Historique Tunis - Ville
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Voir aussi pour la 2e Guerre mondiale du XXe siècle 1943 TUNISIE TUNIS LIBERATION (7 Mai)
Attraits de la place commerciale de Tunis aux XVIIIe et XIXe siècles
Disparition des Comptoirs du Bastion de France, La Calle, Cap Negro, Tabarka - fin de l’expansion ottomane en Méditerranée
Parmi les Échelles d’Afrique du Nord les anciens comptoir du Bastion de France et de La Calle, dont la proximité incite à confondre le sort, ont définitivement disparu sous les coups du Dey d’Alger ou du Bey de Tunis, ou au mieux, sont retournés sous la tutelle ottomane. Ces transformations ont bénéficié à l’escale de Tunis
Le comptoir de Bastion de France crée en 1552 par un Corse-marseillais visait à l’origine - comme à Tabarka - à l’exploitation de coraux Méditerranéens. Situé au fond d’une petite baie mal abritée sur la Côte algérienne, prés de la frontière tunisienne, ce comptoir ne fut qu’un mouillage en eau peu profonde ne se prêtant qu’assez mal au développement d’une activité portuaire significative ; La Calle située à très peu de distance assura mieux ce rôle. Le comptoir s’interpose néanmoins avec succès dans les échanges entre Alger et Marseille.
Cependant la signature en 1628 du traité d’Alger, destiné à garantir la sécurité des échanges commerciaux avec la France, semble mettre fin un temps à l’hostilité des Deys d’Alger. Elle s’était traduite par des destructions répétées effectuées par la flotte et les troupes terrestres d’Alger. Néanmoins le comptoir ne se remettra jamais du dernier assaut de 1637.
Tabarka et le comptoir du cap Negro ont été dévastés lors de l’expédition de Younes Bey dirigée contre les tabarquins, destinée à faire reculer l’emprise française au nord de Tunis et de Bizerte. Quant à Tripoli de Barbarie, cette escale de peu d’importance, le pouvoir Turc a constamment affirmé son autorité. Son peu de respect pour les traités, son absence de modération dans la pratique de la course lui valurent à plusieurs reprises d’être bombardée par les flottes occidentales, y compris celle des États-Unis jusqu’en en 1835.
La bataille de Lépante en 1573, menée par une coalition chrétienne avait néanmoins mis un terme à la progression de l’empire turc ottoman sur mer et marque l’amorce de son lent et progressif déclin.
Les opportunités des échanges commerciaux demeurent soutenues en Méditerranée aux XVIIIe et XIXe siècles
Ces avancées et ces reculs successifs des positions respectives des mondes chrétien et musulman ont bénéficié aux échanges opérés à Tunis, la ville offrant de fait de meilleure garantie de stabilité dans ses rapports internationaux .
Le dispositif diplomatique et commercial mis en place depuis la renaissance par la France avait déjà fait de Marseille le partenaire privilégié des échanges avec l’empire ottoman. Il reposait sur les traités conclus et renouvelés, les « capitulations », et s’appuyait sur une série de comptoirs, les Échelles du Levant et celles d’Afrique du nord (dont celle de Tunis) servant de base d’opération pour l’action de ses négociants, et relayé par un réseau consulaire constamment amélioré.
À Tunis les divers acteurs sont astreints à résider dans l’enceinte des deux fondouks voisins, bâtiments édifiés par l’autorité ottomane, loués au prix fort.
L’un est réservé au Consul et à ses services, l’autre est occupée par les négociants et leur famille ; une partie du bâtiment est utilisée comme entrepôt pour leurs marchandises. Il arrivait que ces négociants agissent en leur nom seul, ou comme mandataires des maisons de commerce du Sud de la France, du lyonnais, et qu’ils cumulent les métiers de commerçant, armateur, industriel et banquier.
