Creative Commons Share Alike license                                         Sous classe: Octocorallia
                                                                                                                     Source : Wikipedia.fr, auteur : Asram


Le poste de dépense que représentait le remplacement de ces filets et les cordages était le second en importance après le coût de la barque de pêche elle-même acquise ou louée,
L’usage était de pêcher le matin , et de faire sécher et réparer les filets dans l’après midi.
A l’instar de ce que relève P: Goudin pour le comptoir voisin de Marsacares [0000], la pêche devait s’inscrire, dans des cadres juridiques à ‘géométrie variables’ selon la propriété des barques (concessionnaire, maître pêcheur, association de pêcheurs tiers) et le mode de rétribution des pêcheurs d’une même baraque (rémunéré par un salaire ou à la part, parfois par une combinaison des deux).

  • CONTEXTE POLITIQUE AU XVI EME SIECLE: ACTEURS et RIVALITES
    • ACTEURS

1.1) Charles Quint
- 1500 / 1558 abdique en 1556
- Empereur du Saint Empire Germanique (Charles V)
- Roi d’Espagne (Carlos I d’Espagne)
- Roi de Sicile (Charles IV de Sicile)
- Duc de Brabant (Charles II de Brabant)
- Revendique la Bourgogne
- Et affronte François 1er sur les Pyrénées, dans les Flandres, en Lombardie ; il noue et renverse des alliances etc. …
- Héritier des rois très catholiques d’Espagne, il lutte contre l’avancée de l’Islam, contre la propagation de la réforme et combat les maures en Méditerranée

1.2) François 1er
- 1494 / 1547
- Roi de France
- Légitime détenteur de la Bourgogne
- S’oppose financièrement, diplomatiquement et militairement aux ambitions de Charles Quint, qu’elles soit territoriales, ou honorifique (comme son titre d’empereur)
- Poursuit sans succès les ambitions de conquête de ses prédécesseurs concernant les duché de Milan et le Royaume de Naples.

1.3) Familles génoises

1.3.1) Famille Doria (ou D’Oria)
- Andrea Doria :1466 / 1560
- Condottiere puis Amiral de la flotte génoise
- Soutint d’abord François 1er contre Charles Quint, en le combattant avec succès en Méditerranée à la tête de la flotte française, puis passe définitivement aux côtés de l’Empereur en 1528, comme les promesses françaises tardaient à être tenues
- Il évince les français de la République de Gènes et la dote d’institutions plus démocratiques.
- Combat efficacement les turcs et les maures, en particulier l’ancien pirate Khayr Ed-Din,.
- Sous les ordres d’Andrea Doria, son neveu fait captif Dragut (cf. infra)
1.3.2) Famille Lomellini Di Pegli
- Famille aristocratique de Pegli , port de pêche situé près de Gênes
- Banquiers et hommes d’affaires(créanciers de Charles Quint)
- Obtient de Khayr Ed Dine le droit d’exploiter les coraux avoisinant notamment l’île de Tabarka et la propriété de l’île, (droits validés par Charles Quint ), en reconnaissance de l’intermédiation efficace des Lomellini lors la libération de Dragut, capturé par Jeannetin Doria au large de la Corse

1.4) Califes Hafsides
- 1230 / 1574
- Dynastie d’origine berbère, (succédant aux Almohades souverains du Maroc)
- règne sur l’Est algérien, la Tunisie et la Libye,
- puis s’affaiblit
- cède la place au pouvoir des turcs ottomans, tombe face à Khayr Ed Dine

1.5) PIRATES ou CORSAIRES TURCS
1.5.1) Dragut (alias Togurt Reis)
- 1514 / 1565
- Corsaire turc , originaire de Bodrum , protégé et au service de Khayr Ed Dine
- Capturé une première fois par un Doria, (1540) échappe de peu à Andrea Doria (1560)
- Nommé amiral par Soliman, donne la course à la flotte chrétienne et combat avec les ottomans
- Basé à Madhia jusqu’en 1550

1.5.2) Khayr Ed Dine alias Barberousse
- 1466 / 1546
- issu d’une famille de marin grecs (Mytilene) pirate et corsaire
- Roi d’Alger dont il s’empare, s’allie au Sultan turc afin de mieux résister aux assauts espagnols
- Chassé d’Alger par les kabyles, reprends la course pour reconstituer ses ressources
- Conquiert divers points d’appuis nord-africains,- et finalement recouvre Alger pour y fonder le royaume d’Alger et en faire sa base d’opérations
- Nommé Grand Amiral de la flotte turque en 1533 par Soliman
- Grâce aux dissension Hafsides s’installe à Tunis
- éviction de Moulay Hassan , calife Hafside, -
- riposte de Charles Quint en 1535 qui, à la tête d‘une puissante flotte espagnole, réussi à le chasser de Tunis, s’empare de la ville, et l’amena à reprendre la course (razzias sur Minorque)
- Diverses razzias, la dernière instiguée en 1543 par François 1er contre Charles Quint en Calabre et à Nice


Réplique de la galére de Ferdinand d’Espagne
Engagée lors de la bataille de Lépante 1571- poupe
Musée de la marine Barcelone
Photo Sylvie Gandolphe 02-2008<


