Etat AVANT Sousse - Ville
TUNISIE |
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Victor GUERIN 7 février 1860
Désirant d'abord visiter les établissements catholiques de Sousa, le prince d'Aremberg, le baron de Verrieaux, M. Léopold van Gaver et moi, nous nous dirigeons vers la paroisse franque. M. le vice-consul Espina a l'obligeance de nous y accompagner. Cette paroisse consiste en une humble chapelle qui est loin de pouvoir contenir, les dimanches et les jours de fête, les six cents catholiques fixés dans la ville. Elle est desservie par un moine dont l'éloge est dans toutes les bouches. Aussi aimé qu'estimé, le R. P. Augustin de Reggio, c'est le nom de ce digne capucin , reflète sur sa bonne et douce physionomie la paix inaltérable et la candeur de son âme. Plein de charité et de zèle, il ne rougit pas, quand il s'agit de sa petite église, de descendre jusqu'aux métiers les moins relevés, et les mêmes mains qui tiennent tous les jours l'hostie à l'autel s'abaissent sans répugnance aux travaux de menuisier et de maçon. Manquant de fonds, il supplée à tout à force d'économie et par les ressources personnelles d'une industrie ingénieuse. C'est lui-même qui, à ses propres frais, a pratiqué la chaussée qui, au sud de la ville, conduit du bord de la mer au cimetière catholique. C'est lui aussi qui, pour protéger les tombes des chrétiens soit contre la voracité des chacals, soit contre les profanations des musulmans, a fait entourer d'un mur l'enceinte qui les contient.
Comme la chapelle qu'il dessert est tout à fait insuffisante aux besoins du culte, les catholiques de Sousa, par l'intermédiaire de M. Espina et de M. le consul général de France, ont adressé une requête au bey, à l'effet d'obtenir de Son Altesse l'autorisation de bâtir sur un emplacement moins resserré une église à la fois plus grande et plus convenable. J'ai appris que cette demande leur avait été accordée.
De la paroisse catholique, nous nous transportâmes au couvent des soeurs de Saint-Joseph. Elles sont au nombre de cinq. Leur supérieure, la soeur Joséphine, est une femme de tête et de mérite. Installée à Sousa depuis une vingtaine d'années, elle est très-respectée des musulmans eux-mêmes, qui ont appris à connaître son dévouement et son courage, principalement à l'époque du dernier choléra. Médecin et même chirurgien au besoin, elle prodigue tous les jours aux malades qui viennent la voir ses soins, ses conseils et ses médicaments; elle a su en effet, par de véritables miracles d'économie et avec des ressources extrêmement limitées, fonder une petite pharmacie à l'usage des pauvres. En même temps qu'elle soigne les malades, elle élève l'enfance, de concert avec les quatre autres soeurs qui secondent son pieux ministère. Une cinquantaine de petites filles, dont vingt environ appartiennent à des familles aisées et payent pension; et trente, à cause de l'indigence de leurs parents, ne sont soumises à aucune rétribution, suivent les leçons de ces vertueuses institutrices, auxquelles il ne manque qu'un local plus étendu pour faire participer un plus grand nombre d'élèves au bienfait d'une éducation sérieuse et chrétienne. Malheureusement, la maison qu'elles occupent se ressent de l'exiguïté de leurs moyens d'existence. Leurs cinquante petites filles sont entassées dans deux étroites chambres où elles étouffent pendant l'été; dans une troisième, elles réunissent une quinzaine de petits garçons âgés de moins de sept ans, dont elles se sont chargées, à la demande de plusieurs familles. Des raisons que l'on comprend sans peine les empêchent de recevoir ni de garder cette dernière catégorie d'élèves au delà de l'âge que je viens d'indiquer. Il serait .à désirer que, pour leur venir en aide, deux ou trois frères de la Doctrine chrétienne fussent envoyés à Sousa; ils verraient accourir dans leur établissement non-seulement les enfants des chrétiens, mais encore ceux des juifs et même de quelques musulmans.