Comme conséquence des conflits permanents entretenus entre l’empire ottoman et les thalassocraties chrétiennes visant au contrôle des échanges méditerranéens, le commerce maritime décline ou stagne entre le XVIIe siècle et le XVIIe siècle. Gênes et Livourne ne progressent plus, Venise se replie. Les puissances maritimes militaires et commerciales d’Italie vont progressivement céder la place aux marines française puis anglaise. L’Espagne se détourne au bénéfice des colonies d’Amérique
Toutefois, cette nouvelle donne touche plus les échanges Est-Ouest que Sud-Nord. L’Europe, en particulier la France, avec un accroissement net de sa population, reste un débouché important pour les matières premières d’Afrique du Nord . Le Colbertisme du XVIIe siècle a trouvé à Marseille et à Toulon un écho dynamique dont l’élan ne s’essoufflera qu’avec les deux conflits mondiaux du XXe siècle.
De plus les guerres révolutionnaires françaises, suivies de celles du 1er Empire, y compris l’expédition d’Égypte, ont souvent perturbé le fragile équilibre maintenu en faveur de la France dans ses Échelles. L’issu des ces conflits a fini par pencher en faveur de l’Angleterre. Elle visait à la sécurité de ses approvisionnements et de ses débouchés pour les industries dont elle s’était dotée à partir du blocus de Bonaparte. Cette entreprise fut parachevée par le rachat au nom de la Couronne, entrepris en sous-main par Disraëli, premier ministre de la Reine Victoria, des actions détenues par le Khédive dans la jeune Compagnie du Canal de Suez, plaçant ainsi la France en position minoritaire. L’opération était complétée par l’extension à l’Égypte d’un protectorat d’une durée indéterminée - pour mémoire l’impôt sur le revenu est provisoire en Angleterre depuis le XVIe siècle …).
L’attraction persistante de la place commerciale de Tunis
Tunis située, au nœud des courants d’échanges, affirme [1] donc au XVIIe et XVIIIe siècle son rôle de plate forme commerciale pour les échanges entre l’Afrique , l’Italie, la France et l’Espagne, ainsi qu’avec tout le Moyen-Orient. Sa position centrale lui permet de tempérer les effets d’une baisse des échanges sur une aire précise en portant ses efforts sur un domaine diffèrent. De plus la place de Tunis ne peut toujours absorber la totalité des divers produits de la course ou de la piraterie. Le marché reste donc abondamment alimenté par les excédents.
Tunis confirme alors l’attraction de sa place pour le commerce maritime.
Les échanges portent principalement sur
- les denrées ;
- huiles,
- laines,
- céréales,
- les métaux précieux (argent importé massivement en Tunisie),
- les étoffes fines,
- les chéchias (bonnet de laine rouge, dont la Tunisie aura le monopole de production et d’exportation sur tout le bassin méditerranéen, et dont les composants seront importés),
- le commerce d’êtres humains en considération de
- leur capacité de travail (esclavage),
- leur rançon.
Le rôle des consuls - évolution, extension
La large autonomie du pouvoir beylical de la Tunisie vis-à-vis de la Sublime Porte comme la progression des relations commerciales entre Europe et Afrique du Nord infléchissent de toute évidence la mission des représentations consulaires européennes. De plus en plus, outre leur action usuelle (la défense d’intérêts privés nationaux), elles assurent la prise en charge informelle de relations diplomatiques. Normalement celle-ci serait dépourvue de fondement juridique dans le cadre de relations consulaires à Tunis comme à Alger ou Tripoli : en effet les Beys et Deys ne sont en principe que les représentants du pouvoir ottoman, administrant en son nom et pour son compte des territoires distants ; ces « mandataires » ne détiennent aucun pouvoir politique. En fait ils s’en approprieront la quasi totalité au fil du temps et à proportion de l’affaiblissement du pouvoir central ottoman.
Cette lente évolution de la fonction consulaire restera particulièrement marquée à Tunis : l’action consulaire sera plus nettement encline au compromis où les considérations politiques l’emporteront parfois plus volontiers que l’équité des intérêts particuliers. Les usages diplomatiques sont longs à s’établir et se heurtent aux différences culturelles. Il n’est pas rare qu’un consul fasse en vain antichambre à Tunis pour être seulement entendu par le bey ; il n’est pas plus certain que la décision du palais beylical , lorsque celle ci est annoncée, soit suivie du moindre effet.