    • LES RIVALITES et DESORDRES EUROPEENS FAVORISENT LA COURSE

Tandis qu’en Europe continentale les ambitions de Charles Quint, rêvant de constituer un empire universel, se heurtent à l’opposition et au refus de François 1er, ainsi qu’aux prétentions françaises portant sur les états italiens, le royaume d’Espagne dévolu à Charles Quint veut poursuivre à la fois en Méditerranée son action de reconquête chrétienne, et aux Amériques, l’extension de son empire colonial sous couvert de diffusion du christianisme, non sans commencer à se heurter aux ambitions commerciales et coloniales des autres puissances européennes dont l’appétit s’éveille.
D’ailleurs Charles Quint après avoir donné un coup d’arrêt éphémère à la progression ottomane en évinçant Kayr Ed Dine de Tunis en 1535, va se briser sur Alger en 1541 avec l’armada qu’il a réuni, composée par l’ensemble des états chrétiens de Méditerranée (moins la France).
Par la suite la Réforme, partie d’Europe du Nord et Centrale avec Luther, va mobiliser une importante partie des forces des souverains chrétiens, notamment celles de l’Empereur poussé par la papauté à lutter contre le protestantisme et sa propagation – les premiers affrontements armés commencent en 1529, et en 1533 Calvin arrive à Genève -.
Enfin les états italiens après avoir tirés parti de l’impulsion militaire et économique des croisades (besoins financiers, demandes de logistique, ouvertures de routes de commerce) ne parviennent ni à compenser totalement par leurs talents maritimes, financiers et commerciaux, leurs faiblesses résultant de leur trop petites tailles, ni ne peuvent se permettre d’affronter seuls et à la fois, la poussée vers l’occident de l’empire ottoman, l’avidité des puissances européennes, et le harcèlement incessant de la piraterie ou de la course à qui les puissances chrétiennes trop focalisées sur leurs conflits européens ont laissé le champ pratiquement libre en méditerranée .
Les pirates et corsaires connaissent alors une prospérité sans précédent dont la pression restera soutenue jusqu'au milieu du XIXème siècle, et dont la tradition fleuri sporadiquement jusqu’à nos jours sur les anciennes routes de commerce maritimes arabes (Tunisie[00]], mer Rouge, détroit de Malacca, Indonésie, mer de Chine)
Ainsi assiste t-on parfois à des alliances conclues conte nature en apparence, mais reposant sur le pragmatisme d’intérêts circonstanciels bien compris de part et d’autre. Aussi voit-on des pirates devenir corsaires lorsqu’ils se soumettent à l’autorité d’un Etat, si celle-ci a suffisamment de poids pour s’imposer [0] : Certains pirates ou corsaire, démontrant en outre de telles aptitudes comme administrateurs, qu’ils parviennent même a être promus commandant en chef de la flotte d’états souverains et en élargissent les zones d’influence en administrant les conquêtes réalisées sous la bannière de telle puissance, ou appuient leurs opérations militaires.
Ces puissances non seulement en retirent de confortables bénéfices (l’empire ottoman aurait difficilement pu faire face à la charge de ses conquêtes et à l’entretien de son armée de janissaires sans le produit de la course) , mais aussi détournent vers l’adversaires les nuisances que pirates et corsaires ne manquent pas d’occasionner. Aucun Etat n’a renoncé alors officiellement aux bénéfices de la course.

  • ATTIBUTION, STATUT, PEUPLEMENT ET PROSPERITE DE L ‘ÎLE
    • ATTRIBUTION de L’ÎLE,- Le prix d’une infamie ?

Ainsi, il n’y a rien d’anormal dans un tel contexte, à ce que les Lomellini se soient entremis entre les Doria, et Barberousse (Khayr Ed Dine) intercédant avec succès en faveur de la libération du corsaire turc Dragut , moyennant paiement de rançon.
Les Doria, précisément le neveu du grand Andrea Doria, Giannettino Doria, avaient capturé Dragut en 1540 près de la Corse, et l’avaient mis aux galéres, n’écartant pas l’idée d’en obtenir une rançon . Ils contrevenaient au prudent usage d’élimination physique des corsaires ou pirates lors de leur capture.
Cette intermédiation relevait en définitive de l’ordinaire des transactions dans le cadre de rançonnement devenu commun en Méditerranée depuis que les dey d’Alger et Bey de Tunis y multipliaient les razzias. Seuls les termes de l’échange s’avéraient extraordinaires.

Charles Quint au début du seizième siècle avait contractés d’importants emprunts auprès d’un ‘consortium’ de banquiers génois comportant entre autres les Grimaldi, les Pallavicino et en particulier les Lomellini de Pegli. A ce titre, il commença par affecter au service des ces emprunts diverses rentes provenant de ses régies dont les redevances perçues des espagnols pour l’exploitation des coraux de Tabarka.

La propriété de l’île, située à la frontière des zone d’influence d’Alger et de Tunis, fut ensuite attribuée aux Lomellini par Khayr Ed Dine en récompense de leur médiation ayant amené à la libération de Dragut (qui pu ainsi sévir joyeusement comme corsaire une vingtaine d’année supplémentaire).

    • PEUPLEMENT GENOIS

Les Lomellini proposèrent par priorité l’immigration sur l’île de Tabarka à la population ligure les entourant à Pegli :

La première vague d’immigrant génois fut composée de 471 personnes accompagnées de leurs familles comportant notamment :
272 corailleurs
1 gouverneur
1 chef d’entrepôt
1 cantonnier
80 manœuvres
32 artisans
70 soldats
5 caporaux
1 lieutenant, etc... La cession de l'île à Francesco Grimaldi e a Francesco Lomellini avec les droits de pêche y attenant, ainsi que divers autres droits, a été confirmée en 1547 moyennant une redevance payée au seigneur d’Alger Alah Rais .
Cette redevance sera réglée selon les alea de l’histoire parfois à Alger, plus souvent à Tunis, voire au deux autorités ottomanes.
La redevance a été progressivement révisée à la hausse [2] Peu après, à la suite du retrait progressif espagnol de la Méditerranée, les Grimaldi ont quitté ‘l’association’, laissant pour principaux propriétaires exploitants les Lomellini.</center>