Les Mahonnais - Algérie

De Encyclopédie-de-L'AFN_1830-1962

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La migration

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Par « Mahonnais », nous entendons dans leur ensemble, les émigrants de l'île de Minorque, car tel était le terme générique que leur donnaient les Français.

Les conditions de la venue des Mahonnais en Algérie tient à un faisceau de facteurs parmi lesquels il convient d'en extraire trois principaux  :
L'île de Minorque est entrée dans une phase de dépression économique dès 1810, aggravée par des accidents climatiques et par une attitude royale espagnole désastreuse.
Misère et inoccupation sont les deux caractéristiques de l'île.

L'entreprise française de 1830 en Algérie passe par les Baléares et surtout par Mahon (Mahón est la capitale de l'île de Minorque).

En faisant de l'île de Minorque leur base d'intendance, leur hôpital pendant plusieurs années, les français relancent certes une économie insulaire importante, mais leur départ à la fin des années 1830 replonge l'île dans sa torpeur économique.

Cependant, les militaires français vont apprécier une population honnête et travailleuse, et se rendre compte du bénéfice que l'on peut tirer de sa venue en Algérie.

Comme le dit justement E. Violard  :

Les Mahonnais furent attirés en Algérie au lendemain de la conquête. Leur arrivée fut joyeusement saluée par l'Armée d'occupation qui fut peu de temps après abondamment pourvue de légumes frais et variés .

Pour autant, leur venue en terre africaine ne s'est pas faite de façon régulière et nous déterminons deux flux migratoires bien distincts  :

  • la migration "spontanée" entre 1830 et 1835.
  • la migration organisée par le Baron de Vialar à partir de 1835 - 1836.

De 1830 à 1835, se produisent d'incessants échanges entre Minorque et Alger principalement.

Le Moniteur Algérien en souligne très régulièrement le trafic maritime, et en 1834, Alger possède sa rue de Mahon.

En règle générale, la migration comporte plus d'hommes que de femmes les retours dans l'île sont fréquents. L'objectif est naturellement de trouver un travail pour quelques mois et repartir.

Ainsi en mars 1832, 2 000 Mahonnais débarquent à Alger en quête d'un travail.

Ils travaillent essentiellement sur le port ou dans la reconstruction des bâtiments.

Le second chapitre qui s'ouvre aussitôt dès la fin de 1835, est fort différent : c'est le réseau du Baron de Vialar.

Nous avons retrouvé des Mahonnais partout en Algérie, de Bône à Oran, mais ce sont les alentours d'Alger, zone de leur première installation, qui en accueillent le plus grand nombre avec Hussein-Dey et surtout Fort de l'Eau comme pépinière.

Courrier

Le Ministère de la Guerre décida en avril 1846 la création d'un centre de population, et l'ayant appris, une cinquantaine de familles mahonnaises, placées sous la protection du baron de Vialar, adressait une requête afin d'obtenir les concessions du centre :

Mustapha-Supérieur, le 1er mars 1847 Monsieur le Ministre,

Plusieurs cultivateurs illettrés me prient de leur servir d'interprète auprès de vous et de vous recommander une pétition qu'ils ont adressée, il y a plus d'un mois, à M.le Directeur de l'Intérieur.

L'objet en est grave, la demande est fondée, il serait avantageux pour le pays qu'elle fût favorablement accueillie sans retard ; je n'hésite pas, quoique étranger à l'entreprise proposée et quoique, à certains égards, je dusse y être contraire, à essayer d'attirer votre examen et votre bienveillance sur cette pétition.

La population agricole des environs d'Alger se compose principalement de Mahonnais. Ils ont quitté en grand nombre leur île avec leurs femmes, leurs enfants et ont peuplé et cultivé presque tout le massif d'Alger.

Tandis que les villages fondés par l'Administration n'offrent que des cultures encore bien rares et plutôt onéreuses que productives pour les concessionnaires qui y ont été placés, les Mahonnais, plus sobres, plus habiles dans la culture, ont trouvé le moyen de vivre dans l'aisance dans les propriétés des autres européens et de leur payer des fermages assez élevés. Ce sont eux réellement qui ont doté le massif de la culture et de la vie.

Environ cinquante chefs de famille habitant depuis un grand nombre d'années l'Algérie, tous cultivateurs acclimatés, tous fermiers gênés par le prix élevé des terres qui leur sont louées, demandent une concession à l'Administration.

Ils sollicitent d'être placés aux mêmes conditions que les concessionnaires des autres villages, au Fort-de-l'Eau, près de Maison Carrée, sur l'ancienne ferme la Rassauta.

Jusqu'à présent, on n'a fondé de village qu'à l'aide de nouveaux venus, étrangers à la culture, au moins à celle pour laquelle on réussit en Algérie. Ce sont aujourd'hui des habitants de cette contrée, des Algériens qui entrent dans vos plans d'agglomération et qui s'offrent à se réunir dans un village qu'ils créeraient sous votre protection et avec votre assistance.

S'ils n'étaient pas sûrs de réussir, ils n'exposeraient pas à cette fondation et leur temps qui est précieux et leurs économies, ici, au soleil de l'Afrique et l'existence de leurs familles.

Ce serait la première fois peut-être qu'un village agricole serait fondé en Algérie dans des conditions assurées de succès. Il se ferait sans doute en privant plusieurs propriétaires de leurs meilleurs ouvriers. Mais, ce n'est pas une considération qui puisse arrêter lorsqu'il s'agit de faire une chose utile et de procurer le bien-être à plus de trois cents personnes.

Vous avez deux moyens, Monsieur le Ministre, d'établir une population française en Algérie : c'est d'y faire venir des Français ; c'est d'y rendre Français les europeens qui y sont déjà ou y arriveraient. Ce dernier moyen ne réussira qu'en traitant ceux-ci avec la même bienveillance, avec la même faveur que les français de naissance et en ne distinguant les hommes que par leur degré d'utilité et de moralité.

Sous ce point de vue et sous celui de progrès agricole, la demande des Mahonnais est une bonne fortune. Je la soumets avec confiance et respect a votre sollicitude éclairée.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et obéissant serviteur

Baron de Vialar

Ils reçurent une réponse très favorable du Ministère lui-même qui enjoignait Bugeaud à faire le nécessaire.

Bugeaud admet le principe d'un village Mahonnais, le terme est officiel, Fort de l'Eau.

Le 25 juillet 1849, le préfet d'Alger nous apprend, dans une lettre adressée au Gouverneur Géneral que 45 familles mahonnaises sous la direction de Mathieu Marques, Juan Fooelich et Juan Barbe, ont été installées dans leurs concessions sans subventions, crise économique oblige.

C'est de Fort de l'Eau que partirent d'autres Mahonnais vers la partie orientale côtière d'Alger.

A Rouiba, Ain Taya, Réghaïa, l'Alma, le Fondouck, le Cap Matifou, Ain Béïda, etc., nous relevons un grand nombre de concessionnaires Mahonnais.

Les autorités françaises d'Algérie étaient fort satisfaites des Mahonnais. Regroupés, les Mahonnais paraissaient vouloir vivre une vie spécifiquement « mahonnaise » la conception de l'habitat, le Mahonnais construit de suite une maison propre et naturellement passée au lait de chaux , les coutumes, les marques de la vie sociale, l'endogamie, le code moral dont ils s'entourent. La conception familiale et l'attachement à la terre étaient des éléments correspondant exactement à l'attente du gouvernement français pour l'Algérie.

Bibliographie