L’une de leur compétence exorbitante du droit commun fut celle de leur compétence judiciaire en matière de litiges impliquant leurs ressortissants nationaux, en particulier les négociants. Le pouvoir local était dessaisi ipso facto.
Les consuls, sont parfois intéressés eux mêmes aux transactions et jouissent de privilèges enviables tels leur immunité lorsqu’elle est reconnue ou la perception de revenus pour des prestations spécifiques. Ces avantages incitent les consuls à éviter de compromettre leur propre situation. Il arrive que la prise en compte de ces intérêts particuliers prévale sur ceux dont ils ont normalement la charge, ou pour le moins tempèrent leurs démarches lorsqu’elles exigeraient parfois plus de fermeté que la recherche d’un compromis. L’activité consulaire en situation conflictuelle est souvent réduite à de simples psychodrames auxquels se prête parfois volontiers le pouvoir beylical.
Les traités réservent quelques privilèges aux négociants français
Il échoit cependant aux autorités consulaires aidées des négociants de faire reconnaître et évoluer les règles qui se forgent en matière de commerce international. Celui de Tunis couvre à présent l’intégralité de la Méditerranée et s’étend au delà (Portugal, Aquitaine…), sous la conduite de négociants musulmans, juifs ou chrétiens. Ils n’aspirent qu’à la meilleure sécurité et stabilité de leurs opérations, de même que pour les personnes qui y sont impliquées.
La perspective pour le pouvoir du partage des bénéfices issus du commerce sera un argument contribuant en partie à faire avancer des mentalités et qui délimitera un équilibre de forces raisonnable entre une classe de négociants et d’armateurs qui prospèrent. Il ne restera plus qu’à faire admettre, de gré ou de force, que la piraterie et la course sont plus pénalisants que générateurs de profits.
Cependant, si certains négociants vont jusqu’à bénéficier d’immunité reconnue du pouvoir ottoman, ils encourent toujours les lourds risques liés à leur activités , de plus il faut des incidents assez graves pour que l’escadre française vienne appuyer les démarches consulaires de quelques coups de canons dirigés sur La Goulette, Bizerte, [a]Sousse ou Sfax. La sécurité bénéficiant au négociant doit plus à leur habileté qu’au secours que ne leur apportent leur propres pays d’origine.
Il faut imaginer ces acteurs, négociants, armateurs, facteurs de commerce, commis, raïs (chefs ou capitaines) qui doivent démontrer leurs talents à chaque étape des transactions : débusquer les contrats, les négocier, en prendre les risques, les exécuter, assurer le stockage, les financer, trouver le fret, répartir, payer et obtenir les autorisations administratives, superviser les opérations à chaque étape, le tout se déroulant dans des systèmes de mesures variables selon les zones d’activité impliquées, différents selon la nature des produits.
Cette agilité d’esprit se complétait des qualités de cambistes, voire de banquiers : la conclusion et la réalisation des contrats devaient tenir compte de systèmes monétaires différents selon les places considérées, prévoir et gérer les partages de risques …et, pour couronner le tout, ces diverses opérations étaient menées dans des langues différentes. On comprend mieux alors le succès d’un sabir tel que la « lingua franca » qui a dû être naturellement accueillie pour sa simplification « universelle ».
Notes
[a] Aux termes de conventions passées au début du XVIIIe avec les puissances maritimes italienne Tripoli et Tunis , déjà réputées peu fiables, lancèrent leur course contre le pavillon français en dépit des traités antérieurs. Les démonstrations de la Royale devant La Goulette suffirent à amener le pouvoir de Tunis aux négociations, tandis que Tripoli subit en vain de multiples bombardements. Elle ne céda que quelques années plus tard, devenue certaine que l’appui de Constantinople était devenu illusoire.