Sousa s'élève en pente sur le bord de la mer. Elle est environnée d'une enceinte crénelée ayant la forme d'un parallélogramme un peu irrégulier, dont le pourtour peut être évalué à 3 kilomètres. Les grands côtés, parallèles au rivage, regardent l'un l'orient, l'autre l'occident. L'angle sud-ouest, qui est en même temps le point culminant de la colline sur laquelle la ville a été bâtie, est occupé et défendu par la kasbah ou citadelle. Cette citadelle est elle-même dominée par une tour assez élevée, appelée El-Nadour, c'est-à-dire l'observatoire, dénomination parfaitement justifiée, car du haut de cette tour on observe au loin la mer. Quant à la ville, on la voit tout entière ramassée à ses pieds. Nous ne pûmes obtenir la permission de pénétrer dans la kasbah. Le khalife se prêtait volontiers à notre désir, mais le bimbachi ou colonel commandant de place opposa un refus formel à notre demande. Dans un voyage ultérieur, la porte m'en fut ouverte, et je visitai en détail cette citadelle; j'en dirai alors quelques mots.
Le mur qui enferme la ville est flanqué de distance en distance par des tours carrées, à demi engagées dans l'enceinte. Aucun fossé artificiel ne défend les abords de la place. Elle pourrait être très-facilement forcée sur plusieurs points; car la muraille n'est pas partout massive. Dans certains endroits, en effet, comme l'a déjà remarqué M. Pellissier, la plate-forme des courtines est soutenue par des arcades ouvertes du côté de la ville et fermées du côté de la mer ou de la campagne par une maçonnerie peu épaisse, ce qui, à la vérité, ne manque pas d'élégance, mais nuit à la solidité.
Trois portes donnent entrée dans l'enceinte, ce sont : Bab-el-Gharbi (porte de l'occident), vers le milieu de la branche occidentale de la muraille; Bab-el-Bahr (porte de la mer), au nord-ouest. Près de cette porte, un château flanque l'angle nord de la branche orientale et nord-est de la branche septentrionale. Ce bastion est de date assez récente, ayant été construit il y a une cinquantaine d'années. La troisième porte, Bab-el-Djedid (la porte neuve), avoisine Kasr-el-Bahr (le château de la mer); elle est ornée de pierres alternativement rouges et jaunes tirées des carrières de Zembra. Une batterie à barbette la défend.
Dans l'intérieur de la ville, la partie haute est presque exclusivement réservée aux musulmans; dans la partie basse habitent à la fois les musulmans, les juifs et les chrétiens. La population totale se monte au plus à 7,600 habitants, dont 6,000 musulmans, 1,000 juifs et 600 chrétiens; parmi ces chrétiens on compte 60 Français; les autres sont Italiens ou Maltais.
Les musulmans possèdent une douzaine de mosquées; les juifs n'ont qu'une synagogue, et les chrétiens, comme je l'ai dit, sont encore réduits pour le moment à une humble chapelle cachée en quelque sorte au fond de la cour d'une maison particulière.
Les bazars sont assez bien approvisionnés.
Le commerce principal consiste en huiles non raffinées que l'on exporte en Europe pour le savon ; il est presque entièrement concentré entre les mains des chrétiens et des juifs. Plusieurs Européens se sont fait construire de grands magasins voûtés renfermant de profondes et nombreuses citernes capables de contenir une énorme quantité d'huile. L'exportation de ce produit atteint environ par an six millions de francs.
De véritables forêts d'oliviers avoisinent en effet la ville, et bien que la culture et l'entretien de ces arbres laissent beaucoup à désirer, néanmoins telle est la fertilité naturelle et inépuisable de l'antique Byzacène, que la moderne Sousa a hérité en partie de la richesse et de l'importance de l'ancien comptoir maritime auquel elle a succédé.
Le port actuel de Sousa n'est qu'une rade dont le mouillage est peu sur par les vents d'est et de nord-est; il s'étend en face de la ville. Le port antique, au contraire, était déterminé et protégé par deux môles situés plus au nord. Ils sont armés chacun d'une batterie à leur extrémité. Le plus septentrional est appelé d'ordinaire par les Européens Môle de la Quarantaine, et le second Pointe du Môle. Un intervalle de 550 mètres les sépare. Quand la mer est calme, on distingue et l'on peut suivre avec une barque les restes d'un brise-lames faisant un angle ouvert avec le plus méridional de ces môles et couvrant le port, dont l'ouverture était rendue ainsi assez étroite, contre les vents d'est, les plus dangereux sur cette côte. Maintenant, l'espace compris entre ces deux môles est en grande partie ensablé, au point qu'on hésite d'abord à croire que là a jadis existé un port.